dimanche 11 janvier 2015

AUNG SAN SU KYI 4 janvier 2015


Ligue Nationale pour la Démocratie



Rangoun, 4 janvier 2015

Journée de l’Indépendance de la Birmanie (Myanmar). 7 heures le matin. N'absolument pas rater cette journée. Je suis en Birmanie en grande partie pour assister à la conférence de Aung San Su Kyi (Prix Nobel de la Paix 1991) entreprenant cette entreprise muni de bien peu d’informations : une seule, en fait. Fera beau, peu humide. Rangoun est calme, pas d’activités officielles prévues. ''Lady'' ne se rendra pas dans la capitale (Naypyidaw) pour assister aux activités à caractère militaire organisées par le gouvernement de Thein Sein, Président de la Birmanie.

Depuis mon arrivée à Rangoun, discrètement, fort discrètement devrais-je dire, j’essaie de glaner ici et là des informations sur le lieu de la conférence tenu secret. Si je me fais discret, les Birmans le sont davantage : gens croisés au marché, le concierge de l’hôtel, un vendeur de calendriers et l’autre, de journaux, tous ne peuvent me répondre prétextant ne pas bien comprendre la demande. Il est vrai qu’à Rangoun la langue anglaise n’est pas très utilisée et ceux qui l’emploient en arrachent.

Taxi, direction le 54 University Avenue

Adresse de la résidence de Aung San Su Kyi qui fut aussi sa prison pour plus de 15 années de sa vie. Le chauffeur de taxi connaît l’endroit, c’est évident, mais rien d’autre qu’un hochement affirmatif de la tête dans lequel je lis ''bonne chance''. 

– Une vidéo tournée à ce moment est déposée sur ma chaîne You Tube –

Je frappe innocemment à la porte d’entrée. Je vous évite les quatre ou cinq ''in and out'' de la part du gardien partant se renseigner revenant chaque fois avec des ''non, c’est impossible'', ''on ne sait pas''. Je n’obtiendrai de lui, écrite sur un bout de papier, que l’adresse du bureau officiel de la NLD (National League for Democracy). Je suis fort conscient que je ne pourrai rien faire avec ce détail, surtout un dimanche.

Il est 8 heures 30, toujours rien de concret. Mon ami photographe malaysien voyage en Russie, il ne peut donc me pister et comme un imbécile, j’ai perdu le nom qu'il m'avait donné, celui du responsable des communications et relations publiques de la NLD.

Je rôde autour des longs et hauts murs en ciment de la maison. Dans la rue qui mène à l’Université de Rangoun, des taxis passent. Personne ne s’arrête. Ça devient évident que la conférence n’aura pas lieu ici; ne reste qu’une possibilité: me poster devant la maison, installé dans un taxi et suivre la voiture de Aung San Su Kyi lorsqu’elle franchira la grille en route vers ce fameux endroit mystère. J’apprendrai plus tard qu’on aura modifié le lieu de la réunion à cinq reprises pour des raisons de sécurité.

Adjacente au 54 University Avenue...

... une maison qui ne paie pas de mine semble habitée. Je m’y rends, utilisant le subterfuge employé pour tenter de convaincre le gardien de me donner des informations, à savoir que je suis journaliste canadien spécialement envoyé pour couvrir l’allocution de Aung San Su Kyi.

Le type qui me reçoit semble sympathique. Un vieil homme, assis par terre au milieu d’une grande pièce, me jette un coup d’œil interrogateur. Il demeure à son téléphone portable alors que je m’explique. Le type, tout sourire, dit connaître l’endroit, qu’il me l’écrira sur un bout de papier. Je lui tends celui que le gardien m’a donné. Je tiens peut-être la clé ou suis complètement perdu, suivant une piste menant nulle part. Je dois jouer le tout pour le tout. Avant de le quitter, je lui demande l'autorisation de grimper à l’étage prendre quelques photos de sa voisine. Il refuse car tout est délabré – il ne précise pas pour quelle raison – seulement l’endroit où nous nous trouvons actuellement est sûr.

Revenant vers l’entrée du 54, une voiture taxi arrêtée dans laquelle le chauffeur examine une carte routière; deux autres personnes sont à l’intérieur. Je m’approche, accueilli par un couple de Danois, eux aussi à la recherche du lieu de la conférence. Ils n’ont que cette adresse pour information malgré le fait que leur gendre et leur fille vivent à Rangoun, y travaillant pour un organisme communautaire de l’ONU.

