vendredi 14 octobre 2005

Le vingt et unième saut de crapaud



... la suite...

Grand-père se doutait bien que si les phénomènes que connurent son village et ses habitants eussent eu lieu maintenant, aujourd’hui dans ce monde où les médias, pour un rien et parfois moins encore, déplacent mer et monde, parcourant par monts et par vaux le proche et lointain afin de triturer les entrailles des événements et ceux des gens. Ils auraient projeté des images tellement fausses de la réalité afin de rendre tout ce que vivaient les villageois au rang du fait divers de la journée, pour ensuite le ficher dans la colonne des affaires classées. Mais telle n’était pas la situation. Nous sommes à mille années-lumière de ce genre de couverture, la seule fut un entrefilet perdu dans l’hebdomadaire de Rimouski, rien dans celui de Gaspé. Et pour les villageois, c’était mieux ainsi. On préférait, à l’époque, s’organiser avec ses problèmes, éviter de les répandre un peu partout et un peu plus loin. Nous assistions à une forme de repli sur eux-mêmes. Comme si face à une catastrophe incompréhensible on se serait appliqué à lui faire traverser le couloir de nos connaissances et nos savoirs s’apercevant qu’elle demeurait toujours mystérieuse.

Depuis la valse des étoiles, la nuit imitait le jour s’amusant à jouer les imprévisibles. La torpeur envahit les quelques kilomètres carrés où vivait un peuple de plus en plus irritable. Chacun croyait maintenant que la nature étant affectée par une espèce de virus, il allait désormais s’attaquer aux gens. Ils se mirent alors à se suspecter, fouillant les comportements de tout un chacun à la recherche de modifications qui pouvaient les rendre méconnaissables, scrutant les paroles jusqu’à la pensée. Une sorte de paranoïa s’empara du curé le faisant craindre l’arrivée d’un nouveau faiseur de conscience qui lui déroberait sournoisement le pouvoir qu’il entretenait auprès de ses ouailles. Ses appels aux neuvaines commençaient à ne plus résonner ainsi que ses messages à s’en remettre à la grâce de Dieu et au saint patron de la paroisse.

Pendant ce temps-là, Philip n’en finissait plus de rafistoler son coin de terre, le rendant méconnaissable. Ce que l’on observait, de loin bien sûr et sans jamais en parler, son nom même devenu tabou, c’est tout ce qu’il plantait, semait ou orientait, tout cela ne ressemblait en rien aux coutumes et usages de la région. Des arbres différents et qui répondaient à des noms empruntés du latin; des légumes dont les experts maraîchers du coin n’avaient jamais entendu parler; sa persistance à construire tout en direction du nord. Mais principalement sa volonté de demeurer à l’écart. Tous savaient que Clémence lui avait rendu visite, peut-être même plus d’une fois et qu’elle n’en soufflait mot à personne, pas même à sa mère. Que jamais il n’avait manifesté le désir ou l’intention de descendre au village pour le nécessaire ou la messe. Un étrange étranger que les plus vieux, adorant conserver des mots qui avaient tendance à sécher dans l’oubli, attachaient à leurs phrases pour les retenir, appelaient l’horsain. Philip l’horsain…

Grand-père n’arrivait pas, même en forant creux dans ses souvenirs les mieux enfouis dans une mémoire de plus en plus fragile, à situer dans cette saison peu ordinaire, le moment précis où il fut décidé, suite à une rencontre improvisée chez Émile, le marchand général, de mandater quelqu’un afin de voir comment lui, le géant Philip jaugeait la situation. Dire combien les hommes du village refrénèrent leur hostilité face à ce venu de loin pour finalement se résigner à une action que plusieurs, par la suite, qualifièrent de faiblesse incroyable. C’était admettre leur impuissance.

Lorsque le curé eut vent d’une telle initiative, il fit venir au presbytère le maire du village, un dénommée Léo. On l’élisait de terme en terme comme on le dit par ici, tout simplement parce que personne d’autre ne convoitait le poste et surtout, il savait lire et écrire. Mais comme orateur, on avait vu mieux. Le curé s’indigna qu’on ne l’ait pas consulté. Le maire répondit que lui non plus n’avait pas été mis au courant. Le curé cria des bêtises à la bêtise d’un maire incapable de prendre ses responsabilités. Le maire reçut les insultes, les rangea parmi toutes les autres reçues garnissant un florilège qui s’épaississait de jour en jour. Le curé donna ordre au magistrat de boycotter cette intervention, lui rappelant son droit de veto. Le maire sortit du bureau de monsieur le curé, avec l’odeur de soutane plein le nez et au cœur, une sorte de haine qu’il chercha à réprimer. Il décida de se rendre chez Émile.

- Comment ça se fait qu’on prend des décisions sans consulter le maire de la paroisse?
- Parce que le maire de la paroisse ne prend pas de décisions.

Léo venait de se faire clouer le bec et les clous que le marchand général avait utilisés, le crucifièrent sur place. Le maire se rappelait qu’un témoin oculaire gagne en crédibilité. Lui, il n’avait rien vu de la valse des étoiles, seulement entendu parler. Le maire ne pouvait contester les faits et depuis, aucune réunion du conseil municipal ne s’était tenue. Il entendait bien les reproches dirigés vers son inactivité et son silence. Que l’on soit à la recherche de réponses pouvant adoucir le climat dans la population ne le surprenait pas, mais se sentir coincer entre le curé et eux le rendait mal à l’aise. N’ayant aucune suggestion à apporter, il se résigna, quitte à se faire savonner par le curé.

- Avez-vous quelqu’un en tête pour agir comme émissaire?
- On n’a pas pensé à toi, mon Léo.
- Qui alors?

La journée n’avait pas encore fait sa pause entre le dîner et le souper qu’une délégation composée d’Émile, Arthur ainsi que le vieux Aldège se présenta chez les parents de Clémence.

... à suivre...

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