…la suite… …siawa’si…
Lorsqu’on a dix ans, le monde est grand. Plus grand que soi. Rapidement, trop peut-être, on cherche à vouloir l’affronter, le changer. Mais, à dix ans, on ne fait qu’y entrer. Du moins, vouloir y entrer.
Grand-père, du haut de ses dix ans, le découvrit à ce moment-là. Il retiendra toute sa vie les paroles de l’institutrice Gaudreau qui lui dit, lors de l’incendie, qu’il avait changé, qu’il devenait un homme. Il y a de ces paroles installées en nous, confortables, parfois dérangeantes, qui orientent les yeux vers un regard différent du monde, sur le monde.
Lorsque Paqsi’ma lui disait : « najiwsgeieg », grand-père comprenait qu’ils allaient tous les deux à la pêche. En toute saison. N’existait pas chez ce jeune mi’kmaw de temps précis pour ceci ou pour cela. Il n’y avait chez lui que des choses à faire quand le goût venait. Sa structure du temps et de l’espace était au service de ce qu’il voulait faire et non une obligation d’agir parce que c’était le temps ou parce que c’était le lieu. Il était d’une totale liberté. De la liberté qui nous développe.
Combien de fois grand-père s’engouffra sur la route qui frôlait l’orée de la forêt, le menant chez les Épelgiag? Il ne saurait le dire, mais ce dont il se rappelle avec beaucoup d’émotion, c’est qu’il en revenait émerveillé, plus proche de la nature, en contact avec ce qu’il souhaitait continuer de devenir : un homme libre.
Les classes reprirent quelques jours après l’incendie. L’école, un peu en retrait de l’Anse-à-Griffon, aux portes de Cap-des-Rosiers, ne fut aucunement dérangée par l’attaque furieuse des flammes. Ève Gaudreau y était retournée le surlendemain de ce milieu de janvier, après avoir assisté à la réunion du village. C’est là qu’elle osa, pour une deuxième fois, l’idée de scolariser les jumelles et l’aîné mi’kmaw. Non qu’elle fut déçue du silence que sa proposition reçut, mais admira une autre fois la sagesse d’Émile lorsqu’il dit :
- Voilà une généreuse suggestion mademoiselle Gaudreau, mais ne croyez-vous pas que ça serait à leurs parents d’y répondre?
Émile avait bien senti l’hésitation de l’assemblée. Il ne voulait surtout pas décourager l’institutrice ni provoquer la population qui, selon lui, n’était pas encore prête à cela et souhaitait maintenir ce début de cohésion parmi les villageois.
Ève retourna donc à l’école. Elle avait annoncé, toujours à cette même rencontre, qu’elle envisageait rouvrir la classe le plus rapidement possible. On s’entendit sur le lundi suivant.
Tout le monde aimait cette institutrice, sans doute pas autant que notre grand-père qui se languissait de revenir à ses responsabilités scolaires et surtout à celle qui lui permettait de rallonger un peu, une fois les classes terminées, ses heures de présence. Mais l’arrivée de son ami Paqsi’ma risquait de modifier, et beaucoup, son emploi du temps. Leurs promenades sur la grave, leurs courses dans la forêt chaussés des raquettes que le jeune mi’kmaw proposa de lui enseigner à fabriquer, la pêche sous la glace, à l’endroit exact où se trouverait le poisson, le projet de monter un wikuom sous les épinettes, leur façon de construire alors qu’on s’apprêtait à reconstruire, leurs feux, ces bivouacs qui lanceraient vers le ciel des étoiles de feu, tout cela allait rendre grand-père fort occupé. Il ne voulait pas laisser l’école, encore moins cesser ces activités qui lui procureraient tellement de joie.
Ève Gaudreau le remarqua. Le comprit si bien, que le premier vendredi après le retour en classe, elle lui dit :
- Tu sais, Jean, je vois très bien que de nouvelles choses s’offrent à toi. Ton ami mi’kmaw deviendra très important. Ce qu’il t’apportera, il faut absolument l'accepter car cela t’enrichira. La classe, c’est bien mais il n’y a pas que cela. La vie y est un peu abstraite, elle te parle à-travers ses livres alors qu’avec lui, ce sera la vie concrète qui t’abordera. Ne te sens pas obligé de choisir. Organise ton temps afin de pouvoir profiter des deux.
Jean regardait la belle institutrice. Son admiration pour elle en fut décuplée. Il sut, par ses paroles, qu'une seule chose ne peut jamais combler entièrement la soif d’apprendre. Il y a mille sensations sillonnant ce qui nous entoure et elle l’invitait à en explorer le maximum.
C’est à ce moment-là que notre grand-père, à la fin de sa journée d’école, prit l'habitude du chemin vers la famille Épelgiag. C’est à ce moment-là aussi, que grand-père sut qu’un cœur d’homme peut être immense, apte à recevoir, au-delà des mille sensations, au-delà de tout, la capacité de s’émerveiller.
