jeudi 10 juillet 2008

SAUT: 220




En voici un premier de ces textes de poètes québécois qui furent des coups de coeur pour le crapaud, coups d'esprit et d'âme également: L'Étoile pourpre d'Alain Grandbois.

J'ai retrouvé dans mes notes cet article publié le samedi 20 mai 2000 dans le journal montréalais LE DEVOIR. Je l'ajoute car il fait bien le tour de l'oeuvre de ce poète né à Saint-Casimir de Portneuf le 25 mai 1900 et décédé le 18 mars 1975.


«Il aurait eu cent ans le 25 mai, Alain Grandbois, notre grand poète doublé d'un immense voyageur. Publiés en Chine en 1934, ses fameux Poèmes d'Hankéou sont réédités à L'Hexagone pour l'occasion et la Bibliothèque nationale du Québec ouvre au public ses archives: lettres, cartes, photos, pipe d'opium, souvenirs d'une Chine d'avant Mao désormais engloutie par l'histoire.

Rien de plus fascinant que de plonger dans les lettres d'amoureuses éperdues expédiées à Alain Grandbois tandis qu'il se baladait autour du monde en semant derrière lui des coeurs brisés. Des cris d'amour et de détresse à l'encre un peu pâlie s'entassent, ceux d'Olga, de Tania et consoeurs, dans les archives de la Bibliothèque nationale du Québec, pieusement conservés par leur destinataire avant le grand legs final. Plus loin, on aperçoit des calepins du voyageur relatant ses impressions d'étranger dans la Chine des années 30, des photos, des dépliants touristiques d'antan, une vieille carte d'époque.

Je me promène à travers ces fascinants souvenirs en fragments, aux côtés de Geneviève Dubuc de la Bibliothèque nationale et de Marcel Fortin, le spécialiste de l'oeuvre de Grandbois. On regarde tout ça, on se dit: quelle vie captivante! mais aussi quel tombeur, cet homme!

Beau, dandy, baroudeur de luxe, trimballant sa fine silhouette souvent dans les colonies, pas très gauchisant, un peu vieille droite même, fin causeur et joli coeur par-dessus le marché. C'est qu'il en fait craquer, des dames...

Alain Grandbois, l'enfant du siècle mort en 1975, aurait eu cent ans le 25 mai 2000. Histoire de souligner l'anniversaire de ce Québécois si singulier, qui fut davantage citoyen du monde que rejeton du terroir, la Bibliothèque nationale du Québec, héritière des archives du poète, en ouvre, rue Saint-Denis, de grands pans au public: photos, lettres, calepins, etc. On y retrouvera même sa pipe d'opium.

En même temps, les éditions de l'Hexagone, en coédition avec la BNQ, lancent une nouvelle édition des fameux Poèmes d'Hankéou, publiés en Chine en 1934, dont de rares exemplaires demeuraient en circulation. Celui de Grandbois légué aux archives de la Bibliothèque nationale sert de modèle à l'édition 2000. Même couverture, même papier, même fil de soie rouge en guise d'attaches. Quatre cents nouveaux exemplaires des Poèmes d'Hankéou voient le jour.

L'initiative appartient à Jean-François Nadeau de L'Hexagone, qui prépara la réédition dudit recueil et convainquit la Bibliothèque nationale de monter dans la jonque du centenaire. C'est vraiment sur le volet chinois des pérégrinations du poète que se concentre l'exposition. La Chine qu'il connut en 1934 était celle de Tintin et le Lotus bleu, avec une Mandchourie sous le joug des Japonais, ses Américains colonialistes et arrogants, une Chine dans les volutes de l'opium, écartelée entre velléités communistes, nationalistes et colonialistes: vieil empire du Milieu alors agonisant. Grandbois devait d'ailleurs rencontrer au Mandchoukouo, l'État fantoche à la solde des Japonais, l'empereur Pu-Yi, dont Bertolucci immortalisa l'étrange destinée à travers son film Le Dernier Empereur.

Fils de famille aventureux, tombeur, dandy, jet-setter avant la lettre, cet enfant de Saint-Casimir de Portneuf fut un grand poète, certes, celui de la liberté comme celui des inquiétudes métaphysiques, et Les Îles de la nuit flottent encore sur les mers de nos sensibilités contemporaines, mais Grandbois demeure aussi une sorte de mythe. À une époque où les Québécois se massaient frileusement autour de leurs clochers, le voyageur errant revenait de contrées exotiques pour éblouir ses compatriotes avec des récits fabuleux, Ulysse accostant son Ithaque, en lui trouvant tout compte fait grise mine... Au début des années 50, il devait d'ailleurs raconter ses souvenirs de voyages dans la série radiophonique Visages du monde, publiés par la suite chez Hurtubise HMH.

