jeudi 1 avril 2010

Le trois cent quarante-cinquième saut / Le trois-cent-quarante-cinquième saut




Depuis quand plaisanteries et canulars du 1er avril, communément appelés LE POISSON D’AVRIL, courent-ils? Certains avancent une date aussi reculée que 1564 sans que cela ne soit scientifiquement documenté. Le crapaud a fait sa petite enquête et vous en dévoile les résultats, étrangement, un 1er avril.

Oublions tout de suite les blagues scolaires que l’on faisait tout jeunes alors qu’on accrochait un poisson de papier dans le dos des camarades tout en souhaitant qu’un plus hardi que soi s’attaque au professeur : ce sont les ligues mineures. La vérité s’avère plus importante, plus grave et combien plus complexe…

Au 16ième siècle, parmi les grands débats de l’heure il y avait celui autour du calendrier. Il se posait ainsi : la nouvelle année devait-elle débuter en janvier ou en avril? Le premier jour du mois, évidemment. Puisque nous n’avions pas encore le rapport d’impôts obligatoire et le début de l’année fiscale quelque part en avril comme maintenant, janvier possédait une longueur d’avance. Le roi français Charles IX privilégiait le premier avril, l’ayant même officialisé par l’Édit de Roussillon. Une des principales raisons était évidemment économique : la saison de la pêche était plus productive à ce moment de l’année et il retirait des redevances sur chaque poisson sorti des eaux françaises. Une autre raison relevait de l’ordre de la cueillette desdites redevances : en janvier, certaines régions de son royaume s’embourbaient littéralement sous la neige, de sorte que les percepteurs (ils ne passaient qu’une seule fois l’an) peinaient à se rendre partout de sorte que les filets ne se remplissaient pas autant que Sa Majesté l’aurait espéré, sans oublier qu’en janvier personne n’avait d’argent.

Certains astrologues de l’époque (en 1564, la rencontre annuelle de leur confrérie qui allait se tenir fin mars début avril dans une petite ville de France du Haut-Rhin, Colmar, devait approfondir la question) n’étaient pas d’accord… Dire qu’ils avaient beaucoup d’ascendant, parfois même un certain pouvoir sur les gens influents de la haute société tiendrait du cliché le plus élémentaire. On n’a qu’à rappeler la proposition d’un des grands scientifiques de l’époque, le Japonais Fugu, qui fit déplacer la date d’entrée sous le signe des Poissons en mars alors que depuis des temps non colligés dans les annales astrologiques tombait en avril.

Cette histoire de calendrier provoquait tollé mondial. Si l’on met cela en perspective, un tollé mondial dans les années 1500 n’a pas la même envergure qu’aujourd’hui. Toujours est-il qu’on se doit d’admettre qu’en débattant calendrier cela risquait de modifier le cours des astres, ce qui n’est pas rien, et va droit au cœur de l’astrologue moyen du temps.

Afin d’assister à la réunion de Colmar, Fugu partit du Japon au début du mois de mars. Il retarda le plus possible son départ car notre éminent astrologue s’attendait à recevoir le titre de conseiller particulier auprès des dictateurs de la période Azuchi-Momoyama. Fugu voyagea près d’un mois sur une minuscule goélette pas tellement rapide escomptant ne pas rater les débats de la confrérie. Notons au passage que pour la première fois une telle rencontre, celle de Colmar, aurait lieu dans une ville occidentale et que le principal problème que l’on risquait de rencontrer était relié à celui de la traduction : les interprètes du temps se consacraient presque exclusivement à traduire des textes, très peu l’oral et encore moins en simultané.

Les Occidentaux, que les Orientaux considéraient comme des réformateurs peu éclairés, avaient beaucoup à gagner (et à perdre) lors de ce congrès. Je vous rappelle que le mot congrès date du 16ième siècle mais ne peux absolument pas vous certifier qu’il fut employé en 1564; chose certaine et tout à fait vérifiable, il le fut par la suite pour toutes les autres rencontres des astrologues du monde.

