…la suite…
Des rouges mêlés à des jaunes ignés se profilaient derrière une silhouette plantée debout, droite dans le portique de l’église, dessinant sur les craquements de l’incendie un tableau encadré de fumée et de sons lugubres. Le curé fit silence. Émile s’avança d’un pas chuintant. Tel un cicérone du malheur, il s’adressa au chanoine Boudreau avec une voix emboucanée quasi inaudible.
- Monsieur le curé, puis-je m’adresser à tout le monde?
Le marchand général traversa la nef. Arthur, le bedeau, referma délicatement les portes non sans avoir jeté un regard sur l’extérieur. Impossible de dire sans y être allé dans quel état se trouvait le village à ce moment-là. Une fin de janvier ressemblant à ces jours du mois d’août durant lesquels la canicule vous écrase.
L’assemblée, muette depuis son entrée, rassemblée face à un drame n’ayant rien à voir avec quoi que ce soit de déjà vu, de déjà connu, de déjà entendu dire, vit Émile, les yeux plissés à cause de la fumée et maintenant de l’obscurité que seuls les lampions et le cierge pascal bravaient, prendre la parole alors que l’enfer encerclait l’Anse-au-Griffon, avalant méthodiquement et sans aucune retenue tout devant lui.
- Il ne faut pas penser à ce que nous perdons mais à ce qui nous reste. La famille Lacasse est introuvable. Leur maison est rasée. Ce qui veut dire que le feu progresse plus loin encore. Rien ne l’arrête. Nous sommes impuissants puisque sans moyens. Nous avons essayé, Aldège, le père Guillemette et moi de les retrouver. Le toit s’est écroulé. On croit qu’ils étaient tous à l’intérieur. La grand-mêre Lacasse y a sûrement passé aussi. Tout comme les enfants. À moins qu’ils aient décidé de s’enfuir vers Cap-des-Rosiers. Nous aurions dû les voir.
Grand-père retiendra ce sourd murmure dans la noirceur se confondant au scintillement du cierge que le curé, péniblement, venait de remettre entre les mains d’Angèle, sa ménagère, avant de s’effondrer dans le fauteuil d’honneur.
- Le vent est contre nous, reprit Émile qui arrivait difficilement à chasser le chat qui toussait dans sa gorge. Nous reste à espérer une forte neige. Personne ne peut lire les nuages, on ne les voit plus depuis la fin de l’après-midi. J’aurais aimé dire que mon magasin soutiendrait nos estomacs mais il n’existe plus. Je vous promets, la main sur le cœur de l’évangile, que je rebâtirai, le plus rapidement possible. Mais il y a autre chose.
Au malheur semblait s’ajouter la détresse. À grands coups d’indifférence, l’incendie, dans ses plans diaboliques qui n’épargnaient rien, s’en prenait aux vies humaines. Pour la famille Lacasse, si cela s’avérait exact, on parlait de quinze personnes : les parents, leur douze enfants ainsi que la grand-mère. Mais voilà que le marchand général, devenu sans l’avoir demandé, une espèce de général d’une armée désarmée annonça :
- J’ai besoin d’aide pour secourir là où le feu se dirige. Vers les «sauvages».
On aurait entendu une mouche griller. Sans doute quelqu’un remarqua les mouvements de têtes allant de gauche à droite puis vers le sol. Aucune réponse. Un toussotement, peut-être. Une parole, non. Un geste spontané, encore moins. Vissés au chœur, dans une fragile sécurité, entourés d'une menace qui ne ferait pas de cadeau, les hommes se taisaient, les femmes s’assuraient de la présence de leurs enfants.
- Bon. Je comprends votre silence. J’irai donc tout seul, dit Émile remontant le collet de son paletot qui puait la suie.
Il fit à rebours les pas l’ayant mené jusqu’à l’autel, se signa rapidement avant de se diriger vers les grandes portes de l’église.
Quelle ne fut pas sa surprise de se retrouver face à face avec l’institutrice Gaudreau dont l’entrée discrète n’avait été remarquée par personne!
- Je vous accompagne monsieur Émile.
Sa voix douce dans l’âpreté ambiante jetait un baume qui rejaillit immédiatement sur notre grand-père. Celui-ci, sans réfléchir, bondissant d’auprès de sa mère, cria :
- Moi aussi.
