vendredi 27 janvier 2006

Le quatre-vingt-unième saut de crapaud

Avant de nous lancer dans l’histoire de la famille Épelgiag, ces Micmacs installés en périphérie de l’Anse-au-Griffon et dont le père a eu beaucoup à voir et à faire dans la lutte à l’incendie qui faillit brûler de la carte le village de la côté gaspésienne, je vous donne à lire ces derniers poèmes qui ont un peu de l’odeur de cet événement.

Le premier est d’Étienne Jodelle, poète ayant vécu au XVIième siècle. Il s’intitule À LA TRIPLE HECATE :

Comme un qui s’est perdu dans la forêt profonde,
Loin de chemin, d’orée et d’adresse et de gens;
Comme un qui, en la mer grosse d’horribles vents,
Se voit presque engloutir des grands vagues de l’onde;

Comme un qui erre aux champs, lorsque la nuit au monde
Ravit toute clarté, j’avais perdu longtemps
Voie, route et lumière et, presque avec le sens,
Perdu longtemps l’objet, où plus mon heur se fonde.

Mais quand on voit (ayant ces maux fini leur tour)
Aux bois, en mer, aux champs, le bout, le port, le jour,
Ce bien présent plus grand que son mal on vient croire;

Moi donc qui ai tout tel en votre absence été,
J’oublie en revoyant votre heureuse clarté,
Forêt, tourmente et nuit, longue orageuse et noire.


Et pour terminer, STANCES DE LA MORT, de Jean de Sponde, poète de la même époque.

Mais si faut-il mourir, et la vie orgueilleuse,
Qui brave de la mort, sentira ses fureurs,
Les Soleils haleront ces journalières fleurs
Et le temps crèvera cette ampoule venteuse.

Ce beau flambeau qui lance une flamme fumeuse
Sur le vert de la cire éteindra ses ardeurs,
L’huile de ce Tableau ternira ses couleurs,
Et ses flots se rompront à la rive écumeuse.

J’ai vu ces clairs éclairs passer devant mes yeux,
Et le tonnerre encor qui gronde dans les Cieux,
Où d’une ou d’autre part éclatera l’orage,

J’ai vu fondre la neige et ses torrents tarir,
Ces lions rugissants je les ai vus sans rage,
Vivez, hommes, vivez, mais si faut-il mourir.

*

Ha! que j’en vois bien peu songer à cette mort,
Et si chacun la cherche aux dangers de la guerre,
Tantôt dessus la mer, tantôt dessus la terre,
Mais las! dans son oubli tout le monde s’endort.

De la Mer on s’attend à resurgir au Port,
Sur la Terre aux effrois dont l’ennemi s’atterre :
Bref chacun pense à vivre, et ce vaisseau de verre,
S’estime être un rocher bien solide, et bien fort.

Je vois ces vermisseaux bâtir, dedans leurs plaines,
Les monts de leurs desseins, dont les cimes humaines
Semblent presque égaler leurs cœurs ambitieux.

Géants, où poussez-vous ces beaux amas de poudre?
Vous les amoncelez? vous les verrez dissoudre :
Ils montent de la Terre? Ils tomberont des Cieux.



Et si le feu brûle, consumant le matériel avec une si facile aptitude, il se cache parfois en nous afin, comme une permission, d’éclairer le passé et de s’allumer vers l’avenir.

Les villageois de l’Anse-au-Griffon, longtemps, ont surveillé du coin de l’œil ce fanal allumé à la porte de leur église, petite flamme comme une photographie ineffable de ce qu’ils vécurent et auront à survivre.

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