Les Occidentaux pouvaient s’enorgueillir de compter dans leur rang un jeune et très brillant astrologue, Devon, qui avait beaucoup réfléchi sur les nuances sémiotiques entre astrologie et astronomie – petit détail au passage, il reçut de Charles IX, suite à la rencontre de Dolmar, le titre de Dauphin - comptait bien ébranler certaines convictions de l’astrologie traditionnelle (Fugu en étant l’illustre représentant) et, geste politique sans doute, vider la grande question séculaire : à quelle date le début de l’année? Rappelons la position traditionnelle : les Poissons, on avait réglé cela pour mars, il n’était donc absolument pas question de modifier la date du début de l’année et encore moins d’envisager le 1eravril, l’année devant irrémédiablement suivre le cours du Zodiaque.

Je vous épargne l’essentiel des débats qui, on s’en doute bien, se complaisaient dans des études poussées sur la géométrie céleste, la courbure des angles (concept qui ne fit pas long feu) mais principalement sur la philosophie des chiffres – ce qui permit, je le note au passage, de rediscuter la pertinence de maintenir le décret excluant la numérologie des rencontres des astrologues, décret remontant aux années 1450-1500, sans que j’en sois tout à fait certain – mais ce fut les légendaires affrontements entre Fugu et Devon qui retinrent toute l’attention, sans faire les manchettes pour les raisons que vous imaginez. Certaines langues sales diront toutefois que la barrière linguistique les séparant n’a pas favorisé leur compréhension, mais cela fait actuellement l’état d’une recherche post-doctorale dans une célèbre université finlandaise, de sorte que nous attendrons les résultats avant de nous avancer sur un tel sentier.

Alors qu’au fil des discussions, les arguments de Devon s’avéraient de plus en plus rigoureux et de moins en moins attaquables, que le face-à-face allait mener à un dilemme, le Japonais Fugu usa d’un stratagème que l’on pourrait qualifier de… surprenant. L’astrologue japonais lui fit parvenir une sommation de l’affronter en duel; celui qui en sortira gagnant verrait sa proposition adoptée, l’autre détruite. Puisque vous savez ce qui est advenu du 1er avril, vous connaissez donc le résultat du duel et pourquoi l’année s’amorce le 1erjanvier. Mais vous ne savez pas tout, rien n’étant tout à fait ceci ou complètement cela!

Nous sommes en France. Le duel (en japonais on dit dugong) est légal; au-delà même de sa légitimité, il est considéré comme un acte héroïque. Devon le sait, Fugu également. Nous sommes à la croisée des chemins : astrologie traditionnelle versus astrologie moderne. Tout cela alors que le Japon vit des heures politiquement pénibles; la France se dirige tête haute vers la fin de la Renaissance. Deux hommes, deux conceptions, deux dates… peut-être trois.

Il fait brouillard en ce matin de duel au cours duquel Devon et Fugu joueront la suite du monde. La rencontre des astrologues de 1564 prenait une tournure inattendue. Des astrologues présents à la rencontre et sur les lieux du duel, certains diront avoir préalablement lu dans le ciel la prémonition d’une tragédie alors que d’autres s’exclamèrent que l’astrologie se retrouvait dans la poisse. Depuis la veille, une fois parvenu le défi de Fugu à Devon, tout l’aspect scientifique de la rencontre s’en trouva occulté. De mauvaises langues avancèrent même que plus jamais l’astrologie n’allait s’en remettre.

Revenons plutôt à notre duel. Brouillard du matin, à couper au harpon. Une foule départagée qui hésite à prendre position : les Occidentaux à l’ouest, les Orientaux à l’est d’un petit sentier sinueux menant à une semi clairière où on ne voit rien, on entend que des murmures qui ruissèlent de gauche à droite. Atmosphère poisseuse!

