...la suite...
Et que contenait cette lettre? Serait-elle, bien malgré la volonté de l’épistolier lui-même, objet d’une controverse, d’une querelle entre les catholiques et les anglicans de la région, ce à quoi la génération de notre grand-père avait, jusqu’à maintenant du moins, échappé? Renfermait-elle un tissu de mensonges auxquels Constant John avait habitué la communauté depuis assez longtemps pour que le titre de parleur sans rien dire lui soit accolé et qu’une indifférence généralisée l’eut suivi? Y avait-il, seulement, un message d’adieu ou une indication sur les motifs de son départ nocturne? Une confession et des excuses? Des regrets, peut-être?
Émile n’avait jamais pris en compte la religion des clients qui fréquentaient son magasin général. C’était là une question intimement personnelle et ne justifiait pas qu’il servit différemment qui que ce soit. Il remarquait bien que tout le mystère entourant le départ impromptu du forgeron alimentait les conversations, certains allant même jusqu’à relever certaines médisances ou certaines calomnies afin d’y donner soit un peu de crédibilité ou du moins, y voir une anguille sous roche ou une pas de fumée sans feu. Cela l’inquiéta. Au point qu’il jugea nécessaire d’en parler avec le curé, envisageant même, si rien n’allait dans le sens de calmer les rumeurs et les suppositions, de se rendre chez le pasteur Montgommerey afin que de son côté, il agisse.
Le curé le reçut poliment. Les relations entre les deux hommes ne dépassaient guère ce niveau de civilité. Émile, en homme sage sachant écouter avant d’agir, ne souhaitait promouvoir que la concorde.
- Émile, la lettre que j’ai lue avec le pasteur est très courte. Elle dit tout simplement que Constant John a quitté la paroisse ne pouvant plus accepter que sa clientèle l’ait déserté en faveur du forgeron de Rivière-au-Renard.
- C’est tout?
- C’est tout ce que je puis dire.
- Vous savez tout le bavassage que l’on répand autour de cette histoire, ça commence à miner la tranquillité du village.
Le curé se campa par la suite dans un mutisme complet. Soit il ne voulait plus rien dire, soit que ce qu’il avait appris dans la lettre relevait du secret de la confession. Pourtant, Constant ne pratiquait plus depuis belle lurette. Mais personne ne savait s’il avait abandonné la religion catholique ou l’anglicane.
Il se résolut donc à se rendre chez le pasteur qui l’accueillit avec beaucoup d’entregent. Il lui offrit de prendre un thé.
- J’attendais quelqu’un du village. Je suis satisfait des démarches que vous entreprenez, monsieur Émile. L’histoire du pauvre Constant John, en plus de faire parler d’elle, se trouve au cœur même de l’existence de nos deux communautés. La coexistence même.
Monsieur Montgommerey se leva, alla vers son bureau, en revint avec à la main une lettre qu’il remit à Émile, l’invitant à en prendre connaissance. Celui-ci, surpris, reçut le document signé des initiales C.J., prit une profonde inspiration avant de la parcourir. Il y était écrit…
Moi, Constant John, maréchal-ferrant sans emploi dû au fait que la clientèle de mon père qu’il tenait de mon grand-père a déserté la forge pour se rendre à Rivière-au-Renard, suis devenu un homme de boisson. Ne pouvant plus me regarder en face, ni même mon reflet dans le miroir du bar où je passe mes journées et mes nuits, moi, à 30 ans bientôt, qui avait trouvé dans le mensonge, la médisance et la calomnie une façon d’être écouté, ai pris la décision irrévocable de partir. De nuit. Après ce court instant aux pieds de la fosse familiale où je laisserai dans le fond de ma dernière bouteille de scotch ce message, je saluerai une dernière fois mes aïeux avant de prendre la forêt, là où tout jeune encore j’ai fait la rencontre des coyotes et me laisserai dévorer par eux. Sachant que cela ne chagrinera personne et que cette mort m’éloignera du cimetière, c’est ici que je dépose la tristesse de ma vie. Je n’ai d’excuses à donner à personne. On n’écoutait pas mes mensonges mais on les entendait. L’imposture nourrit autant que la vérité. La religion en est le meilleur exemple. Nous vivons entre catholiques et anglicans comme dans un mirage, avec l’illusion de l’entente mais tout cela n’est que duperie. La seule vérité qui résistera à ma mort sera la suivante : les anglicans d’ici n’auront été tolérés que par la qualité des services qu’ils rendaient. Mes parents, les forgerons, sont là pour en témoigner. Ils se sont tus toute leur vie. Ainsi, ils ont survécu. Moi, je parlais, disant n’importe quoi, surtout des faussetés, et voilà que par le jugement populaire je suis devenu incompétent, menteur et ivrogne. Ce n’est pas le scotch qui m’aura mené à la mort, mon foie résistant encore, mais la lucidité à voir dans votre foi, l’une comme l’autre, l’artifice de la tromperie. Les coyotes m’attendent alors que je laisse les loups à eux-mêmes.
Le pasteur Montgommerey récupéra la lettre que lui tendait Émile, fustigé par sa lecture.
- Il y a de ces secrets que la mort emporte avec elle et qui toujours peuvent le demeurer.
De retour au village, Émile annonça qu’il organisait pour le lendemain une battue dans la forêt afin de voir si, peut-être, on n’y retrouverait pas des indices de la disparition de Constant John.