vendredi 10 janvier 2014

Les nouvelles chroniques du Café Riverside -5-

Le thyphon Haiyan vu de la station orbitale

Comme le dit si bien l’expression anglaise : « Long time no see! »

C’était l’an dernier (en 2013), avant de partir pour une semaine thaïlandaise alors que tous signalaient que le climat politique dans la capitale Bangkok, lieu exact où nous allions traverser vers la nouvelle année, n’était pas de tout repos. D’ailleurs, si vous vous rendez sur You Tube en tapant le lien suivant :


vous y retrouverez toutes les vidéos que j’ai faites lors de ce voyage. Pour les photos, je vous ferai un saut de crapaud particulier. Mais avant tout, parlons un petit peu de ce qui se passe ici à Saïgon.

Vous savez, depuis mon arrivée, la température n’est pas merveilleuse. Les vieux Vietnamiens incriminent le typhon philippin Haiyan, auteur de dégâts dont l’ampleur inégalée reste toujours à chiffrer - le dernier recensement oscille autour des 7000 victimes, principalement aux Philippines -.  Haiyan signifie pétrel, le nom d’un oiseau que l’on qualifiera certainement d’oiseau de malheur. Ça occasionne encore des poussées d’humidité, des averses de pluie subites et abondantes, des chutes de température jouant au yoyo entre 40 et 18 degrés.

Un novembre de mousson, un décembre en dents de scie et un début de janvier, gris. Le soleil se fait rare, la couche de nuages épaisse lui bloque toute possibilité de nous rejoindre.

Bon. Voilà pour la météo; on n’y peut rien et je me fie aux Vietnamiens qui prévoient que les suites de Haiyan disparaîtront d’ici… après Têt… et Têt, c’est le 31 janvier.

Autrement, le quotidien vietnamien m’est toujours aussi agréable même si je dois combattre une sinusite tenace; les antibiotiques que je prends actuellement semblent donner de bons résultats. Par chance, ils ne m’empêchent aucunement de rouler en vélo le matin, de lire et de préparer la suite des choses.

Dans la suite des choses, il y a eu comme je le signalais plus haut, Bangkok (fin décembre). Nous étions six à avoir choisi la Thaïlande (après plusieurs jours de palabre) malgré les manifestations qui s'y déroulaient contre la première ministre. Nous n’avons été témoins d’absolument rien. À titre d'exemple: quelqu'un aurait décidé de ne pas venir à Montréal durant le printemps érable, craignant la violence que les médias s’amusaient à répandre. Il faut relativiser, je crois. Il y a sans doute des gens qui prennent un malin plaisir à rendre les choses « plus pires »…

Nous étions logés, pour la première partie du voyage à Bangkok, au YourPlaceguesthouse que nous aimons beaucoup parce que bien situé, tout à côté de la gare et à deux pas du métro. Les proprios sont charmants et le coût des chambres, ridiculement bas. Pour la deuxième partie, nous nous sommes éloignés du centre-ville dans un hôtel (Casa Vegas) qui louait des chambres à rabais pour cette période de l’année. Pas un excellent choix!

Bangkok, ce fut beaucoup de la marche à pied: Marché Chatuchak, Quartier chinois, Palais royal, Silom et la grande finale : l’entrée dans le Nouvel An tout près du Stade National. Expérience à vivre. 

Je me rappelle très bien avoir paniqué lors d’une manifestation à Montréal (McGill Français en mars 1969) . À cette époque je croyais ne plus jamais être en mesure de participer à ce genre d’événements où la foule joue un rôle prépondérant. Cette fois-ci… ce fut pire.

