mercredi 2 mai 2007

Le cent soixante-quatrième saut de crapaud (1)




Chapitre 1




Dans le quartier nord de la ville de Rodon Pond, les rues sont beaucoup plus petites qu'ailleurs. On ne sait pas pourquoi mais c'est comme ça. La dernière rue débouche sur un petit boisé où les enfants du coin vont s'amuser, souvent y construire des cabanes dans les arbres ou jouer à la cachette.

Il y a très souvent des déménagements sur cette rue et les jeunes qui y vivent se rendent à l'école par autobus. Toute l'année, ils prennent le même, le 101. Et même encore ce matin de la fin du mois de juin où l'on sent bien qu'ils ont hâte qu'arrivent les vacances.

Cette année, dans le quartier, une super gang s'est formée. Pas trop nombreuse parce que les grosses gangs, c'est louche. Surtout avec le parc pas trop loin où, paraît-il, la drogue se passe comme c'est pas possible. Elle se compose de six jeunes: quatre gars, deux filles. C'est bizarre la manière dont ils se sont connus!

On pourrait penser puisque tous les jeunes du quartier prennent le même autobus qu'ils vont à la même école. Non, l'autobus les laisse à trois endroits différents.


Mario « Ti-Cote » Chabot et Rock Béliveau sont des vieux de la vieille. Nés sur cette rue, ils y ont grandi. Ils la connaissent par coeur jusqu'au petit boisé tout au bout et sont reconnus pour les coups pendables qu'ils ont pu y faire. Les voisins le savent et les redoutent. Ils ont le même âge, vont à l'école secondaire Polytec où, au cours des années, ils ont à l'occasion fréquenté la même classe. Toujours, ils sont demeurés de bons amis. De plus, ils s'occupent d'un petit commerce: tous les mercredis, ils distribuent plus de cent journaux dans le quartier. Au début c'était long et ennuyeux, mais avec le temps ils ont organisé leurs flûtes de sorte qu'avec les raccourcis, en moins de deux heures les journaux sont rendus à destination... à part quelques-uns lancés dans le bois afin d'alléger leurs sacs.

C'est en passant leurs journaux qu'ils ont connu Caro, Annie et Bob déménagés au début de l'année scolaire. Ils viennent du Nouveau-Brunswick que leurs parents ont dû quitter en raison de leur travail. Le père est fonctionnaire fédéral et la mère travaille pour une compagnie très importante dont le siège social est à Rodon Pond.

Les Poulin possèdent la plus belle maison de la rue et, semble-t-il, l'argent leur sort par les oreilles. On a qu'à regarder comment le frère et les deux soeurs sont habillés pour s'en apercevoir.

Les deux filles sont super belles et tous les gars de l'école Polytec n'ont d'yeux que pour elles. Elles vont au Collège de la Richesse, une école qui exige que les parents paient pour s'y inscrire. Bob va à l'école Polytec avec Mario et Rock.

Imaginez le soir où nos deux camelots, distribuant leurs journaux, se sont arrêtés devant la maison des filles! Ce fut un coup de foudre terrible et le départ d'une grande amitié.

Le frère est gentil, mais c'est autre chose. On dirait qu'il suit ses soeurs comme pour les protéger ou les défendre, on ne sait pas trop.

Revenons au soir de la première rencontre...

Ils se sont retrouvés cinq à se promener dans les rues du quartier déposant à chaque porte le journal de la semaine. Mario et Rock en profitèrent pour leur faire visiter le quartier. C'est à cette occasion qu'ils décidèrent d'organiser une soirée afin de permettre à ces nouveaux, mais surtout à ces nouvelles, de rencontrer le plus de monde possible. Ils avaient pensé aller au cinéma ou à la piscine, mais dans cette ville la piscine municipale ferme le premier septembre. Au cinéma, on présentait un film plate conseillé par les parents, style histoire d'amour où on parle pendant des heures assis devant un café et où plus rien d'autre ne se passe...

Ça c'était au début de septembre. Nous sommes maintenant à la fin de l'année scolaire et tout le monde se demande encore comment Joe a bien pu entrer dans cette gang?

Le soir du party chez les Poulin - le nom des nouveaux, des Acadiens - , il faisait beau et chaud. Tout le monde décida de suivre Mario et Rock dans le petit bois, pour y voir les cabanes. Il y en avait des fraîchement faites par les plus jeunes et des vieilles toutes en morceaux que les deux associés se souvenaient avoir construites quelques années auparavant...

Après cette courte visite, ils se rendirent au parc public. C'est là que Joe, le grand, assis et fumant avec d'autres, les vit et leur offrit une cigarette. Ils refusèrent (sauf Annie qui hésita un court instant, mais le regard désapprobateur de Bob était sans équivoque). Joe les suivit. On ne sait toujours pas pourquoi et lui non plus sans doute.