Lorsqu’on a dix ans, le monde est grand. Plus grand que soi. Rapidement, trop peut-être, on cherche à vouloir l’affronter, le changer. Mais, à dix ans, on ne fait qu’y entrer. Du moins, vouloir y entrer.
Grand-père, du haut de ses dix ans, le découvrit à ce moment-là. Il retiendra toute sa vie les paroles de l’institutrice Gaudreau qui lui dit, lors de l’incendie, qu’il avait changé, qu’il devenait un homme. Il y a de ces paroles installées en nous, confortables, parfois dérangeantes, qui orientent les yeux vers un regard différent du monde, sur le monde.
Lorsque Paqsi’ma lui disait : « najiwsgeieg », grand-père comprenait qu’ils allaient tous les deux à la pêche. En toute saison. N’existait pas chez ce jeune mi’kmaw de temps précis pour ceci ou pour cela. Il n’y avait chez lui que des choses à faire quand le goût venait. Sa structure du temps et de l’espace était au service de ce qu’il voulait faire et non une obligation d’agir parce que c’était le temps ou parce que c’était le lieu. Il était d’une totale liberté. De la liberté qui nous développe.
Combien de fois grand-père s’engouffra sur la route qui frôlait l’orée de la forêt, le menant chez les Épelgiag? Il ne saurait le dire, mais ce dont il se rappelle avec beaucoup d’émotion, c’est qu’il en revenait émerveillé, plus proche de la nature, en contact avec ce qu’il souhaitait continuer de devenir : un homme libre.
Les classes reprirent quelques jours après l’incendie. L’école, un peu en retrait de l’Anse-à-Griffon, aux portes de Cap-des-Rosiers, ne fut aucunement dérangée par l’attaque furieuse des flammes. Ève Gaudreau y était retournée le surlendemain de ce milieu de janvier, après avoir assisté à la réunion du village. C’est là qu’elle osa, pour une deuxième fois, l’idée de scolariser les jumelles et l’aîné mi’kmaw. Non qu’elle fut déçue du silence que sa proposition reçut, mais admira une autre fois la sagesse d’Émile lorsqu’il dit :
- Voilà une généreuse suggestion mademoiselle Gaudreau, mais ne croyez-vous pas que ça serait à leurs parents d’y répondre?
Émile avait bien senti l’hésitation de l’assemblée. Il ne voulait surtout pas décourager l’institutrice ni provoquer la population qui, selon lui, n’était pas encore prête à cela et souhaitait maintenir ce début de cohésion parmi les villageois.
Ève retourna donc à l’école. Elle avait annoncé, toujours à cette même rencontre, qu’elle envisageait rouvrir la classe le plus rapidement possible. On s’entendit sur le lundi suivant.
Tout le monde aimait cette institutrice, sans doute pas autant que notre grand-père qui se languissait de revenir à ses responsabilités scolaires et surtout à celle qui lui permettait de rallonger un peu, une fois les classes terminées, ses heures de présence. Mais l’arrivée de son ami Paqsi’ma risquait de modifier, et beaucoup, son emploi du temps. Leurs promenades sur la grave, leurs courses dans la forêt chaussés des raquettes que le jeune mi’kmaw proposa de lui enseigner à fabriquer, la pêche sous la glace, à l’endroit exact où se trouverait le poisson, le projet de monter un wikuom sous les épinettes, leur façon de construire alors qu’on s’apprêtait à reconstruire, leurs feux, ces bivouacs qui lanceraient vers le ciel des étoiles de feu, tout cela allait rendre grand-père fort occupé. Il ne voulait pas laisser l’école, encore moins cesser ces activités qui lui procureraient tellement de joie.
Ève Gaudreau le remarqua. Le comprit si bien, que le premier vendredi après le retour en classe, elle lui dit :
- Tu sais, Jean, je vois très bien que de nouvelles choses s’offrent à toi. Ton ami mi’kmaw deviendra très important. Ce qu’il t’apportera, il faut absolument l'accepter car cela t’enrichira. La classe, c’est bien mais il n’y a pas que cela. La vie y est un peu abstraite, elle te parle à-travers ses livres alors qu’avec lui, ce sera la vie concrète qui t’abordera. Ne te sens pas obligé de choisir. Organise ton temps afin de pouvoir profiter des deux.
Jean regardait la belle institutrice. Son admiration pour elle en fut décuplée. Il sut, par ses paroles, qu'une seule chose ne peut jamais combler entièrement la soif d’apprendre. Il y a mille sensations sillonnant ce qui nous entoure et elle l’invitait à en explorer le maximum.
C’est à ce moment-là que notre grand-père, à la fin de sa journée d’école, prit l'habitude du chemin vers la famille Épelgiag. C’est à ce moment-là aussi, que grand-père sut qu’un cœur d’homme peut être immense, apte à recevoir, au-delà des mille sensations, au-delà de tout, la capacité de s’émerveiller.
…à suivre… …nmu’ltes…