Voici le deuxième saut contenant des citations de l’auteur québécois Robert Lalonde.
DES NOUVELLES D'AMIS TRÈS CHERS
. J’étais alors le jouet du plus féroce des tourments, celui de n’aimer personne en désirant avidement être aimé de tous.
. Souffrir ne sauve pas, ne punit pas non plus.
IOTÉKA'
. Poète, tu es un vieil enfant qui rêve au paradis que les hommes ont fui.
. Ne t’attache pas à moi. À tout bout de champ je m’envole, je m’enfuis, j’ouvre mes ailes dans un courant d’air tiède et me laisse emporter. Déjà je ne suis que cette toute petite zébrure noire en bordure du nuage, là-bas, au-dessus des pins. Tu me vois? Lève la tête, vite! Tu es si lent, si inattentif, tu as des yeux de taupe. Je serai bientôt en vue des îles Aléoutiennes, sous peu j’apercevrai la presqu’île d’Alaska, l’île Kodiac, le grand chapelet des îles de la Reine-Charlotte. Tu imagines? Oui, imagine – je le sais – mon voyage, mes escales, la force du vent, les constellations qui me guident, leurs reflets dans le miroir des lacs, la grève sablonneuse où je descends boire et me lisser les ailes. Tu imagines aussi, homme inquiet, les dangers que je cours, les orages, les bourrasques, la pluie cinglante, les brouillards aveuglants, la buse qui rôde. Certaines nuits, je sais que tu ne dors pas, occuper à scruter le ciel : tu me crois avalée par le cyclone, me vois chuter en spirale dans la gueule d’un volcan, contempler ma tête fracassée par la paroi d’un glacier imitant traitreusement le bleu du ciel.
Mais tu finis par te rendormir, tandis que je survole une mer de sapins, au crépuscule, toutes mes plumes en chamaille et, au fond de mon œil, ton image à demi effacée par le vent.
. Lever l’œil, purifier le regard, effacer les saccages afin d’imaginer la suite du monde.
. Pour quitter ma léthargie, il me faut cette frousse de perdre ma vie, cette urgence au fond de moi.
. Être humain, c’est être vieux, c’est avoir été, c’est avoir souffert, c’est avoir perdu sa vie, dans la nuit la plus noire.
. L’enfant peut se faire colombe ou loup, alors que le pauvre chien, lui, doit rester chien toute sa vie.
. L’homme sait que sa cervelle est mortelle alors que son cœur n’a ni commencement ni fin.
. Nous ne sommes pas qui nous sommes, mais ce qui fut planté, semé, jeté, déposé en nous, très tôt et une fois pour toutes.
. À demi mort, ton cœur bat toujours, ton cœur ne se repose jamais. Il se souvient, il espère, il écoute, il attend, prisonnier d’une main inconnue qui l’étouffe doucement, les mots dont dépendent sa survie, la suite de ses cognements dans la nuit.
. Interprètes que nous sommes de nous-mêmes, de ce moi multiple et embrouillé que nous abritons sous nos masques successifs, nous jouons, tous, à tour de rôle, l’un en face de l’autre, ce que nous croyons être notre personnage et qui n’est qu’une silhouette, avec son pan de décor brusquement éclairé, sur laquelle, tout aussitôt, la lumière s’éteindra.
. Nous avons tant de scrupules à laisser agir le temps. C’est lui, et lui seul, pourtant, qui apaise (mais il est vrai qu’il tourmente), qui resserre l’âme, la réduit à l’essentiel, à l’irréfutable (mais il est vrai qu’il la dilate et l’embrouille), qui éteint en nous les feux destructeurs (mais il est vrai qu’il les attise), qui détache, éloigne, brise les liens qui nous étouffaient (mais il est vrai qu’il les a tissés). C’est le temps seul qui dévoile la vérité, nous réconcilie avec l’aventure terrestre et, comme l’écrit Catherine Paysan, «nous délivre des miroirs anciens dans lesquels notre âme avait failli se noyer».
. Tel enfant, tel adulte. (Si tant est qu’on devienne adulte. En vérité, non, on n’a pas le temps.)
. Tu ne repasseras plus par tes vieux sentiers, ne reposeras plus les pas dans tes pas, déjà effacés dans le sable. Et pourtant tu marches toujours sur la même route, inconnaissable, connue pourtant. Tout est pareil et tout est changé. Tu sais et tu ignores, tu découvres que tu ignores, tu n’as encore rien fait et tu as toute une vie derrière toi. Tu es fini et tu recommences. Tu te regardes aller et soudain tu t’échappes et tu vois bien ton échappée belle, sur une route de survivance.
UN COEUR ROUGE DANS LA GLACE
. J’ai trois fois vingt ans et ce n’est pas trois fois rien. La jeunesse m’abandonne au matin, me reprend à midi, me chasse de son paradis à cinq heures, je chute avec le soleil et c’est le crépuscule final : encore une nuit, une longue nuit à perdre haleine, à m’essouffler derrière mon jeune fantôme qui tressaute toujours dans sa cage. L’andropause, l’arthrose, le pot aux roses!
Au prochain saut