Mario et Rock n'aimaient pas tellement Joe surtout que les filles semblaient avoir un oeil sur lui. Bob, le frère protecteur, n'avait pas trop aimé cette visite mais avait tout de même accepté que le gars du parc les suive.

Voilà comment tout ça s'est formé, en ce début de septembre, à l'entrée des classes. Aujourd'hui, à quelques jours des vacances, c'est encore une gang même si bien des chicanes eurent lieu, principalement à cause de Joe et... des filles!




Chapitre 2


La gang cultivait ses petites habitudes, comme celle de faire du jogging tous les matins. On se doute bien que voilà une idée de Bob, le super sportif. Ils n'étaient pas tous là chaque jour mais la plupart du temps les habitants de la petite rue les voyaient passer en courant. Ils faisaient toujours le même trajet et s'organisaient pour ne pas rater l'autobus. Joe présentait souvent de bonnes excuses pour ne pas venir mais il était au coin de la rue pour prendre le transport scolaire. On l'avait changé d'école parce qu'il oubliait de se lever le matin et arrivait à Polytec, très en retard. Maintenant qu'il va au Patro, il a vite appris qu'il avait intérêt à ne pas manquer trop souvent. D'ailleurs, la gang le poussait à respecter le règlement de son école.

Après le jogging (sur semaine seulement ): départ pour l'école.
Au retour, ils se réunissaient au parc afin d'organiser les activités de la soirée. On les voyait se balancer dans le coin réservé aux plus jeunes et de loin on serait porté à croire qu'ils votaient pour s'entendre sur ce qu'ils allaient faire. Souvent, cela ressemblait à des parties de soccer; en hiver, ils jouaient au hockey. Après leur courte rencontre d'avant souper, ils repartaient sauf que les filles se faisaient un point d'honneur d'inviter Joe chez elles comme pour être certaines qu'ainsi il ferait ses devoirs. Bob aimait bien se rendre chez Mario ou chez Rock faire les siens. Une chose semblait faire concensus dans la gang: jamais ils n'entreprenaient une activité avant que toutes et tous n'eurent terminé leur travail scolaire.

Combien de fois ils écoutèrent de la musique dans le parc!

Ce parc où Joe avait tellement passé de journées à ne rien faire, de soirées à fumer avec d'autres jeunes que Caro semblait encore fréquenter. Tout cela avait commencé pour elle autour des Fêtes, mais on en reparlera...

Mario avait proposé que la gang se trouve un moyen de ramasser de l'argent afin de pouvoir organiser quelques activités comme aller au Forum voir jouer Les Canadiens, aller à la Ronde ou assister à des spectacles de rock. L'idée fut retenue et chacun fournissait quelques sous par semaine dans le fonds de la gang.

Le vendredi soir était sacré.
C'était la soirée de danse. Pour rien au monde, ils se seraient empêchés d'aller au BADABOUM - une salle pour les 13-17 ans, sans boisson - y passer la veillée. Ils eurent bien de la misère à convaincre Bob d'y venir puisqu'il déteste la fumée de cigarette et que là, beaucoup de jeunes fument à pleins poumons.

Après leurs activités, on les retrouve toujours au même endroit, chez PIT, un bar laitier ouvert à l'année. Caro y travaille.

Assis au fond de la place, une bonne bière d'épinette en main, ils en ont réglé des problèmes jusqu'au moment où Pit leur dise qu'il ferme dans pas grand temps, mais jamais ils n'auront réussi à faire installer un juke-box dans l'endroit. Pit déteste la musique forte et déjà, de voir des jeunes flâner dans son bar laitier tout en buvant leur bière d'épinette, ça lui tombe sur les nerfs. Tout lui tombe sur les nerfs au point qu'il envisage vendre son petit commerce. Peut-être que Mario et Rock l'achèteront un jour, on ne sait jamais...

Voilà le genre d'activités que faisait notre gang. Toujours, ils s'entendent une fois la décision prise et, rarement ne reviennent sur leur choix ou lâchent en chemin. Il y a bien Joe que les filles doivent pousser dans le dos mais dans le fond il aime bien cela se faire pousser dans le dos. Mais on dirait qu'Annie pousse plus fort que Caro.

Parfois ils connurent des ennuis avec d'autres jeunes mais jamais ils ne se sont battus même si Joe avait les poings fermés. Pas de problèmes non plus avec la police car ils ne se tiennent pas dans le coin des « drogués » lorsqu'ils stationnent au parc.

Une chose qu'il ne faut pas oublier, ce sont les centaines de coups de téléphone qu'ils se passent de l'un à l'autre pour tout ou rien. C'est, principalement les filles qui appellent; les gars, eux, se déplacent.


Chapitre 3


- C'est plate de toujours être essoufflé, même après un petit 15 minutes de jogging, dit Rock qui peine à reprendre son souffle.

