mardi 30 juillet 2024

Si Nathan avait su (2)






J'ai relu ce texte, celui qui suivra et qui a fait l’objet d’un otium. Pourquoi ai-je attribué le prénom de Nathan à ce personnage ? J’en ai glissé un mot dans le premier billet, rien de plus à ajouter. Je recueille les écrits qui ont rapport à Nathan, ce soir, d'autres qui suivront, sachant qu’ils n’ont pas d’âge et que cela n’a aucune espèce d’importance. Ils voyageront dans le temps, le remonteront, s'attarderont ici, là. Ce sera un peu comme ouvrir son cahier personnel dans lequel il aurait griffonné sur chacune des pages quelques événements, circonstances ou inquiétudes peut-être, lancer le tout en l'air et, toutes échevelées, les rassembler avant de les lire.. comme ça tout bonnement… Ce Nathan qui aura, dans quelques lignes, l’oreille collée au plancher, ne sera ni moi ni un calque de moi. Ça me rappelle les mille et une questions reçues de la part des lecteurs de DEP s’interrogeant sur le personnage Daniel Bloch : est-ce l’auteur ? Tout personnage est un fatras de je ne sais trop combien de visages, de caractères imprimés dans l’imaginaire d’un auteur qui leur permet de fusionner. Créer un personnage est une tâche fascinante. Un détail physique ou psychologique, un tic, un accent, tout ce qui peut le définir, le rendre vivant et permettre au lecteur de le distinguer parmi les autres. Cela me rappelle la formidable expérience vécue avec des élèves ayant des problèmes d’apprentissage, résumons-les par des difficultés à lire et à écrire, à qui j’ai proposé d’écrire un roman. Nous avions dix mois pour y arriver. Septembre à juin. Le produit qui en est sorti s’intitule UNE HISTOIRE QUI NE DEVAIT PAS AVOIR DE FIN - pour les curieux, cherchez sur le blogue, vous le trouverez quelque part dans son intégralité. Beaucoup de personnages sont nés, formidablement bien individués et actifs dans ce récit que je qualifierais «d'aventures pour la jeunesse». Un élève, prenant le micro lors du lancement du livre, dit et cela m’a tellement ému : «Je n’ai dans ma vie lu qu’un livre, celui que j’ai écrit.» Pure merveille démontrant, bien que l'échantillon soit embryonnaire, qu’écrire c’est l’acte initial à la lecture. Je ne sais trop qui est Nathan. Dans ce que vous lirez lorsque enfin je cesserai de jacasser, il deviendra un jeune homme conscient de sa réalité et devant l'affonter. Le texte porte un titre : Nathan a l’oreille collée au plancher. Le voici. J’y reviendrai une fois que vous l’aurez lu ou relu.


Nathan a l’oreille collée au plancher. 

( À l’instar de plusieurs prénoms, celui-ci s’avère être le diminutif provenant d’une dérivation, celle de Nathanaël. Lorsque ce garçon vint au monde, il y a de cela vingt ans ou plus, la grande majorité des habitants du village  ses parents vivent s’interrogèrent sur la raison pour laquelle on gratifiait cet enfant d’un tel prénom, aussi étranger que bizarre. Mais cette famille l’aura toujours été, au point qu’elle fut, non pas évitée, mais souvent ignorée de leur communauté. )

