vendredi 1 juin 2007

Le cent soixante-quatrième saut de crapaud (25)



Chapitre 60



- Un autre meurtre! J'avoue ne plus rien comprendre. Vous n'étiez pas à Montréal, hier? Les propos de l'inspecteur Jackson se dépatouillaient dans le plus grand imbroglio.

Mario, secoué par ce qui venait de se passer, en plus de tenter de garder son calme expliqua au policier la série d'événements qui les avaient conduits jusqu'ici. L'Inspecteur reconnut quelques passages.

Les autres de la gang des Six essayaient de placer leur mot mais furent arrêtés par la montée progressive d'un son strident impossible à endurer. Tout le monde se tut, les mains posées sur leurs oreilles. D'où cela venait-il? Un clou meurtrier allait-il suivre?

La sonorité qui devait assurément dépasser les xyz décibels partait et revenait à intervalles réguliers. Roger Ninja et Raccoon paraissaient être encore plus atteints que les humains.

- Ça vient d'en-haut, dit Caro se demandant ce qui allait advenir des punks endormis au milieu de la pièce. Une fois réveillés, recevront-ils à leur tour un clou meurtrier?
- Il faut monter.
- Redonnez-moi mon arme, jeune homme.
- Êtes-vous convaincu que nous n'avons rien à voir dans cette histoire de vol? demanda Mario, tendant l'arme à Jackson.
- Vos explications me satisfont. Unissons maintenant nos efforts afin de résoudre ce mystère.

Le bruit revint, de plus en plus aigu et intense. L'impression que les tympans allaient se perforer se généralisa. Oreilles bouchées, les Six + un + un inspecteur et son chien se préparèrent à monter à l'étage quand des bruits de pas supplantèrent le son sifflant. Tous s'arrêtèrent et dirigèrent leurs yeux vers l'escalier où apparurent des jambes. Puis un homme à l'allure très jeune se présenta, armé d'un lance-marteau identique à la description qu'en avait faite un des employés de la Brink's.

- On est morts, balbutia Caro.

Roger Ninja se mit à gronder. Raccoon se sauva vers Joe.

Au moment où le personnage arriva au bas de l'escalier - inutile de préciser que personne ne parlait, retenait son soufflle et avait les tempes au bord de l'éclatement - il dit:
- Si quelqu'un bouge, c'est la mort. La voix, celle d'une personne très âgée, ne concordait pas du tout avec la physionomie du personnage.

Après avoir jeté un regard du côté du punk, il visa les cinq autres étendus au sol avec son lance-marteau qui laissa partir une pluie de clous dans leur direction. Ils nageaient dans le sang, eux qui n'eurent jamais le temps de se rendre compte ce qui arriva.

Annie, reconnaissant la couleur rouge du ruisseau, hurla et entièrement hystérique, s'écroula aux pieds de Bob qui ne réagit pas. Ce fut Caro qui alla vers elle, l'entoura de ses bras.

- Vous allez tous me suivre, dit le personnage qui déjà remontait par l'escalier.

Mario fit les premiers pas et dans son regard vers les autres, le message était clair: on écoutait et on suivrait à la lettre les indications que ce personnage leur donnerait.

L'inspecteur Jackson, en deuxième, rata la première marche et s'affala dans l'escalier. Péniblement et avec l'aide de Roger Ninja qui accourut, il se releva et gravit les autres marches... convenablement.

Une fois tout le groupe parvenu à l'étage, une salle où un écran géant trônait sur le mur blanc, le personnage s'asseya derrière une table en cuivre identique à la porte surdimensionnée que Jackson avait rencontrée au sous-sol, de même qu'aux boîtes dans lesquelles se trouvaient les tubes de verre. Son regard, à la fois jeune et vieux, soutenu par des yeux habités par une férocité incroyable. Lorsqu'il se mit à parler, ce fut en phrases courtes, articulées un peu comme si un allemand se serait mis à parler français:
- Restez de l'autre côté de la table.

Tous suivirent les ordres, presque au garde-à-vous. L'écran s'activa. Ils virent apparaître devant eux la pièce où ils se trouvaient. Sur vidéo, les images projetées étaient celles qu'ils vivaient présentement, comme si on les filmait. Ils se voyaient dans la pièce, devant la table de cuivre, en temps réel, plus trois secondes... Ils étaient ce qu'ils seront...

Le scénario changea. Se déroula devant leurs yeux stupéfaits tout ce qui venait de leur arriver, à rebours. Les événements revenaient dans l'ordre inverse où ils se déroulèrent. Pendant quelques minutes... ils virent ce qu'ils avaient vécu depuis près de trois jours... tout cela passait devant eux... Le temps n'était plus arrêté... suspendu... il existait dans une autre dimension qui s'amusait à le définir fort différemment.

