lundi 17 mars 2008

SAUT: 201

Il faut beaucoup aimer pour agir comme le crapaud le fait ce matin. Pour ceux et celles qui ont lu les différents poèmes du crapaud, vous savez que le «je» est absent. C'est un choix personnel. Je(le crapaud) l'assume et l'explique du fait que la poésie comme elle me parvient, le fait sous forme d'images que je transcris en mots. Ces images n'ont que fort peu de lien avec qui je suis, ce que je vis ou encore ce que... n'importe quoi.... Elles m'arrivent comme des coups de tonnerre suivis d'éclairs (ou l'inverse). Je les note. Puis les rassemble selon une inspiration se transformant en lignes d'écriture. De toute manière, je trouve que la poésie n'a rien à voir avec le journal personnel qu'un diariste nous propose. Et comme le «je», selon Rimbaud, est un autre, autant l'éviter ou faire comme le poète québécois Danny Plourde, le supprimer à moitié, c'est-à-dire l'exclure mais accepter les possessifs de la première personne du singulier.

Il faut beaucoup aimer pour agir comme le crapaud le fait ce matin, parce que le poème qui suit tablette depuis «x y z » années. Quand j'ai commencé à écrire des poèmes (début des années '60), ma famille vivait en appartement face à un grand boulevard qui s'appelait à l'époque «la route 9» par la suite, boulevard Laurier. Dans ce logement, un bureau. Vert. Un divan en cuir froid. C'est là que j'(le crapaud)écrivais en écoutant la musique des Kreisler, Paganini, Litsz et Debussy sur une toute minuscule table tournante non stéréophonique, de la musique sur disques Columbia: notre père s'était abonné et nous écoutions un album différent par mois.

Je ne me souviens pas du premier poème mais me rappelle très bien de ce cadre, au-dessus du divan, celui dans lequel jaunissait le diplôme que mon père reçut à la fin de son cours, attestant son droit à enseigner. Il était paraphé, ce diplôme, de la main du Surintendant de l'Instruction Publique, un certain monsieur Delage. Mes premiers poèmes, c'est à partir d'un des prénoms reçus à ma naissance, soit Herman, et Delage, à partir de ce cadre, que je les signais. Ça devait faire plus «poétique» d'utiliser un pseudonyme!

Le poème que vous lirez et sur lequel j'aurai planché très longtemps, se veut un coup de chapeau à ce bureau, ce début d'une aventure qui s'étire encore.

Je me demande ce qu'est advenu à ce cahier de poèmes dans lequel je transcrivais ces premières oeuvres et offert à cette cousine Marie-Anne, celle qui insistait inlassablement pour que je continue à écrire?

Le voici.


herman delage, l’anatife*


un oiseau griffe la neige
l’autre, la bécote


(herman delage,
du fond de son cadre,
n’a pas plus bougé
que s’il existait réellement)


s’envolent les oiseaux du boulevard
s’incrustent les autres


(herman delage
racontait le froid du bureau vert
comme s’il le connaissait vraiment)


des nuages d’oiseaux sont en feu
d’autres pleuvent


(herman delage
divaguait sur un divan en cuir froid
comme si, inutilement, il se parlait)


les choses connues s’éloignent
une fois dessus, se reconnaissent


(herman delage
était plus vivant
une fois mort)


d’immobiles marionnettes cherchent dans la neige
des personnages au regard pérenne


(herman delage
recherchait encore celui
qui le nommait aux jadis)
et que trouvera-t-il dans l’immobile passé ?

(herman delage
attachera au cou du temps
un collier tintinnabulant de mille coups)


des oiseaux-marionnettes sur des nuages en feu !
ou


(herman delage
soufflera sur la feuille morte
pour en extraire le vent)


des silences condamnés à être fusillés !
ou


(herman delage
bouchera les trous de la clôture
avec des fœtus desséchés)


une main tendant la lettre de laquelle tombent des mots !
ou


(herman delage
se peindra une couche de folklore
sur le dos)


les aiguilles d’une horloge piquant les chiffres pour s’en faire un collier !
ou


(herman delage
nommera les bruits éclaboussés
sur les murs de nos hontes)


des cordes à linge silencieuses dans le froid des glaçons !
ou

des oiseaux, tête enfourchée sous leur aile !
ou

des feuilles mortes courant derrière de petits sacs en papier !

herman delage
l'anatife noyé
dans son cadre
du bureau vert et froid
sur un fauteuil en cuir

* anatife : crustacé qui se fixe aux objets flottant en mer.

Au prochain

l'oiseau

  L'OISEAU Un oiseau de proie patrouille sous les nuages effilochés plane aux abords du vent  oscille parfois puis se reprend agitant so...