mardi 27 décembre 2005

Le soixante-troisième saut de crapaud

Voici trois magnifiques poèmes dont la mer est le thème.

LA SIRÈNE
Philippe de Thaun (XIIième siècle)

Sirène la mer hante
Dans la tempête chante
Et pleure par beau temps,
Car tel est son talent.
De femme elle a la forme
Jusques à la ceinture
Et les pieds de faucon
Et la queue d’un poisson.
Quand se veut réjouir,
Haut et clair elle chante
Et quand le nautonier
Qui va sur mer l’entend
Il en oublie sa nef
Et bientôt s’endort.
Gardez-en la mémoire,
Car cela a du sens.

Que sont sirènes? Sont
Richesses de ce monde :
La mer montre ce monde,
La nef, gens qui y sont,
L’âme est le nautonier,
La nef, le corps qui nage.
Sachez que font souvent
Les richesses du monde
Pécher l’âme et le corps :
C’est nef et nautonier,
L’âme en péché s’endort
Pour ensuite périr.

Les richesses du monde
Font de grandes merveilles :
Elles parlent et volent,
Vous tirent par les pieds
Et vous noient. Pour cela
Et de cette façon
Les sirènes peignons :
Le riche a la parole,
Sa renommée s’envole;
Les pauvres, il les étreint,
Les attire et les noie.

Sirène est du même être,
Chante dans la tempête
Comme richesse au monde
Aux riches confondue.
C’est chanter en tempête,
Quand richesse est si maître
Que pour elle on se pend
Et se tue de tourments.

La sirène en beau temps
Pleure et se plaint toujours.
Quand on laisse richesse
Et pour Dieu la méprise,
C’est alors la belle heure
Et la richesse pleure :
Sachez ce que veut dire
Richesse en cette vie.






LE NAVIRE
Max Elskamp (1862-1931)

La troisième, elle, est d’un navire
Avec tous ses drapeaux au ciel,
La troisième, elle, est d’un navire,
Ainsi qu’ils vont sous le soleil.

Avec leurs mâts, avec leurs ancres,
Et leur proue peinte en rouge ou vert,
Avec leurs mâts, avec leurs ancres,
Et tout en haut leur guidon clair.

Or, la troisième elle est dans l’air,
Et puis aussi elle est dans l’eau,
Or, la troisième sur la mer
Est comme y sont les blancs bateaux.

Et les rochers, et les accores,
Et terre dure ou sable mol,
Et les rochers, et les accores,
Et les îles et les atolls;

Et la troisième est seule au monde
En large, en long, en vert, en bleu,
Et la troisième est seule au monde
Avec le soleil au milieu.





Paul Verlaine (1844-1896)


Je ne sais pourquoi
Mon esprit amer
D’une aile inquiète et folle vole sur la mer.
Tout ce qui m’est cher,
D’une aile d’effroi
Mon amour le couve au ras des flots. Pourquoi? Pourquoi?

Mouette à l’essor mélancolique,
Elle suit la vague, ma pensée,
À tous les vents du ciel balancée
Et biaisant quand la marée oblique,
Mouette à l’essor mélancolique.

Ivre de soleil
Et de liberté,
Un instinct la guide à travers cette immensité.
La brise d’été
Sur le flot vermeil
Doucement la porte en un tiède demi-sommeil.

Parfois si tristement elle crie
Qu’elle alarme au loin le pilote,
Puis au gré du vent se livre et flotte
Et plonge, et l’aile toute meurtrie
Revole, et puis si tristement crie!

Je ne sais pourquoi
Mon esprit amer
D’une aile inquiète et folle vole vers la mer.
Tout ce qui m’est cher,
D’une aile d’effroi,
Mon amour le couve au ras des flots. Pourquoi? Pourquoi?



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