Parfois, c'est la gang qu'on voyait. Ensuite l'Inspecteur. Les Six se revirent dans les arbres puis Jackson courir autour du camion. Joe rit. Tout, chaque seconde, chaque instant, tout repassait: ce matin, hier, avant-hier... Ce qu'ils virent leur parvenait en muet. Par la suite, l'écran se noircit. La parole fut comme redonnée à chacun, les sons et les bruits aussi. Rock s'entendit raconter sa vie. Joe ne rit pas.

Le personnage, dans son impassibilité stoïque, surveillait. Les voici maintenant à l'étang... tout s'arrêta.
- Vous avez failli ne jamais aller plus loin, dit-il.

L'inspecteur était dépassé par ce qui se déroulait devant lui. Roger Ninja cherchait Raccoon.

- Jamais vous n'auriez dû franchir cet étang, reprit-il.

Tous se demandaient si Mario allait s'adresser au personnage, le seul qu'ils croyaient capable de lui parler. Rapidement ils se rendirent compte qu'ils ne pouvaient pas se fier au policier - les images que l'écran retransmettait de Jackson ne lui étaient pas tout à fait favorables, au point qu'il sentit une espèce de honte s'installer en lui - son chien semblant plus dégourdi.

- Une fois cet étang traversé, vous êtes entrés dans le monde du Triangle d'Or.

Le personnage respectait une pause après chacune de ses phrases comme voulant étirer la situation, surtout que son regard de fer faisait frissonner chacun des Six + au moins Jackson parce que les deux représentants de la gent des quatre pattes ne semblaient pas du tout concernés par ce qui se déroulait.

- l i n v o l i n g s t r y p o u f

Ces paroles empruntées à une langue inconnue se mirent à danser dans l'imagination de Mario. Elles lui rappelèrent que sur le cadavre de sa légende, plus précisément sur le médaillon qu'il portait, la même phrase était inscrite, du moins cela sonnait comme tel...

- On ne doit jamais franchir l'espace entre la réalité et le fantastique, c'est trop risqué.

On croirait entendre un robot parler. Toujours sur le même ton, les mots sortant de la bouche du personnage s'accrochaient à l'intelligence de Mario. Il savait, maintenant, que dans quelques instants, il s'adresserait au personnage.

- Toi, approche.
Mario réagit sur le champ, fit quelques pas en direction de la table en cuivre sans y toucher et cherchant à soutenir le regard glacial du personnage.
- Le triangle... l'insigne... le 9...

Mario pouvait prendre la parole même si son coeur faisait des bonds, le personnage venait de l'autoriser à le faire:
- J'ai beaucoup observé, mais je ne comprends pas encore.

L'écran reprit vie. Le champ de blé lentement s'ouvrit sur un cimetière où les cadavres des six punks étaient étendus. Des pierres tombales bougèrent engloutissant les corps. Le champ de blé réapparaut.

- Le triangle est le symbole de notre organisation. À chacun des trois sommets, un chef. Indépendants. Remplacés quand cela devient nécessaire. Aucun ne sait lequel possède l'autorité absolue.

L'écran représenta à nouveau le champ de blé s'ouvrant une première fois sur le cimetière et une deuxième fois, sur une piste d'atterrissage où une dizaine d'hélicoptères s'apprêtaient à décoller.

- Le Triangle d'Or est une organsiation internationale présente sur les cinq continents. 36 personnes pour chacun des continents en font partie. Tu remarques le 9. Pourquoi maintenant le chiffre 9? Es-tu assez intelligent pour me le dire?

Mario n'osa pas répondre, se disant que si le personnage lui donnait toutes ces informations et que lui énonçait tout ce qu'il croyait savoir, cela pourrait signifer leur arrêt de mort.
- Le 9 signifie beaucoup pour votre organisation.

Le personnage se leva, s'avança vers Mario et à quelques centimètres de son visage, un sourire en coin, lui dit:
- Le nombre 9 évoque le rêve... l'imagination... l'idéal... la grandeur... l'expansion... Le Triangle d'Or est une organisation puissante au-delà de ce que tu puisses imaginer. Nous allons vous présenter nos réalisations et vous verrez qu'elles sont plus incroyables les unes que les autres.

Pendant plus d'une heure - en temps triangulaire, il va sans dire - défilèrent devant les yeux étonnés des Six + les autres, des images d'une rare qualité technique présentant des innovations étonnantes: un rayon laser ultra puissant fabriqué à partir de pierres précieuses; des armes atomiques et chimiques, présentant la forme d'outils, téléguidées à distance; des médicaments provoquant le rajeunissement, même l'immortalité; des systèmes radar et de détection vidéo d'une remarquable puissance; et encore, et encore... Tout défiant l'imagination la plus fertile.