Au retour, je suis allé voir chez le père de la psychologie des foules, Arthur Le Bon, pour tenter de comprendre comment j’ai cru à un certain moment que ce qui m’entourait, me bousculait de tous côtés, criait, hurlait, cherchant une direction qui ne s’ouvrait pas pour emprunter l’autre aussi bloquée, imaginer que tout ce chaos s’achèverait par la chute d’un individu, son piétinement, l’impossibilité physique de lui porter secours, expliquer cette oppression qui m'empêchait de respirer… 

Le Bon écrit : Par le seul fait qu’il fait partie d’une foule, l’homme descend donc plusieurs degrés sur l’échelle de la civilisation. Isolé, c’était peut-être un individu cultivé, en foule c’est un instinctif, par conséquent un barbare. Il a la spontanéité, la violence, la férocité, et aussi les enthousiasmes et les héroïsmes des êtres primitifs. Il s’en approche encore par sa facilité à se laisser impressionner par des mots, des images, et conduire à des actes lésant ses intérêts les plus évidents. L’individu en foule est un grain de sable que le vent soulève à son gré.

Ça devait être une vidéo mais le résultat final, une photo.

Un court instant, je me suis senti entièrement centré sur une seule réalité: quoi que je fasse ou ne fasse pas, le brassage de la foule, de la masse s'était emparé de moi, devenu un roi endiablé, un maître tortionnaire. J’avais perdu tout contrôle sur mes mouvements, la gestuelle qu’involontairement on m’avait arrachée fut remise entre les mains cruelle d’un supra-individu inconnu de tous et qui, comme je le souhaitais ardemment, allait disparaître dans quelques secondes. Tout redeviendrait correct. Ne fallait que garder la tête haute, au-dessus d'une mêlée de plus en plus piétinante. Chercher, espérer trouver un peu d’oxygène. Ceux et celles qui partageaient la même calamité que moi, s’escrimaient aussi, à leur manière propre.

J’entendais YoYo – était-il tout près ou plus loin - répéter sans cesse : « Breath, Jean. Breath! »

Combien de temps a persisté une telle situation? Entre une seconde et le bout de l’éternité. Le temps n’existe plus dans cette absence d’espace. Le vital habituel se métamorphose en sentiments d’urgence. Il faut garantir l’immédiat. Le « here and now ».

La singularité de cette expérience, une fois tout danger disparu, c’est la revisiter dans sa tête. Nous étions 6, perdus assez rapidement alors que la foule se faisait plus dense, plus compacte. L’événement qui réunissait tout ce monde innombrable? Le passage de l’année 2013 à l’année 2014, ce moment où chacun décline dans sa langue propre le traditionnel 10, 9, … , 1, 0... et que l'explosion des bruits ambiants rend l’atmosphère davantage survoltée. La foule (la masse), à ce moment, ne semble pas représenter un problème puisque le scénario est connu, seul le lieu où il s'actualise qui, en quelques secondes, se transforme subitement en un charivari anarchique.

S’être perdu, non pas encore, on n'est qu'éloignés les uns des autres. Puis, de plus en plus comprimé des quatre côtés, mais encore captivés par le feu d’artifices, les fumées qui descendent en léchant les fenêtres du grand édifice devant nous, les hourras! les bravos!... Il me semblait que l’ordre était respecté, que les organisateurs anonymes avaient tout prévu. Cinq minutes plus tard… les feux éteints… les jambes de cette foule hétéroclite cherchent à bouger… mais dans toutes les directions à la fois… les points cardinaux sont déboussolés… On réalise dans ce concert d'interrogations sans réponses, que la situation nous échappe.

Encore plus étrange dans cette expérience : retrouver les quatre membres du groupe dont la foule nous avait involontairement écartés. Ils étaient à peine cinquante mètres de nous, sur notre gauche. On m’aurait demandé si cela fut possible, j’aurais juré que non.

Les vœux de « BONNE ET HEUREUSE ANNÉE » échangés dans le quasi silence d’une foule se dispersant comme par magie, prenaient une dimension sur-temporelle…

Et nous étions en 2014… que je vous souhaite agréable et aussi élégante que le sera l’année du Cheval dans l’horoscope chinois.

À la prochaine

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