vendredi 10 décembre 2021

O T I U M 12

Le voyage d’Éclair et d’Hosttana

Essai de conte

« Ce que je tenais à dire aujourd’hui, c’est que l’âme est vagabonde, et qu’il n’est pas dit que le corps soit toujours pour elle le plus accueillant des refuges. »

Jean-François Beauchemin




 Il était une fois une âme qui aspirait à conquérir l’infini.

Sertie depuis des décennies dans le corps d’Éclair, cette âme jeune et vaporeuse avait des velléités d’émerveillement. Soumise depuis quelque temps à l’écoute forcée des gémissements du corps dans lequel elle était enfermée, elle commençait à envisager la possibilité d’être libérée sur la voie de la conquête convoitée. Avec une impatience grandissante, elle rêvait d’une échappée plus ouverte et grandiose que les horizons finis   auxquels la heurtaient les pensées redondantes de l’organisme qui l’hébergeait.

Elle avait l’intuition qu’une fois affranchie de ses entraves, les si ténus échos du monde que lui communiquaient les sens limités de ce corps vieillissant lui seraient dévoilés dans une fulgurante vision. Le grand mystère de l’existence qui l’avait taraudée depuis sa prime étincelle trouverait enfin sa résolution dans un feu de lumière. Elle fantasmait cette éblouissante révélation.

Jour après jour, l’âme d’Éclair se languissait donc de vivre cette apothéose lumineuse.

Un jour, ayant eu vent des ardentes aspirations de cette pauvre âme, Hosttana la fatale, qui par ailleurs était très affairée sur la Terre, eut pitié de ce désir. Il faut savoir qu’Hosttana avait le pouvoir particulier de transmuter les âmes, même parfois sans leur assentiment. Cette fois-ci cependant, touchée par l’honnêteté de cette âme particulière, elle lui fit une proposition :

« Que dirais-tu Éclair que je te lance dans ta quête ? Pour que tu ne te sentes pas trop précipitée, je te propose de rester à tes côtés 49 jours, après quoi, tu auras le loisir de  déterminer la suite. »

Confrontée à ce choix précis, l’âme d’Éclair se mit tout à coup à faseyer d’un léger effroi. Toutefois, la perspective d’être accompagnée par la puissante et apparemment bienveillante Hosttana, la réconfortait.

Elle accepta donc le pacte.

Elle entendit cette nuit-là de puissants coups de tambour arythmique résonner contre toutes sur les parois du corps d’Éclair. Ils furent suivis d’un silence absolu qui ouvrit une brèche par lequel elle se sentit s’échapper.    

Souriante Hosttana se tenait au seuil de ce silence, les bras grands ouverts.

« Viens, dit-elle, nous pouvons entreprendre notre périple…»

C’est alors que côte à côte, l’âme maintenant dépouillée de son prénom de rattachement et l’impérissable Hosttana se lancèrent dans cette vertigineuse cavalcade de 49 jours.

Elles migrèrent à travers des siècles et des siècles de phénomènes.

Hosttana observait la jeune âme éblouie par l’incessante valse de contractions et d’expansions de l’espace-temps; hallucinée par les tsunamis de couleurs - des ultraviolets jusqu’aux infra-rouges en passant par toutes celles de l’arc-en-ciel; fascinée par les maëlstroms de molécules, le jeu des agrégats de matières, les fumerolles, les fumées, les geysers gazeux; subjuguée par les abîmes de noirceurs insondables, les déflagrations de lumière aveuglante, les oscillations de températures extrêmes, les plongées au sein des multivers; ahurie par le concert des sonorités – fatras d’explosions tonitruantes, fréquences terrifiantes, bourdonnement initial ; renversée par la prodigieuse mathématique du chaos.

Au quarante-huitième jour, tandis que les bruits commençaient à s’atténuer pour faire place à un fonds diffus, la chaleur, elle, prenait des proportions cosmiques. Du coin de l’œil, Hosttana surveillait l’âme apparemment moins alerte. Elle n’en était pas surprise.

« Nous arrivons, chère âme, aux confins de notre périple. En effet, nous approchons le point infinitésimal de la singularité et au-delà de ce point, ton ticket ne sera plus valide. Si tu décides de le franchir, ton âme ne fera plus deux avec le créé. Elle basculera et s’absorbera dans le non-né, non-produit, non-créé, non-formé…»

Hottsana ne manqua pas de remarquer le tressaillement qui traversa sa compagne de voyage. Celle-ci semblait frémir à la perspective de cette absolue dissolution dans le mystère qu’elle avait pourtant tant cherché à cerner.

