jeudi 15 janvier 2009

Saut: 256

André Gide, jeune


Il y a déjà un bon moment que nous ne nous sommes pas arrêtés à l'enseigne d'un écrivain qui fut pour le crapaud un personnage signifiant. Aujourd'hui, saut 256 ainsi que le suivant, le 257, nous irons chez André Gide.

J'ai lu Gide, je devais avoir moins de 20 ans, et, à cette époque, lire un auteur mis à l'Index par l'Église... eh! bien ça représentait un exploit et exigeait une certaine audace. C'était la première fois qu'une aussi belle, aussi parfaite écriture bouleversait des idées ancrées dans mon cerveau des années... '60, un cerveau de pas encore 20 ans!

Le voici.

André Gide naît à Paris le 22 novembre 1869 et y meurt le 19 février 1951. Ses parents, originaires d’Uzès dans le Midi pour le père et de Rouen en Normandie pour la mère, sont (du côté paternel) d’austères protestants depuis toujours, et (du côté maternel) d’anciens catholiques devenus protestants et qui adoptèrent une ligne puritaine disons... pure et dure. Ces contradictions (le Midi et la Normandie, l’austérité protestante et le protestantisme issu de la libre-pensée) auront beaucoup marqué André Gide.

Dès son jeune âge, il apprend le piano - il en fera un compagnon de vie - mais ses mauvaises habitudes à caractère sexuel, qu’il appellera son «vice», lui occasionneront plusieurs renvois scolaires.

La rencontre avec sa cousine Madeleine (vers 1882) sera l’occasion d’une relation tortueuse mais débouchera sur une correspondance fort importante, des débats intimes et des questionnements fondamentaux. Suivront d'autres rencontres plus intellectuelles (Oscar Wilde, Pierre Louÿs, Stéphane Mallarmé) mais celle avec l’auteur anglais le marquera alors qu’il deviendra pour André Gide le modèle d’une autre voie.

En 1892, il part en voyage (initiatique, si l’on peut dire) avec le peintre Paul Laurens et voyagera malgré la maladie en Tunisie, en Algérie et en Italie.

Au retour d’un second voyage, en 1895 celui-là, et du décès de sa mère qui le surprotégea une bonne partie de sa vie, il se fiance avec sa cousine Madeleine, se marie mais sans jamais consommer l’union, son homosexualité en étant la raison.

Pendant tout ce temps il écrit en rappelant que «ses œuvres sont comme des jalons sur son chemin, écrites par réaction les unes aux autres et qu’on ne peut comprendre que dans une vue d’ensemble».

«Les Nourritures Terrestres» paraîtront en 1897 et recevront un accueil chaleureux.

En 1911, la NRF (Nouvelle Revue Française) dont il est le chef de file sans en être le directeur, s’associe à Gaston Gallimard afin d’adosser une maison d’édition à la revue.

L’influence que Gide exerce sur la jeunesse de son époque est immense.

Il reçoit le Prix Nobel de littérature en 1947 et en 1952, son œuvre est mise à l’Index par le Vatican.

Ses œuvres maîtresses sont :
Les Nourritures terrestres; Les Nouvelles nourritures; L’Immoraliste; Si grain ne meurt; La Porte étroite; La Symphonie pastorale; Les Faux-monnayeurs.

C’est André Gide qui aura écrit, selon moi, la plus belle phrase de la langue française… du moins parmi celles que j’ai lues :
« Je ne saisirai plus les mots que par les ailes. »

Voici quelques citations tirées de ce livre essentiellement essentiel : Les nourritures terrestres. Et de cet autre essentiel : Les nouvelles nourritures. Vous comprendrez que cela exigera deux sauts (les 256 et 257) pour arriver à tout vous les présenter.

. Et quand tu m’auras lu, jette ce livre – et sors. Je voudrais qu’il t’eût donné le désir de sortir – sortir de n’importe où, de ta ville, de ta famille, de ta chambre, de ta pensée. N’emporte pas mon livre avec toi. Si j’étais Ménalque, pour te conduire j’aurais pris ta main droite, mais ta main gauche l’eût ignoré, et cette main serrée, au plus tôt je l’eusse lâchée, dès qu’on eût été loin des villes, et que je t’eusse dit : oublie-moi.
Que mon livre t’enseigne à t’intéresser plus à toi qu’à lui-même, - puis à tout le reste qu’à toi.

. Ne souhaite pas, Nathanaël, trouver Dieu ailleurs que partout.

. Que l’importance soit, dans ton regard, non dans la chose regardée.

. Il y a d’étranges possibilités dans chaque homme. Le présent serait plein de tous les avenirs, si le passé n’y projetait déjà une histoire.

. … chaque instant de notre vie est essentiellement irremplaçable…

. Nathanaël, que chaque attente, en toi, ne soit même pas un désir, mais simplement une disposition à l’accueil. Attends tout ce qui vient à toi; mais ne désire que ce qui vient à toi. Ne désire que ce que tu as. Comprends qu’à chaque instant du jour tu peux posséder Dieu dans sa totalité. Que ton désir soit de l’amour, et que ta possession soit amoureuse. Car qu’est-ce qu’un désir qui n’est pas efficace?

. Il ne me suffit pas de lire que les sables des plages sont doux; je veux que mes pieds nus le sentent… Toute connaissance que n’a pas précéder une sensation m’est inutile.

. Chaque action parfaite s’accompagne de volupté. À cela tu connais que tu devais le faire. Je n’aime point ceux qui se font un mérite d’avoir péniblement œuvré. Car si c’était pénible, ils auraient mieux fait de faire autre chose. La joie que l’on y trouve est signe de l’appropriation du travail et la sincérité de mon plaisir, Nathanaël, m’est le plus important des guides.

. Il y a des maladies extravagantes qui consistent à vouloir ce que l’on a pas.

. L’ivresse n’est jamais qu’une substitution du bonheur.

. Nos actes s’attachent à nous comme sa lueur au phosphore; ils font notre splendeur, il est vrai, mais ce n’est que notre usure.

. Ah! jeunesse – l’homme ne la possède qu’un temps et le reste du temps la rappelle.

. De quel tombeau me suis-je évadé ce matin? – (Les oiseaux de la mer se baignent en étendant leurs ailes.) Et l’image de la vie, ah! Nathanaël, est pour moi : un fruit plein de saveur sur des lèvres pleines de désir.


Au prochain

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