En ce 21 juin, début de l'été, il fait un super beau soleil. Aujourd'hui s'annonce encore plus merveilleux parce que c'est la dernière journée d'école, la première des vacances. Dans l'autobus on sent beaucoup de nervosité.

- Les examens m'énervent tellement que je me demande si je vais les réussir, reprend Rock assis à côté de Bob.

Ce dernier jouait avec une balle aki. Bob, malgré son âge, paraissait toujours calme et c'était remarquable, à chaque fois qu'un problème ou juste un énervement touchait un membre de la gang, c'est à ses côtés qu'il se retrouvait. Rock, le grand nerveux, était près de lui dans l'autobus scolaire qui amenait tout le monde à l'école.

Joe, écrasé dans le fond, faisait son homme parce qu'à son école on passait la journée aux glissades d'eau. Annie le regardait et dit à Caro:
- Joe est encore plus beau en shorts. As-tu vu comme il est musclé? C'est vraiment lui le plus beau gars du quartier.
- Ouais, mais il m'énerve pas mal avec sa drogue, répondit Caro.
- Tu sais la drogue, des fois c'est des histoires compliquées.
- Comme les histoires de famille, reprit Caro qui semblait dans la lune.
- Qu'est-ce que tu veux dire, Caro?
- Rien. Oh! rien.

Mais dans sa tête, elle ne pouvait oublier cette soirée du temps des Fêtes à laquelle elle avait assisté. Dans sa classe, il n'y a que des filles et elles décidèrent d'organiser un party avant Noël. Caro y alla sans savoir qu'elle serait mêlée à une drôle d'histoire qu'elle ne pourrait raconter à personne.

Lorsqu'elle vivait au Nouveau-Brunswick, Pamy savait tout parce qu'elle était la seule au monde à qui Caro ouvrait son coeur. Depuis le déménagement, elle n'a plus d'amie sincère. Il y a la gang... mais ça ne remplace pas une grande amie.

Lors de cette soirée, elle se retrouva avec autant de garçons que de filles, mais surtout de la drogue. Les parents étaient sortis et les jeunes, seuls dans le sous-sol, en profitèrent.

Caro n'aime pas la drogue mais elle se sentit comme prisonnière. Tout le monde insista, lui disant qu'elle était bien niaiseuse de ne pas essayer; de toute façon, elle ne pouvait pas en parler sans y avoir touché; qu'avec Joe Belleau, ça devait pas mal sauter dans leur gang. Toutes les raisons qu'on lui servit la rendirent nerveuse et surtout, perdante.

Elle fuma un joint et ce fut comme si elle venait d'entrer dans une cage. Elle n'aima pas la sensation et surtout le fait de voir ses amies du Collège écrasées par la drogue, affalées sur les garçons. Pas tellement beau comme spectacle!

À la fin de la soirée, Caro sut qu'elle ne devait plus jamais revoir ce groupe mais qu'elle risquait d'être poursuivie: soit qu'on veuille lui en vendre ou acheter son silence. Poignée au fond d'elle-même et combien loin de Pamy, elle décida d'écrire à son amie acadienne afin de se soulager. Cette soirée n'était pas encore effacée de sa mémoire et peut-être ne s'effacerait-elle jamais!

Avant de descendre de l'autobus, Bob fit dire à tout le monde que la gang devait se retrouver au parc en fin de journée. Il dit à Rock de ne pas s'énerver avec l'examen d'écologie, que ses notes de l'année étaient bonnes et qu'il n'y avait pas de raison de paniquer. Dans sa tête, Bob se dit:
- Il sent drôle aujourd'hui. Sûrement les nerfs...

Le trajet de l'autobus scolaire était organisé de façon telle que les filles arrivaient à l'école les premières, les gars de la Polytec par la suite et finalement Joe descendait.

Caro et Annie participeraient aux Olympiades du Collège mais ne s'attendaient pas à gagner de médailles. Caro n'est pas de nature très sportive et Annie qui fume en cachette, n'a aucune endurance.

Entrant dans la cour d'école, Annie avait encore la tête à Joe qui courait prendre le transport pour les glissades d'eau. Les surveillants de l'école du Patro semblaient toujours surpris de le voir arriver le matin comme si la veille était continuellement son dernier jour de présence. La gang le supportait bien et, sans jamais le dire, Joe tout au fond de lui-même aurait souhaité rester à Polytec avec les autres. Depuis ce soir de septembre où il avait décidé de suivre les cinq autres, tout ce qu'il avait fait auparavant le tracassait, pas terriblement mais le tracassait quand même

À quatre heures, les filles ne ramenèrent effectivement aucune médaille...
Rock mentionna à Bob et Mario que son examen s'était bien passé...
Joe, les cheveux encore mouillés, premier à entrer dans l'autobus scolaire, retenait un goût de crier qui grouillait en lui...

Comme à leur habitude, les Six se retrouvèrent aux balançoires du parc.

Un peu de politique à saveur batracienne... (19)

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