 «Ah Hottsana, se lamenta-t-elle. Veux-tu la vérité ? Je me languis maintenant d’un retour au logis, je m’ennuie de la chaleur d’un cocon, de la sécurité d’une chrysalide, des perceptions d’un corps dans la simplicité des phénomènes terrestres. Oui, je m’ennuie de sentir un corps s’émouvoir dans la contemplation de la couleur du vert ensoleillé des champs d’été, du bleu profond d’un ciel d’août, du pépiement discret des mésanges, du clapotis des flots sur une grève, du parfum sucré du trèfle ou de l’arôme d’un café fumant, du rire des amies ou des exclamations des enfants, de la fraîcheur de la brise de printemps sur la peau, de…»

« Oh ! Je t’entends bien l’interrompit Hottsana qui connaissait parfaitement la suite. Ce sont des choses qui arrivent aux abords de ce point quand l’âme est encore imprégnée. Dans ce cas, je peux te raccompagner jusqu’aux portes de l’entrée d’une nouvelle existence. Tu as déjà franchi l’arche utérin, tu n’auras qu’à refaire ce trajet et espérer que la prochaine existence t’accordera un destin clément et un prénom digne de ta mission. Tu sais, c’est au cours de ces existences que l’âme se forge une stature pour être en mesure de triompher du point de la singularité et d’assumer l’unité. Sois patiente petite âme, ne désespère pas. Ton temps viendra, et je serai toujours là ! »

 

 PS : On aura reconnu qu’Éclair tient lieu de Claire et Hottsana de Thanatos et que Claire n’est donc pas prête à mourir de sitôt, même si son âme aimerait bien avoir un « clue» sur le mystère !

Claire

Décembre 2021


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Au-delà de soi

Le silence éternel des espaces infinis… m’émeut profondément. Devant le grandiose, je me tais et me recueille en moi-même humilité. J’ose ainsi m’élever au-dessus des contingences, et vivre l’au-delà.

Penser l’au-delà! Quand je regarde un grand ciel étoilé, je songe à ces Séminaires de mon ami Jean Bédard, ce paysan-philosophe qui organisait invariablement ses rendez-vous philosophiques aux Perséides, ce moment de l’année en début d’août alors que les étoiles filantes abondent. La première fois où nous nous sommes rendus à Bic pour y participer, nous avions dormi dans le champ près de chez notre amie Marielle Beaupré, à Saint-Valérien.

Nous avions eu le soir, Claire, mon fils Laurent et moi, accès à un magnifique déploiement de cet univers étoilé par un ciel sans nuage, une nuit qui avait inspiré au philosophe Blaise Pascal ces mots:

Le silence éternel des espaces infinis m’effraie.

C’est exactement ce que Laurent, alors âgé de 3 ou 4 ans a dû ressentir, car apercevant ce ciel plein d’étoiles s’étalant à l’infini, est rapidement entré dans la tente pour ne plus y ressortir avant l’aube. De mon côté, ce silence je le vis comme une présence bienveillante. Ce n’est pas pour rien que pour les Grecs anciens, ce mot cosmos signifiait tout aussi bien univers qu’ordre, ou même bon ordre, s’opposant ainsi à chaos. Le philosophe auvergnant le disait éternel car le concevant précédant le temps, et n’étant d’abord qu’espace. C’est tout cela qui m’émeut plus qu’il ne m’effraie.

Ainsi je conçois le cosmos comme une bienveillance qui est : il m’invite à méditer sur ma place dans cette vie pour nous les humains, si brève. Pascal aurait ajouté, qu’au-delà de cet effroi : heureusement il y a la poésie et la musique; d’ailleurs l’astrophysicien Trinh Xuan Thuan ne parle-t-il pas de la mélodie de l’univers?

C’est peut-être ce « silence éternel des espaces infinis » qui inspira à Baudelaire son sonnet, Le Gouffre :

En haut, en bas, partout, la profondeur, la grève,

Le silence, l'espace affreux et captivant...

Sur le fond de mes nuits Dieu de son doigt savant

Dessine un cauchemar multiforme et sans trêve.

J'ai peur du sommeil comme on a peur d'un grand trou,

Tout plein de vague horreur, menant on ne sait où ;

Je ne vois qu'infini par toutes les fenêtres,

Et mon esprit, toujours du vertige hanté,

Jalouse du néant l'insensibilité.