Cette génuflexion quotidienne depuis qu’il a quitté le petit logement partagé avec Isabelle ( il est maintenant installé un étage au-dessus et dans plus modeste ) permet à Nathan de saisir les notes d'une musique qui, durant quelques mois, fut leur préférée. Ils l’écoutaient tous les jours, elle, revenant de ses cours d’info-graphisme, lui, d'une mise à jour académique dans un CEGEP. Arrivés à Montréal en provenance de leur village éloigné d’une centaine de kilomètres au nord de la métropole, ils louèrent rapidement ce trois-pièces situé à deux pas du métro ; on leur avait conseillé de trouver un endroit tout près des services utilitaires. Les premières semaines tanguaient entre merveille et découverte, mais aussi de s'attarder à la tâche parfois difficile celle de l'adaptation à la vie commune, aux petites habitudes de chacun jusque là ignorées. L’amour excusant tout, ils surent passer outre à quelques désagréments dont ils apprirent tant bien que mal à se moquer après les avoir intégrés. Les parents d’Isabelle craignaient un peu cette organisation précipitamment entendue, ne se gênant pas pour lui prodiguer des conseils qui tombèrent dans l’oreille d’une sourde. Elle connaît Nathan depuis le début de leurs années à l’école secondaire et partir loin de la maison pour vivre avec lui ne lui a jamais paru préoccupant, bien au contraire, exaltant. Cette jeune fille alerte, déterminée, est réaliste dans l’élaboration de ses objectifs ainsi que sur les moyens à prendre pour y arriver. Le premier aura toujours été celui de quitter son village qui l'ennuie profondément, l’isolant de tout ce qui l'intéresse. La ville l’a toujours excitée, attirée. C'est là que se trouve la vraie vie, se disait-elle. À l’inverse, Nathan, jeune homme introverti cultivant le silence depuis toujours, ce petit village et surtout le grenier de la maiosn parternelle devenu son refuge lui convenaient parfaitement. En fin de journée, alors que les deux étudiants rentrent à la maison, le premier geste aura toujours été de remplir l’endroit de musique, dont une en particulier, celle que Nathan cherche à retrouver en plaquant son oreille au plancher. Pour lui, ces notes échappées d’un violon et d’un violoncelle se sont avérées d'abord un formidable déclencheur et maintenant une cinglante cicatrice.  Sa vie ne ressemble plus maintenant à celle qui était au départ du village, à leur arrivée dans la Métropole. Il découvrait la difficulté de s'ajuster à l’exubérance de sa compagne, sa soif continuelle de nouveautés, lui si solitaire, si fade, si quelconque. Cette musique porte un nom : My life is going on. Elle suscitait chez lui une réflexion sur le fait que le projet de parfaire ses études le contraignait à s’installer dans un nouvel environnement, loin de sa routine qu’il chérissait, peut-être davantage qu’il ne l’imaginait au départ, et surtout, le fait de mutualiser sa vie à celle d’Isabelle. Chez elle, cette musique lui permit de réaliser que vivre avec Nathan s'avérait une tâche beaucoup plus ardue qu'elle s'y attendait. Quoiqu’on fasse la vie continue lui martelait quotidiennement cette musique ; elle continue du fait qu’elle a débuté. Le destin, comme s’il s’agissait d’une ombre, propose des routes inconnues, parfois inquiétantes. Lesquelles ? Exigent-t-elles d’être suivies aveuglément, sans s’interroger, sans comprendre ? Nathan, l’oreille fichée au plancher, perçoit la vibration des cordes, le jaillissement de la musique. S’interroge-t-il sur la suite des choses qui ont fatalement une suite tout comme cette musique qui ne cesse de le hanter ? Demain, il prendra le bus, en route vers son village, persuadé que le fait d’y revenir lui permettra de s’approprier une partie du chemin parcouru depuis la fin du mois d’août et l’occasion de défricher celui ou ceux qui se présentent maintenant que cet hiver frileux et figé engourdit la ville, l’insensibilise. ( Il fallut à Nathan et Isabelle prendre position, choisir la destination commune afin de poursuivre leurs études postsecondaires. Pour elle, le choix était clair, la création artistique par le biais de l’info-graphisme et pour cela Montréal proposait des options adaptées à son ambition. Pour lui, un CEGEP offrant une mise à jour académique puisque ses derniers résultats atteignaient à peine la moyenne exigée pour envisager un choix de carrière. C’est quelque part en février qu’ils optèrent pour Montréal ; avril, ils annoncèrent la nouvelle aux parents et se mirent en chasse d'un logement; juin, ils louèrent cet espace tout près du métro Berri-UQAM presque en plein coeur du centre-ville. Ils emménageront à la fin de l’été. )
                                                                     
