jeudi 8 décembre 2011

QUATRE (4) CENT-VINGT-SEPT (27)



Je ne sais pas si cela, déjà, vous est arrivé. Vous lisez. Doucement. Un roman, surtout. Puis, vous tombez sur une phrase, un paragraphe ou une bonne partie d'un chapitre, et vous vous dites: c'est exactement comme cela qu'il faut décrire la chose. On ne peut mieux que cela. Tout y est, mots et images.


En lisant Alessandro Baricco (Océan mer) je viens de vivre un tel moment d'extase. Je vais d'abord vous offrir le texte pour ensuite le commenter. À lire lentement.

« Seul, au milieu de la plage, Bartleboom regardait. Pieds nus, le pantalon roulé pour ne pas le mouiller, un grand cahier sous le bras et un chapeau de laine sur la tête. Légèrement penché en avant, il regardait: le sol. Il examinait l'endroit exact où la vague, brisée dix mètres plus tôt, s'étirait - devenue lac, et miroir, et flaque d'huile -, remontant la douce inclinaison de la plage pour finalement s'arrêter - sa frange ourlée d'un perlage délicat -, et hésiter un instant avant d'esquisser, vaincue, une élégante retraite, et se laisser glisser en arrière, sur le chemin d'un retour en apparence facile, mais en réalité proie idéale pour l'avidité spongieuse d'un sable qui, jusque là pacifique, se réveillait soudain et - cette course de l'eau en déroute - l'évaporait dans le néant.
Bartleboom regardait.
Dans le cercle imparfait de son univers visuel, la perfection de ce mouvement oscillatoire formait des promesses que l'unicité singulière de chacune de ces vagues condamnait à n'être pas tenues. Il était impossible d'arrêter cette continuelle alternance de création et de destruction. Ses yeux cherchaient la vérité, descriptible et mesurable, d'une image complète et sûre: et ils se retrouvaient en fait courir derrière l'incertitude mouvante de ce va-et-vient qui berçait et bafouait tout regard scientifique.
C'était agaçant. Il fallait agir d'une manière ou d'une autre. Bartleboom stoppa ses yeux. Il les dirigea juste devant ses pieds, encadrant une portion de plage muette et immobile. Et il décida d'attendre. Il fallait qu'il cesse de courir après cet épuisant balancier. Si Mahomet ne va pas à la montagne, et cetera, et cetera, se dit-il. Tôt ou tard viendrait - dans le cadre délimité par ce regard qu'il trouvait mémorable de froideur scientifique - s'inscrire le profil exact, ourlé d'écume, de la vague qu'il attendait. Et là, il se fixerait, comme une empreinte, dans son cerveau. Et lui, il comprendrait. Tel était le plan. Avec une abnégation totale, Bartleboom se cala dans une immobilité dépourvue d'affects, se transmuant, si l'on peut dire, en instrument d'optique neutre et infaillible. Il respirait à peine. Dans le cercle fixe découpé par son regard, un silence irréel tomba, un silence de laboratoire. Bartleboom était semblable à un piège, imperturbable et patient. Il attendait sa proie. Et la proie, lentement, arriva. Deux chaussures de femme. Grandes, mais de femme.»

Combien de fois, je ne saurais le dire, et plus particulièrement en marchant sur la plage de Varadero à Cuba, mon regard était subjugué par le travail de la vague, son continuel et si différent aller-retour. Je me suis toujours dit que celui qui écrit doit d'abord et avant tout être capable de bien décrire. En lisant ce passage de Baricco, si extraordinairement bien é et décrit... je suis certain que l'on ne peut trouver mieux pour dire le geste et le sentiment, les mots au service de l'image. On ne peut décrire correctement les sentiments, les émotions sans, au préalable, être en mesure de bien le faire avec les choses, puis le choc des choses, puis le résultat du choc des choses. Il doit y avoir dans cette manière d'écrire une certaine rigueur scientifique un peu comme ce Bartleboom qui cherche à décrire là où finit la mer... Admirable. Et j'achève ce saut, en me disant que dans vingt (20) jours ça sera le grand départ vers le Vietnam. J'en reparle bientôt et plus en détails.

Au prochain saut






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