J’ai eu, dans le passé à ressentir ce sentiment de gouffre (qui n’en fut finalement pas un …) un espace-temps où je perdais pied, suspendu dans un univers sans début ni fin.

C’était lors de mon premier voyage psychédélique sous influence de LSD. Le décollage fut d’abord enivrant: le fameux album des Beatles Magical Mystery Tour, me propulsait dans des sensations nouvelles jamais ressenties. Puis ce fut le grand bond dans le cosmos. J’étais assis dehors et regardais ce ciel nocturne sans nuage. Je volais; en fait je virevoltais, en état d’apesanteur. C’était jouissant jusqu’à ce que je me demande comment revenir. Je ne pouvais m’arrêter de pirouetter autour des étoiles. Ce fut alors l’effroi, la peur du gouffre sans fin. Heureusement, une jeune amie assise près de moi, connaissant elle-même l’effet du psychotrope, effleura mon épaule, et me murmura doucement ces mots : « C’est tellement beau, profites-en. N’es pas peur, tu reviendras ». 

Me sentant un peu plus en sécurité, j’eus alors le sentiment non plus d’être ballotté dans tous les sens, mais plutôt de me fondre dans l’infini. Ma conscience se dilatait totalement, voyant autant à gauche qu’à droite; en fait, il n’y avait plus de centre, qu’une sphère en constante dilatation. J’étais de la même nature que le cosmos : une conscience en état de plasma. Je suffoquais comme si ma respiration était insuffisante à soutenir cette expérience suprahumaine : astrale?

Plus tard, ce qui me parut une éternité, l’effet de la drogue s’estompant probablement, je me suis alors vu, assis par terre et regardant le ciel, en état d’hébétude, mais serein. Tout était redevenu comme avant ce voyage cosmique. Je remerciai cette amie initiatrice, compagne avisée et salvatrice de ce périple imprévu mais tellement bouleversant, qui m’a propulsé par-delà mes sens de simple humain, comme une courte visite de l’au-delà.

De cette expérience je retiens cette modeste intuition que l’au-delà, c’est que l’infini, c’est surtout du non encore fini. Que l’éternel, c’est du présent tout le temps. Je fais mienne aussi cette conviction que nous ne pouvons survivre sur cette planète bleue tourbillonnant dans l’immensité du cosmos sans la présence de l’autre, cette nourrissante et essentielle relation vécue à travers l’amitié entre humains. Comme la jonction des deux colonnes de pierre sur cette photo se rejoignant en une gigantesque et puissante poignée de mains.

                                                                                                            Pierre

                                                                                                                           décembre 2021


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Le ciel

 

Deux mains jointes,
telles un parapluie,
abritent
dans une lumineuse clarté stellaire
un être sous la voûte céleste.
 
En appui sur le sol
ces gigantesques patoches
l’encadrent et le protègent.

 

Que cette nuit est belle !

 

au-dessus de nos têtes

 

Elle offre mille clartés enluminées,
des millions de souvenirs
d’origine immémorée
qui lui parviennent
maintenant
après des années-lumières de transit dans l’univers.

 

Cet être humain
scrute l’immensité
y cherchant un autre sens
loin de celui des astrophysiciens,
des télescopes, des philosophes aussi,
un sens qui surpasserait l’espace lui-même.

 

Que cette nuit est belle !


est comme

 

Serait-il porté à chercher un système de mesure
lui permettant d’arriver à se situer
dans cet ensemble qui, jour après nuit,
sans complètement se modifier,
réussit tout de même à tout consigner ?

 

Les deux pieds souqués à la terre,
moult questions surgissent ou rebondissent,
la majorité sans réponses,
gravitant toutes autour d’une seule et même
qui ne semble pas avoir été résolue :
qu’est-ce que je fais ici ?
 

Que cette nuit est belle !

 

une immense forêt d'étoiles.

 

Certains points lumineux
dans cet ensemble pulvérisant l’éternité
s’unissent, se désunissent
cherchent, se cherchent
dans cette pirouette sans fin
qu’une force inégalée provoqua.

 

D’invariables choses se perçoivent la nuit
belles ou obscures
visibles ou invisibles
éphémèrement atteignables
ou
résolument inapprochables.

 

Que cette nuit est belle
lorsqu’on la regarde les mains jointes !

 

* Le ciel au-dessus de nos têtes est comme une immense forêt d’étoiles.
  Hubert Reeves


Jean
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