Nous décidons de poursuivre ensemble munis d’un petit bout de papier sur lequel on peut lire : (112/Golden Hill Power near Pauswin Nizi Hall).

10 heures, heure de Rangoun

Nous trouvons, finalement, le Royal Rose. Les décorations aux couleurs de la NLD nous encouragent tout comme la présence de plusieurs Birmans arborant la cocarde de la ligue. Les Danois sont discrets, me laissent tenter d’obtenir le maximum tout en souhaitant pouvoir assister à quelque chose de concret, ils quittent Rangoun en milieu d’après-midi.

Dans le groupuscule de gens qui fourmillent sur la place extérieure, des organisateurs sans doute, je cherche un dirigeant pouvant confirmer, officialiser notre information. Celui à qui je parle - je me présente à lui comme journaliste canadien - fait un appel, me demande d’attendre et surtout de ne pas entrer dans la salle car on est à la sécuriser. Cette information me réjouit et m’angoisse à la fois. C’est ici pour le moment et espère que ça ne changera pas. Se présente alors un type dont le visage m’est familier, le voyant souvent sur la page de la NLD de Facebook tout près de Aung San Su Kyi. J’ose un nom, Oo Thian Uu. Il me parlera dans un anglais meilleur que le mien alors que dans ses yeux qui me transpercent carrément, se lit la détermination à ne rien permettre qui puisse gêner quoi que ce soit au déroulement de cette importante journée.

Le journaliste canadien aura une entrevue avec la ''Lady''

Après une courte conversation téléphonique, il m’annonce que je serai le seul journaliste étranger présent et qu’il m’organisera une rencontre avec Aung San Su Kyi, accompagné d'un traducteur. Je n’en demandais pas tant mais j’imprimai dans mon cerveau la photo de celui que j’allais dorénavant nommer ''mon contact''. Je pouvais quitter pour revenir vers 12h puisqu’elle ne parlera qu'à 13h. J’aurai aussi une place à l’intérieur du Royal Rose.

Les Danois s’excusent, ça sera trop tard pour eux et on se quitte. J’en profite pour me promener autour du quartier et suis de retour vers 11h30.

Midi, tout se bouscule

On entre et on sort de la salle du Royal Rose. À une heure de la cérémonie, je suis rassuré, on ne changera pas d’endroit. La seule inquiétude demeure qu’une menace (une autre) parvienne et que Aung San Su Kyi ne se présente pas. Tout me semble sous contrôle, les mesures de sécurité qui se déploient sous mes yeux laissent présager que plus rien n’entravera ce moment tant attendu.

Dans l’attente, j’organise le possible déroulement d’une entrevue mais je suis déjà sur un nuage; y installer près de moi la ''Lady'' risquerait de voir tout s’écrouler sous le poids de l'intensité de mes émotions. D’ailleurs, ce responsable des relations publiques, ''mon contact'', en  a certainement vu d’autres avant moi et le subterfuge derrière lequel j’ai mis toute ma confiance et misé mes dernières billes, il me tient sous surveillance – par moi-même-  sachant que je ne voulais surtout pas être exclu de la salle. Mon objectif : y être. Et ça allait bientôt devenir réalité.

Midi. Mon contact m'invite à entrer – YoYo me suit, je l’ai présenté comme mon assistant – nous conduit à la troisième rangée, environ 5 m du siège qu’occupera la conférencière. Le nuage devient de plus en plus confortable. Je jure sur ce qui est le plus précieux dans ma vie qu’aucun être vivant sur terre n’aurait pu me déloger de l’endroit où j'étais.

13h00, Aung San Su Kyi arrive

Il doit y avoir minimalement une trentaine de photographes – je ne sais trop s’il y a quelques journalistes parmi ce groupe placé du côté gauche de l’estrade – faisant le pied de grue. Un caméraman de la télévision birmane m’avait informé à l’extérieur que Aung San Su Kyi ne donnerait pas de conférence de presse suite à son discours : ça n’est pas dans ses habitudes, a-t-il dit. Vers 13h00, 300 personnes se massent dans cette salle hyper climatisée, toute décorée aux couleurs de la NLD (fond rouge sur lequel un immense paon jaune s’envole vers l’étoile blanche, la même que celle que l’on retrouve au centre du drapeau de la Birmanie).

