samedi 25 février 2006

Le quatre-vingt-dix-huitième saut de crapaud

Claire




Douce Claire… par un janvier si froid!


Ma première rencontre avec toi fut déterminante. Elle se produisit au début d’un janvier qui fut très froid, en Estrie, près de ce Magog aux grandes plaines enneigées. Ce jour-là, Pierre et toi, vous recherchiez une maison, un chalet, en fait un lieu où déposer un amour naissant. Au retour, cette nouvelle. Foudroyante. Parvenant de si loin. Entre France et Afrique. La mort de Patricia dans des circonstances accidentelles d’une terrassante rapidité.

Je vis ton réflexe. Instantané. Automatique. Tourné vers l’autre dont la souffrance était indicible. Empathique, tu souffrais avec lui.

Cette main sur l’épaule, prolongement de ton coeur, réconfortait malgré ce si froid janvier. Tu savais ne rien dire, de ces silences qui disent tout. En contact avec ce que l’autre vivait. Au plus profond de lui.

Je te revois, tout à côté. Dans une immobilité défiant l’espace. De tes yeux, des larmes chaudes comme l’Afrique tombaient sur ce si froid janvier. Tu savais être là-bas pour comprendre, ici pour consoler.

J’avais devant moi, à côté de moi, une âme grande et belle.
Illuminante. De celle que la vie, donneuse et arracheuse tout à la fois, nous permet de rencontrer. Rien à voir avec le hasard. Nous côtoyons de ces personnes sachant, au bon moment, trouver les mots justes, nommer le sentiment précis qui se vit, dire l’émotion exacte permettant d’aller plus loin que ce court instant de souffrance ou de bonheur. Tu es de celles, rarissimes, qui font cela. Mais plus. Tu inscris tout dans la permanence. Voilà, je crois, ta plus grande, ta plus humaine qualité.

Saisir chez l’autre la pesanteur des événements qui se déposent dans ses mains. La mesurer à partir de ce qu’il ressent, non pas cette si facile imagination permettant d’être précis, non, tu es de celles qui découvrent toute l’ampleur de ce qu’il vit.

Et je te revois près de mon frère, ton futur mari, devenu si fragilement vulnérable devant cette atrocité que la vie lui percutait en plein visage… Je ressentis chez toi non seulement une fulgurante force d’ouverture, mais une présence si entièrement accompagnatrice, exactement ce dont il avait besoin. Comme tu sais bien être là. Comme tu as si bien su être là.

Claire, douce Claire, je suis de ces gens qui à ta rencontre, à ton contact, découvrent à quel point la chaleur du cœur a toujours préséance. Sachant, en toute chose et en toute occasion, te retourner d’abord vers l’autre, jauger l’exact degré d’ébullition de joie ou de misère qu’il éprouve. Tu donnes à cet instant une si intense authenticité, que la vie en devient plus forte, prime sur la mort.

Les plaines enneigées de Magog le sont toujours. Les hivers se sont accumulés. Tu les as traversés, grandement, armée de tes qualités d’écoute, d’altruisme et de franchise. Tu as fouillé en toi. Plus, tu as foré ton intérieur, là où se joue véritablement notre passage en ce monde, pour encore mieux te découvrir et en faire bénéficier ceux et celles qui gravitent dans ton univers, dont moi je te l’avoue fièrement.

Tu ne sais pas ne pas aimer. Tes réflexes inflexiblement orientés vers l’autre, comme tu sais l’accepter tel que la vie l’a forgé, lui insuffler cet élan vers un meilleur devenir! Devenir, combien magique devient ce mot lorsqu’on le colle à la douce Claire. Remuer le passé, le prendre dans ses bras et le consoler, oui, mais devenir, toujours devenir ce marcheur infatigable en route vers soi.

En ce moment de la cinquantaine, nous sommes plusieurs à remercier ce morceau du destin arrêté un instant à nos portes, nous envahissant bellement. Et j’en suis.

Les si froids janviers de la vie sont des chemins dans les plaines enneigées…
Avec ma plus profonde affection.

Jean


les si froids janviers de la vie sont des chemins dans les plaines enneigées…
des envers de sable
des ailleurs sans hiver…


les si froids janviers de la vie sont des chemins dans les plaines enneigées…
marchent
les âmes infatigables
vers un carrefour où se cache la rencontre…


les si froids janviers de la vie sont des chemins dans les plaines enneigées…
des balises de forêts
et de ruisseaux gelés
comme des veines durcies
sur l’atlas des amants…


les si froids janviers de la vie sont des chemins dans les plaines enneigées…
des poings qui s’ouvrent
des mains jointes
et rouges encore
de la glace accrochée aux clôtures barbelées


les si froids janviers de la vie sont des chemins dans les plaines enneigées…
quand sifflent les flèches au-dessus de leur tête
penchées, les deux
dans une même direction…


les si froids janviers de la vie sont des chemins dans les plaines enneigées…
atteignent la cible
en plein centre des engelures
que guériront les printemps à venir


en plein cœur
des si froids janviers
de la vie
des chemins
dans les plaines enneigées…
où la lavande rejaillira…



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