De l'argent de famille lui permit, entre 22 et 39 ans, de bourlinguer en Europe, en Afrique, en Orient. Son beau visage racé et sensible, sa classe, sa sensibilité et son charme furent les clés ouvrant les portes de tous les milieux, les palais des princes, les antres de rastas et le lit des dames. Éternel étranger longtemps sans amarres, si ce n'est la petite île française de Port-Cros dans l'archipel d'Hyères, retrouvée comme un refrain entre deux chansons, il louvoyait parmi les mondes, les amours.

Le point culminant de ses aventures fut ce grand périple dans la vieille Chine d'avant Mao, qui s'ouvrit à lui dans le glissement des jonques, sa pipe d'opium au bec. C'était avant la guerre, «avant le chaos», comme en témoigne le titre de son unique recueil de nouvelles si largement autobiographiques qui contribua à nourrir son mythe.

«Shanghai, le jour, de l'aube au crépuscule, convertit en or le riz, le fer, la houille, le pétrole, la soie, l'ivoire, les armes, la drogue, la trahison. Shanghai, la nuit, convertit cet or en fumées, en vices, en plaisirs, dans une gigantesque fête insensée que nulle Sodome, nulle Babylone, nulle Capoue n'ont connue», écrivait-il en 1947 dans La Revue populaire.


Un hasard


La toute première fois que la poésie de Grandbois fut publiée, c'est dans la ville chinoise d'Hankéou, en 1934, et elle le fut par hasard. Le bateau, le Fook Yuen, que Grandbois avait pris à Shanghai au printemps étant obligé de demeurer à quai durant 48 heures, le poète fut hébergé par Pierre R. Spire, un hôte charmant, ex-officier de marine, écrivain, gastronome, logeant dans un ancien palais princier et - ce qui ne gâtait rien - partageant son goût pour l'opium. De fil en aiguille, allongés sur leurs nattes respectives, Grandbois lui avoua qu'il écrivait de la poésie et Spire lui offrit de le publier. Or, au grand étonnement du voyageur, qui croyait à une promesse opiacée et fumeuse - et qui n'avait d'ailleurs jamais pensé être publié où que ce soit un jour -, l'hôte s'exécuta.

De l'aventure émergèrent 150 exemplaires imprimés sur papier de riz des Poèmes d'Hankéou, avec en couverture le nom de l'auteur, le titre et des idéogrammes chinois. La première page, ornée d'une gravure exécutée par Spire, représentait un fumeur d'opium allongé sur une natte. On retrouvera tout ça dans la nouvelle édition.

Marcel Fortin, spécialiste de l'oeuvre et de la vie du poète et dont la biographie d'Alain Grandbois devrait être publiée bientôt à L'Hexagone, estime que tout un flou entoure encore le fameux recueil né en terre chinoise, flou entretenu de manière romanesque par Grandbois lui-même.

Celui-ci en reçut douze exemplaires en partage, en envoya à certains de ses amis: Marcel Dugas, Victor Barbeau, Jacques Rousseau, Jeanne, sa soeur, etc. Quelques-unes de ses blondes, Olga, Jane Thomas, son amie d'Angleterre, auraient également reçu un exemplaire.

Mais en Chine, les 138 exemplaires restants ont disparu dans des circonstances mystérieuses que l'auteur attribua tantôt à la barbarie de «bandits communistes», tantôt au naufrage de la jonque qui les transportait, engloutie soi-disant par un typhon. Une chose est certaine, elles se volatilisèrent sans laisser de traces et la Révolution culturelle chinoise n'allait certes pas les ressusciter.

Précisons que les Poèmes d'Hankéou ne furent pas nécessairement rédigés en Chine. Marcel Fortin croit plutôt qu'ils sont nés certains au Québec, certains en Europe, tout en estimant difficile de leur trouver un berceau. Intemporels, hors lieu, fruits de la poésie sans ancrage, ils auraient pu être écrits sur la planète Mars qu'on n'en découvrirait rien à la lecture.

«Ô vous mon souci d'épouvante / Ô mes étoiles de clarté / Et vous tous îlots noirs du Léthé / Et toi ma ténébreuse attente», écrivait Grandbois.