Il y a quelques instants à peine, après l’avoir fouillé jusqu’en ses racines, on a déposé un immense bouquet de fleurs. Je vois de mon siège qu’il provient de la Chine. Il sera de l’autre côté des deux micros qu’un technicien tapote depuis plus d’une heure.

Le plus remarquable jusqu’à maintenant, alors que les dignitaires, des hommes âgés pour la plupart, prennent place sur des chaises qu’on leur a réservées, c’est ce murmure qui monte de manière égale et continue de la salle. On sent une fébrilité contenue. Le service d’ordre et de sécurité s’avère d’une rare efficacité.

Je jette régulièrement un regard du côté de mon contact bien installé parmi les photographes. Alors que je lui expliquais travailler à partir de seulement ma caméra vidéo Kodak, ses yeux plissent, mais comprend que pour passer des vidéos c’est bien, le tout ressemblant à un bien simple appareil téléphonique portable. À ce moment-là, je suis encore certain que mon hameçon tient un bon poisson.

Puis, ça bouge. On applaudit. On lance des interpellations en birman qui semblent s’adresser à la ''Lady''. À la multitude de flashes, je sais même si je ne vois rien encore, qu’elle est entrée. Devant elle, comme un train qui toussote on fait quelques pas, on s’immobilise, on repart. Enfin, je peux la voir. Vêtue de vert, fleurs blanches dans les cheveux, elle s’arrête à la hauteur d’une dame âgée. Elles se parlent et en signe d’au revoir, leurs deux fronts se touchent.

D’un pas décidé, Aung San Su Kyi s’avance vers l’estrade. Les applaudissements la précèdent et la suivent. Elle s’arrête. On lui indique une place devant la petite table à thé. Aveuglée par tous ces flashes, elle n’en tient pas compte. Elle s’assoit après avoir salué à la manière bouddhiste les personnes autour d’elle.

Le moment des discours

Avant que Aung San Su Kyi prenne la parole, deux autres dirigeants de la NLD auront parlé, en birman il va sans dire. Puis c’est à son tour. Pendant une vingtaine de minutes, de cette voix que je n’avais entendue qu’à partir d’enregistrements sonores, de cette voix en accord parfait avec le regard qui balaie la salle. Je conserverai longtemps en mémoire la qualité de ce regard duquel aucune frayeur, aucune crainte ne transpirent. Pendant une vingtaine de minutes j’enregistre, voix et regard. J’apprendrai par la suite que ce discours avait une teneur électorale; 2015 sera année d’élections. Elle parle aussi de sagesse dans le développement de son parti.

Je n’y comprends absolument rien mais je suis là, caméra en main avec cette espèce d’orgueil ou d’attitude de groupie que parfois, lorsque sa tête se tourne du côté où je me trouve, elle m’aurait peut-être vu…

À la fin des allocutions, on lui remet un petit éléphant tout décoré de rouge et de jaune, il a la forme d’une piniata.  Son sourire illumine autour d’elle ceux qui ont l’honneur de faire la présentation de ce cadeau qu’elle semble beaucoup apprécier.

Comme Aung San Su Kyi s’est levée, je tente de m’approcher. Derrière elle, 2 m environ, j’ai toujours mon contact en vue. Je peux prendre une photo alors qu’elle se dirige vers quelques moines bouddhistes (tunique safran) qu’elle salue religieusement. Puis un cordon de jeunes hommes l’encercle. Délicatement mais avec assurance, on la fait se diriger vers la salle adjacente puis une sortie. Je me faufile tout comme la meute de photographes surpris par ce mouvement spontané des forces de la sécurité. Deux minutes plus tard, elle aura disparu, mon contact aussi et moi, penaud mais combien heureux, ma caméra dans les mains devenue l’objet le plus précieux de Birmanie, je me retrouve à l’extérieur où une musique de fête donne le ton à une immense marionnette en forme d’éléphant qui y va, sous une chaleur torride et un soleil aveuglant, d’une danse que la foule accompagne par ses applaudissements.

Tout est fini

Il est bientôt 15h00. La foule, bras dessus bras dessous, le sourire aux lèvres, celui si caractéristique et si gratuit des Birmans, retrouve la rue, me semble-t-il le cœur gonflé d’un souffle qui ressemble à une inspiration.


À la prochaine

Voici le lien YOU TUBE pour les deux vidéos prises lors de l'événement:



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