Les buildings ont disparu du paysage alors que le village de Nathan, d’ici quelques kilomètres, surgira de cette forêt de grands pins rouges que le bus traverse. Même si les couleurs que l’hiver barbouille autour de lui sont les mêmes qu'à Montréal, la lumière se fait d'une clarté éblouissante. - Vous appréciez particulièrement cette pièce de musique. Les mots de sa voisine ramènent le jeune homme à la réalité. C’est en boucle qu’il écoute ce My life is going on depuis le départ de Montréal. Je suis désolé si cela vous importune, répond le jeune homme, coupant le son du baladeur. Pas du tout, au contraire. Les rencontres inopinées revêtent parfois un caractère singulier dont celle-ci: deux voyageurs distanciés par l’âge, réunis par le raccourci d’un trajet en bus et qu’une musique échappée d’un baladeur incite à discuter. Me permettez-vous d’écouter ce qui accroche vos oreilles depuis le départ du terminus ? Nathan céda son appareil à la dame âgée qui le mit en marche, ferma les yeux, immobile durant quelques minutes. Elle réécouta la musique. Sourit. Décrocha les oreillettes. Rendit la machine au jeune homme. Je vois bien que cette pièce musicale vous secoue. Vous avez raison. Il se réfugia momentanément dans un silence bousculé par le brouhaha du bus. La dame respecta son absence, certaine qu’il allait bientôt en resurgir. Nous l’écoutions tous les jours, ma copine et moi. Plus maintenant, si je me permets cette indiscrétion. Nathan, se tournant vers sa voisine, esquissa un sourire neutre. Plus maintenant, en effet. Mais vous, vous l’écoutez toujours.
                                                                  
Lorsque les parents de Nathan avancèrent l’idée de rénover une partie de la maison ancestrale, le benjamin, celui qui aujourd’hui retrouve son village sous une neige épaisse, renoue avec cette route si étroite qu’une seule voiture peut y circuler, avait demandé que sa chambre soit déplacée dans le grenier, qu’on y installe plusieurs fenêtres, en fait il avait précisé dans le plus de directions possibles. Ceci permettrait au soleil de s’y refléter à longueur de journée, à la lune de s’y mirer à sa guise et lui de pouvoir s’isoler sans complètement disparaître. Idée singulière pour quelqu'un qui cherche à socialiser, argumenta sa mère. Je ne suis pas sociable et ne cherche pas non plus à le devenir. Il prit possession de son antre comme l'appelait sa mère, dès son entrée à l’école secondaire. Remettre les pendules à l’heure, tenter, aussi, de saisir ce qui s’entremêle dans les notes obsédantes de cette musique continuellement présente dans sa tête, puis, ouvrir l’enveloppe qu’Isabelle a déposée à sa porte quelques jours avant qu’il ne décide de revenir dans sa tanière, comme s’il s’agissait d’une retraite. Nathan s’installa sur son lit, mit en marche le baladeur, accorda quelques secondes à la musique avant de plonger dans la lecture du message de celle qu’il vient de quitter. Notre musique, la nôtre, même après ton départ, me ramène à toi... Nous étions violon et violoncelle en tempo lento... En profonde hésitation... Retour en avant, puis du sur-place... Une continuité se cherchant dans ses nombreux hiatus... Il est difficile d’être entièrement en communion avec une autre personne... Installer deux destinés pour qu’elles cherchent, ensemble, une même direction... Cette musique, la nôtre, malgré ton départ, me raccroche à toi... Nous étions violon et violoncelle, maintenant qui serons-nous ? Et la vie continue... Nathan écoutait le silence qui, invariablement, suit la fin de toute musique. Est-ce que ma vie continue ? 



La musique qui parle à Nathan n’a rien de classique malgré la présence des violon et violoncelle, est tirée d’une série espagnole (la casa de papel) et interprétée par Cecilia Krull. Elle m’amène à parler de musique et de séparation lors du prochain billet.













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