samedi 7 décembre 2024

Si Nathan avait su (14)

 


Une atmosphère singulière se dégage de l’environnement autour de laquelle la maison que la famille Ojie-Crie habite depuis deux générations, à la suite de leur déménagement vers ce village sans que personne ne puisse, encore aujourd’hui, en déterminer ou en expliquer les raisons. Cette maison placardée de cèdre qu’annuellement on nettoie et récure, solide dans son cadre identique à celui de la réserve sur laquelle la famille du grand-père Gordon vivait sur les rives de la rivière Missinaibi dans le nord-est de l’Ontario. Sur le terrain s’élève un tipi fabriqué avec l’écorce de bouleau, cet arbre que Benjamin surnomme «l’arbre blanc».

Gordon a choisi cette région en raison de l’affluence d’érables qui lui permet de perpétuer une tradition ojie-crie, celle de l'acériculture. Celui que l’on surnomme «l’ancêtre» dans la famille est un homme craint par les villageois. Comme il ne parle pas le français, que l’ojibwée, les contacts avec les gens du village sont occasionnels, l’ancêtre laisse à son fils Don le soin de communiquer avec eux, lui qui manifeste une aisance spectaculaire pour apprendre les langues étrangères et une pédagogie fort efficace pour les transmettre. 

Le décès du patriarche Gordon fit scandale au village. Plusieurs mois passèrent avant que l’on sache que son corps avait été incinéré sur l’emplacement où vit sa famille. Le curé avait réuni les marguilliers dont la majorité forment aussi le conseil municipal, afin de prendre une décision, à savoir si l’on devait aviser les autorités judiciaires sur ce qu’ils appelaient un outrage au cadavre. Le maire avait ajouté - sans vérification au préalable - qu’il craignait le même sacrifice, c’est le terme qu’il employa, lorsque l’ancêtre féminine mourrait, ce qui, toujours selon lui, n’allait pas tarder. Finalement une omerta fut proclamée, on n’allait pas ameuter la région et les administrations sur une situation qui risquait davantage de perturber le village qu’autre chose, surtout qu’on devait continuer à vivre avec des membres de deux générations subséquentes, celle de Don et de son fils Gord. De toute cette affaire, ce que l’on sut et qui sembla non pas rassurer la population mais au moins l’amener à accepter que cette tribu - il y avait une note de sarcasme dans cette expression - pouvait s’organiser avec ses affaires, c’est que les contacts entre eux et la réserve vivant maintenant tout près de Sault-Sainte-Marie, en Ontario, s’avéraient plus fréquents qu’on pouvait l’imaginer. C’est ainsi que Don rencontra celle qui deviendrait son épouse, tout comme ce fut également le cas pour Gord. D’elle-même la rumeur de consanguinité s’étouffa.

Du groupe familial ojibwé, seul Don fréquenta l’école. En fait, vers l’âge de 20 ans, il reçut de son père l’invitation à se mêler davantage à la population et pour ce faire, s’inscrire à ce qu’on nommait «l’école des adultes» lui paraissait une bonne voie à suivre. Sa facilité à apprendre les langues lui permit en très peu de temps de maîtriser suffisamment le français et de s’intéresser au métier d’inspecteur des terres et fôrets, un emploi qu’il pratique toujours malgré qu’il soit dans la soixantaine.

- Benjamin, tu vas rencontrer une amie qui entre elle aussi à la maternelle à la fin août.

Le fils, quelque peu timide, s’approcha vers le magnifique chien-loup qui s’assoyait devant lui. Leur regard se rejoignait un peu comme s’ils se connaissaient depuis des lunes. L’épouse de Don, Abigaëlle, une grande jeune femme aux cheveux noirs qui voltigeaient dans ce vent si particulier lorsqu’il resquille entre les arbres.  Ne crains rien, il n’est pas méchant, dit-elle avec un sourire qu’on ne pouvait plus accueillant.

 - Chelle, tu viens rencontrer ton prochain ami de maternelle ?

La petite fille aux cheveux aussi noirs que ceux de sa mère, aux yeux d’un brun luisant, trottinant vers les nouveaux arrivés, regardait Benjamin d’un regard pénétrant ce qui redoublait sa beauté naïve. Bonjour ! Tu aimes mon chien?

Pour une des premières rencontres avec un enfant de son âge, Benjamin, faisant passer ses livres d’un bras à l’autre, ne se sentit absolument pas embarrassé. Le mien s’appelle Walden, dit-il, flattant le chien-loup dont la douceur l’émerveillait. Nous, c’est une femelle que nous surnommons Ojibwée. C’est le nom de notre langue maternelle.




Alors que les deux enfants faisaient connaissance sous l’oeil protecteur de la chienne, Daniel et Jésabelle précisèrent le but de leur visite.

- Ma belle-mère se repose actuellement, mais je suis certaine qu’elle se fera un plaisir de vous revoir. Si elle peut lire ta grossesse, tu dois t’attendre à ne recevoir que la vérité. Elle ne raconte que ce qu’elle voit et ressent. N’invente rien.

- C’est la raison pour laquelle nous nous arrêtons aujourd’hui. Mon amie sage-femme prévoit que ça sera un deuxième garçon qui naîtra en avril prochain. Mais ce que je veux entendre de ta belle-mère ça regarde surtout l’aspect spirituel.

- Laissons-là se reposer. Je vais préparer une limonade, il fait si chaud.

- Je t’accompagne.

Nous voici en présence de trois duos, celui des femmes qui entrent dans la maison, de deux enfants se dirigeant vers le tipi et qu’un chien-loup chaperonne, finalement deux hommes accoudés sur la camionnette.

 
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L’intérieur du tipi dans lequel Chelle et Benjamin s’installent, Ojibwée à leurs pieds, sent la fraîcheur du cèdre, respire le calme comme s’il s’agissait d’une chapelle bleue, impose un silence retenu. Les deux enfants ne cessent, chacun à son tour, de jeter un oeil sur cette brassée de livres que le garçon ne semble pas vouloir déposer sur le sol torpide.
 
- Tu y tiens à tes livres ? Benjamin les plaça sur les genoux de la fillette qui, surprise, le fixant, ne semblait pas trop comment réagir. On n’a pas beaucoup de livres chez nous. On parle plus qu’on lit. Quand on lit, c’est ma grand-mère qui le dit, c’est dans les paroles des autres, dans leurs pensées.
- Moi, je lis beaucoup et cela depuis plusieurs lunes, enchaîna Benjamin.
- Tu comptes le temps en lunes?
Benjamin ne sembla pas bien saisir les propos de Chelle, mais remarqua que le chien-loup soutenait le regard de la petite fille comme si ces derniers mots lui rappelaient quelque chose.
- Chez les membres de ma famille, la lune est très importante. Elle nous aide à suivre le temps.
- Moi aussi je suis ami de la lune. Je lui donne un nom, «perle fabuleuse».
- Comme c’est beau. Ça ressemble à bien des mots que ma grand-mère dit. Des fois, je ne la comprends pas, mais c’est beau ce qu’elle dit.
- Je vais l’aimer ta grand-mère, surtout si elle aime la lune comme moi.
 
Un certain silence s’installa entre les deux enfants, Chelle feuilletant chacun des bouquins que son nouvel ami lui avait prêtés qui lui caressait la chienne avec affection.


                                

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