…à suivre…
Des rouges mêlés à des jaunes ignés se profilaient derrière une silhouette plantée debout, droite dans le portique de l’église, dessinant sur les craquements de l’incendie un tableau encadré de fumée et de sons lugubres. Le curé fit silence. Émile s’avança d’un pas chuintant. Tel un cicérone du malheur, il s’adressa au chanoine Boudreau avec une voix emboucanée quasi inaudible.
- Monsieur le curé, puis-je m’adresser à tout le monde?
Le marchand général traversa la nef. Arthur, le bedeau, referma délicatement les portes non sans avoir jeté un regard sur l’extérieur. Impossible de dire sans y être allé dans quel état se trouvait le village à ce moment-là. Une fin de janvier ressemblant à ces jours du mois d’août durant lesquels la canicule vous écrase.
L’assemblée, muette depuis son entrée, rassemblée face à un drame n’ayant rien à voir avec quoi que ce soit de déjà vu, de déjà connu, de déjà entendu dire, vit Émile, les yeux plissés à cause de la fumée et maintenant de l’obscurité que seuls les lampions et le cierge pascal bravaient, prendre la parole alors que l’enfer encerclait l’Anse-au-Griffon, avalant méthodiquement et sans aucune retenue tout devant lui.
- Il ne faut pas penser à ce que nous perdons mais à ce qui nous reste. La famille Lacasse est introuvable. Leur maison est rasée. Ce qui veut dire que le feu progresse plus loin encore. Rien ne l’arrête. Nous sommes impuissants puisque sans moyens. Nous avons essayé, Aldège, le père Guillemette et moi de les retrouver. Le toit s’est écroulé. On croit qu’ils étaient tous à l’intérieur. La grand-mêre Lacasse y a sûrement passé aussi. Tout comme les enfants. À moins qu’ils aient décidé de s’enfuir vers Cap-des-Rosiers. Nous aurions dû les voir.
Grand-père retiendra ce sourd murmure dans la noirceur se confondant au scintillement du cierge que le curé, péniblement, venait de remettre entre les mains d’Angèle, sa ménagère, avant de s’effondrer dans le fauteuil d’honneur.
- Le vent est contre nous, reprit Émile qui arrivait difficilement à chasser le chat qui toussait dans sa gorge. Nous reste à espérer une forte neige. Personne ne peut lire les nuages, on ne les voit plus depuis la fin de l’après-midi. J’aurais aimé dire que mon magasin soutiendrait nos estomacs mais il n’existe plus. Je vous promets, la main sur le cœur de l’évangile, que je rebâtirai, le plus rapidement possible. Mais il y a autre chose.
Au malheur semblait s’ajouter la détresse. À grands coups d’indifférence, l’incendie, dans ses plans diaboliques qui n’épargnaient rien, s’en prenait aux vies humaines. Pour la famille Lacasse, si cela s’avérait exact, on parlait de quinze personnes : les parents, leur douze enfants ainsi que la grand-mère. Mais voilà que le marchand général, devenu sans l’avoir demandé, une espèce de général d’une armée désarmée annonça :
- J’ai besoin d’aide pour secourir là où le feu se dirige. Vers les «sauvages».
On aurait entendu une mouche griller. Sans doute quelqu’un remarqua les mouvements de têtes allant de gauche à droite puis vers le sol. Aucune réponse. Un toussotement, peut-être. Une parole, non. Un geste spontané, encore moins. Vissés au chœur, dans une fragile sécurité, entourés d'une menace qui ne ferait pas de cadeau, les hommes se taisaient, les femmes s’assuraient de la présence de leurs enfants.
- Bon. Je comprends votre silence. J’irai donc tout seul, dit Émile remontant le collet de son paletot qui puait la suie.
Il fit à rebours les pas l’ayant mené jusqu’à l’autel, se signa rapidement avant de se diriger vers les grandes portes de l’église.
Quelle ne fut pas sa surprise de se retrouver face à face avec l’institutrice Gaudreau dont l’entrée discrète n’avait été remarquée par personne!
- Je vous accompagne monsieur Émile.
Sa voix douce dans l’âpreté ambiante jetait un baume qui rejaillit immédiatement sur notre grand-père. Celui-ci, sans réfléchir, bondissant d’auprès de sa mère, cria :
- Moi aussi.
…à suivre…