- « Lin vo ling strypouf » signifie en sanscrit, une très vieille langue, l'aigle à deux têtes. Notre symbole, celui que vous avez remarqué sur l'insigne tenant dans ses griffes, des outils. Le personnage, toujours à quelques centimètres de Mario, n'avait pas bougé durant la projection sur l'écran géant.
Mario ouvrit la bouche pour demander:
- Pourquoi tous ces cadavres?

Retournant à son fauteuil, jamais son regard ne se fit plus menaçant qu'en ce moment:
- Pour nos expériences. Nous avons besoin d'animaux et d'êtres humains afin de tester nos produits qui donneront, un jour, le privilège de ne plus vieillir, ne plus mourir, de modifier profondément la planète et au-delà.
- Les drogues?
- La poudre blanche est une drogue tellement puissante qu'une quantité égale à ce que peut contenir une tête d'épingle ferait mourir qui que ce soit en une fraction de seconde.
- Comment expliquez-vous tout ce qui se passe ici?

Le personnage appréciait les questions de Mario, surtout parce qu'elles provenaient d'une intelligence vive sachant utiliser son sens de l'observation avec une acuité remarquable.

- Un immense champ magnétique nous permet d'envahir une partie de cette dimension, celle qui part de l'étang pour s'arrêter au bout du champ de blé. Lorsque le neuvième ordinateur sera en marche et bien, nous disparaîtrons et nous installerons ailleurs.
- Au Groenland, par exemple.
- Tu as tout compris.

Tous écoutaient attentivement les échanges entre le personnage et Mario, se demandant ce qui allait advenir de tout cela... et d'eux.

- Et nous?
- Vous vous êtes trouvés par hasard sous l'influence du champ magnétique. Vous êtes au courant du vol des pierres précieuses? C'est nous. Vous savez que notre organsiation existe. Vous devenez donc dangereux pour la suite des choses.

L'écran se remit à diffuser des images. Ils virent le vol survenu à Montréal. Les six scooters avec les punks formant le triangle autour du camion de la Brink's... puis autour du camion de monsieur McCrimmon alors que Rock et Joe étaient à l'intérieur.

- Vous êtes vraiment entrés dans notre espace, dit le personnage.

Les images sur l'écran continuaient avec la précision d'une mémoire qui déballerait son contenu. Le panneau ensanglanté: l'insigne reliait le système vidéo du repaire à l'endroit ils s'avançaient.

- Comment pouviez-vous continuellement nous suivre? demanda Mario.

Le personnage se dirigea vers Joe et montra l'insigne collée dans son veston.
- Cet émetteur-récepteur nous permettait de vous suivre. Cela vous sauvera.

Mario et les autres comprirent ces dernières paroles mais n'en saisirent pas le sens, les yeux toujours rivés à l'écran. Le feu de camp le soir de la légende, la plaque sous les tisons, encore un autre système ultra perfectionné de communication.

- L'eau rouge?
Le personnage, par la seule force de son esprit, réussissait à contrôler les images passant à l'écran. Ils virent l'eau rouge sous la lune... puis l'Inspecteur pateaugeant dans le ruisseau et criant qu'il se croyait affreusement blessé. Joe pouffa de rire.
- Un canal relié à ce ruisseau envoie le sang des cobayes de nos expériences.

Encore des images. Ils se voyaient maintenant dans la grotte: les hélicoptères quittant la piste, voilà ce qui faisait ce terrible vacarme

- Les carcasses d'animaux, cé tu vos affaires itou?
Le personnage, stupéfait d'entendre Joe, le dévisagea:
- Tout ce qui vous a affecté, transformé, c'est notre oeuvre. Sous l'effet de notre champ magnétique, vous perdiez vos résistances devenat ainsi plus sensibles à nos émissions.

Le personnage ferma les yeux. L'écran s'arrêta. Il se dirigea vers la porte et sortit. Tous et chacun se regardèrent, inquiets face à une suite qui leur était totalement inconnue.

L'inspecteur Jackson s'approcha de Mario:
- Nous sommes cuits. Tombés dans un piège inimaginable, diabolique! Comment pourrons-nous nous en sortir?
- C'est vous l'inspecteur. C'est à vous de nous sortir de là.
- J'ai beau réfléchir, je ne vois pas comment.

La pièce redevint silencieuse. Le fait d'avoir reçu les explications pour chacun des phénomènes bizarres, rendait l'atmosphère plus pesante encore. Qu'allait-il leur arriver? Où le personnage était-il allé? Est-on en train de leur préparer une belle mort? Pourquoi avoir dit que l'insigne cousu à l'ourlet du costume de Joe allait les sauver? Une diversion? Les outils pouvaient-ils se retourner contre eux, cette organisation qui regardait vers un autre siècle? Pourquoi l'écran, là tout de suite, ne projetterait-il pas des images de leur futur? Ils n'ont pas de futur! Qui les sauvera? Pourra les sauver?

Un être dépressif... TIRÉ À PART # 6

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