Les arbitres et les juges semblent être là. Les témoins, sans doute. La foule, on en a déjà parlé. Ne manquent plus que les deux belligérants à qui on a donné des surnoms; «requin» pour le Français, «espadon» au Japonais. Je note au passage, question de tout vous dire, qu’à la suite de cette confrontation historique les adeptes du dualisme en astrologie firent une percée idéologique remarquable; ça serait trop long à expliquer mais nous y reviendrons peut-être un jour.

Devon arrive. Personne ne le remarqua étant donné les conditions brumeuses ambiantes et l’atmosphère que nous avons tenté de couper il y a quelques instants. Comment pouvaient-ils être certains qu’il s’agissait bien de lui? Question d’horoscope tout simplement: après étude de sa carte du ciel, les éminents astrologues surent qu’il devait se présenter le premier (facile à prédire alors que tout le monde sait que lors d’un duel l’outragé se doit d’arriver avant le provocateur). Une autre raison : son adversaire Fugu ne se présenta pas.

Devon est là, invisible dans le matin du Haut-Rhin. Fugu, absent ou en retard, personne ne peut le certifier. Le duel rencontre un évident problème de logistique!

Voici comment se dénoua cette histoire qui risquait de filer droit vers nulle part. Après plus d’une heure d’attente, le doyen des astrologues le Danois Fisk se mit à crier en latin – cette langue, aujourd’hui morte, était en usage à l’époque lors des congrès majeurs – que le duel s’achevait en queue de poisson. C’est alors qu’une rumeur fit des vagues : on aurait vu Fugu debout sur le plus vieux quai du port de Colmar, attendant la venue du jeune astrologue français.

Tout ce beau monde, dans une cohue qui passera à l’histoire, fila à l’anglaise vers ledit quai. Fugu s’y tenait effectivement, fièrement revêtu de sa tenue officielle, hautement japonaise. Il y avait, placée devant lui, une table qu’un filet coupait en son centre. Une petite balle blanche et deux raquettes y reposaient.

Devon s’avança. Dans une langue qu’encore aujourd’hui on peine à définir, il comprit que le duel serait un match de pingpong, sport inventé quelques semaines plutôt par le Japonais PingPong. Saisi des règles, l’astrologue français salua bien bassement son adversaire et le match, sur le quai du port de Colmar, eut lieu.

Il n’est pas dans mon intention de vous décrire la partie, seulement son achèvement. Fugu, tout comme Devon d’ailleurs, n’avait jamais joué à ce sport et se tenait au bout du quai. Lorsqu’un coup - on le classerait aujourd’hui dans la catégorie des vicieux - le surprit, il recula et ne pouvant se retenir, tomba dans l’eau froide de ce premier avril 1564 alors qu’au loin la brume matinale s’estompait à peine. Fugu coula si rapidement que la foule réunie, et d’un commun accord, se dit que l’illustre astrologue japonais venait de se noyer.

Par un effet surprise du destin, quelques instants plus tard, il jaillit sur la berge alors que tout le monde le cherchait au bout du quai. Tout près de la table de pingpong, une petite balle blanche immobile roulait vers la rivière. De là, vous ne le croirez certainement pas, on aperçut fort distinctement, accrochés dans son dos, trois poissons sur lesquels étaient écrites trois dates en chiffres arabes : 1er janvier, 1er mars et 1er avril.

Lorsque l’on réussit finalement à bien saisir ce qu’il balbutiait en grelottant, les astrologues décodèrent l’augure : l’année devait commencer le 1er janvier; le 1er mars serait la journée des Poissons et le 1er avril serait désormais la journée du POISSON D’AVRIL.

(Ce texte est écrit en nouvelle orthographe)

Au prochain saut

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  Un être dépressif - 14 - C’est à partir du poème de Jean DUGUAY, mon ami psychologue-poète, que je lance ce billet.                      ...