Les sept poèmes du recueil furent incorporés plus tard dans Les Îles de la nuit avec des retouches et sous un ordre différent. Il ne s'agit donc pas à proprement parler d'inédits pour les lecteurs québécois, mais bel et bien de la renaissance d'une merveilleuse aventure littéraire dans la terre chinoise d'avant tous les chaos.»

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L'étoile pourpre


C'était l'ombre aux pas de velours
Les étoiles sous le soleil mort
Les hommes et les femmes nus
La Faute n'existait plus

Mais sous les pins obscurs déjà
Au creux des cathédrales détruites
Parmi le chaos des pierres tombales
Parmi la ténèbre et les dernières calcinations
Soudain le cri de l'oiseau
La mort s'agite en haut

La pourpre et l'indigo
Le ciel et l'enfer
Son beau visage entre mes mains
Toutes les caresses insolites
Je l'aimais pour la fin
D'un long chemin perdu

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C'étaient les jours bienheureux
Les jours de claire verdure
Et le fol espoir crépusculaire
Des mains nues sur la chair
L'Étoile pourpre
Éclatait dans la nuit

Celle que j'attendais
Celle dont les yeux
Sont peuplés de douceur et de myosotis
Celle d'hier et de demain

Les détours du cri de vérité
La moisson couchée
Au peuplier l'oiseau
Beauté du monde
Tout nous étouffe

Ah vagabonds des espaces
Ceux des planètes interdites
Ah beaux délires délivrés
Le jour se lève avant l'aube

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Que les mots porteurs de sang
Continuent de nous fuir
Un secret pour chaque nuit suffit
Je plongeais alors
Jusqu'au fond des âges
Jusqu'au gonflement de la première marée
Jusqu'au délire
De l'Étoile pourpre
Je m'évadais au-delà
Du son total
Le grand silence originel
Nourrissait mon épouvante

Mon sang brûlait comme un prodigieux pétrole
Mordant comme un acide extravagant
Aux racines de mes révoltes
Aux lits absurdes de mes fleuves
Et soufflaient soudain
Spirales insensées
Les foudroyantes forges du feu
Et se creusaient soudain
Les cavernes infernales

Je niais mon être issu
De la complicité des hommes
Je plongeais d'un seul bond
Dans le gouffre masqué
J'en rapportais malgré moi
L'algue et le mot de soeur
J'étais recouvert
De mille petits mollusques vifs
Ma nudité lustrée
Jouait dans le soleil
Je riais comme un enfant
Qui veut embrasser dans sa joie
Toutes les feuilles de la forêt
Mon coeur était frais
Comme la perle fabuleuse

Cependant je savais
Ton regard inconnaissable
Je savais la fuite
De ta tempe penchée
Et ce froid visiteur
Tombe oh tombe
O nuit d'Octobre
Rougis les allées
Des vieux parcs solitaires
Balance ta lune de flammes pâles
Au faîte des peupliers frissonnants
Ah je t'aimais de larmes si douces
O toi belle endormie
Au bord bleu du ruisseau

Il y avait aussi
L'étonnant espace minéral des villes
Les couloirs fragiles et déchirés
De son coeur et de mon coeur
Son sourire plus fiévreux chaque jour
Je noyais mes désespoirs
Au sombre élan de son flanc ravagé
Je construisais mes vastes portiques
J'élevais mes hautes colonnes de cristal
J'allais triompher
Mes palais soudain s'écroulaient
Aux brouillards de mes mains

Nul feuillage d'or
Nulle calme paupière
Les cyclones rugissaient vertigineusement
Les étoiles se rompaient une à une
Toutes les prunelles étaient tuées
Aspirations géantes
Ah Musique de Minuit
Quelles sources d'extase
Pour vos soifs indéfinies
Chaque instant
Dans la vaine précipitation du temps
Assassinait les ombres du mur fatidique
Requiem sans cesse recommencé

Clameurs clouant le coeur écorché
Dérobant le jour strié de lueurs
Ah visages à jamais fermés
Beau front lisse et glacé de nos mortes

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D'autres rivages sans doute
Mon coeur bat-il trop fort
Devant ces mers éteintes
C'est alors que l'oiseau noir crie.

Alain GRANDBOIS





Prix Alain-Grandbois (poésie)

Chaque année est décerné le Prix Alain-Grandbois, attribué à un auteur pour un recueil de poésie jugé de très grande qualité par un jury formé de trois membres de l'Académie des Lettres du Québec.

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