mardi 11 octobre 2005

Le dix-huitième saut de crapaud

… la suite…

Clémence réalisa avoir oublié son bocal plein de feuilles de petit thé alors qu’elle rentrait chez elle. Sa mère remarqua les pommettes rouges de sa fille ainsi que son oubli. Elle n’en souffla mot mais ne se gêna pas pour lui rappeler qu’elle avait mis du temps. Le cœur de Clémence n’était convoité par aucun garçon du village en raison principalement de sa forte indépendance d’esprit. En effet, à ce que l’on racontait et qui souvent provenait de racontars, de je-le-sais-il-me-l’a-dit, de c’est-toujours-comme-ça-que-ça-se-passe, de puisque-le-curé-en-parle-ça-doit-être-vrai, elle fronçait les yeux ou encore esquissait un sourire narquois. Son père disait d’elle que sa tête ne suivait pas son cœur. Sans friser l’âge où on devient vieille fille, tout le village enviait les parents de Clémence car ils auraient l’avantage de pouvoir compter sur elle pour leurs vieux jours. On l’avait classée dans la catégorie des pas mariables, des servantes de maison. Aucun prétendant ne s’aventurait vers elle, tout étant perdu à l’avance. Mais Clémence savait que tout ce qui se disait, n’était que répétitions écholaliques et vieilles rengaines. À l’inverse de toute bonne fille de l’époque, son sourire ironique la rendait… suspecte.


Au départ de Clémence, le grand Philip acheva de planter son pieu, mesura ce qui lui restait à faire et récupéra le bocal de petit thé oublié par celle que désormais il allait appeler la fille aux petits fruits. Le travail effectué à ses bâtiments (la maison aux trois murs et une petite dépendance sise tout près de la falaise) faisait jaser les gens du village. Quelle idée que de construire à l’envers des habitudes! La maison doit donner sur la route. Les bâtiments construits derrière. La maison, peinte en blanc ou en bleu, pas de cette couleur framboise saumonée comme Philip l’avait fait. Sa dépendance était demeurée sur le bois. De l’épinette. Celle qu’il arrachait à la forêt et transportait à bras.


Grand-père se souvint de cette fameuse saison où le temps prit des habits hors de l’ordinaire. Le grand Philip, arrivé l’automne précédent passa l’hiver hibernant loin du village et de ses habitants. Au printemps, plus court qu'à l'ordinaire, laissa brutalement la place à un drôle d’été. Avril de grands vents, à cela on s'y attend, les vieux répétant continuellement que les vents d’avril sont là pour le ménage : transporter les feuilles mortes vers la forêt, sécher la neige et fouetter les arbres afin qu’ils bourgeonnent dru. Quelques jours à peine avaient-ils grugé le mois de mai que la mer s’amusa à faire éclater des vagues gigantesques sur la grave, le lendemain devenant inerte, sans vie et sans couleur. Une espèce de canicule inhabituelle pour l’époque. Tous les gens en parlaient, allant de leurs hypothèses aussi saugrenues qu’invraisemblables. Certains disaient que la mer muait. D’autres que de malins présages s’annonçaient par les alternances de la mer. Plusieurs avaient remarqué que le nordoît et le suroît s'échangaient leur journée. Les animaux sommeillaient en plein après-midi, gambadaient la nuit. Tout semblait tellement sens dessus dessous que le curé proposa une neuvaine éternelle, jusqu’à ce que le temps retombe sur ses pattes. On ne prononçait pas le nom du diable mais chacun y songeait. Les soirées de danse et de boisson furent immédiatement stoppées. La dîme augmentée. Les politiciens en profitèrent pour faire oublier leurs promesses de routes à asphalter et d’aqueduc qu’il faudrait bien construire. Les plus vieux, n'ayant aucune souvenance d’une telle situation, n’osaient plus rien avancer pour expliquer ce phénomène surnaturel... On se croyait face à un inconnu replié sur lui-même, muet et avare d’indices. Tous les repères disparaissaient.


Un matin de la fin du mois de mai, au lendemain d’une interminable soirée de chapelet offerte à la Sainte Vierge avec la commande précise de ramener le temps dans des allures traditionnelles, Clémence partit vers la forêt, celle située tout juste derrière le repaire du géant Philip.
...à suivre...

Un être dépressif... TIRÉ À PART # 6

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