Au-dessus de chez-moi, les meubles bougeant sur des roulettes se dirigent vers la sortie et le camion de déménagement. Le locataire quitte. Il emménage dans un condo. Cela, les déménagements, font partie de la routine montréalaise, mais parfois ils peuvent prendre la forme de grands dérangements. Je pense ici aux bouleversements inimaginables qu'ont vécus les Gaspésiens lorsqu'en juillet 1970, une loi les plaçait devant le fait accompli: plusieurs seraient expropriés et de manière cavalière sinon sauvage afin que l'on puisse aménager le parc Forillon. Je lis actuellement le roman de Lionel Bernier, La bataille de Forillon, qui en trace les grands événements. Je suis certain que si on allait dans les cahiers de notre grand-père, on pourrait facilement y retrouver quelques souvenirs figés dans les larmes et les révoltes de cette triste époque. On y reviendra.
J'offre aujourd'hui trois poèmes écrits en juillet dernier à Saint-Maurice-de-l'Échourie ( il me semble que le comité de toponymie du Québec devrait suggérer à ce petit village magnifique qui n'a pas peur de s'avancer très près de la mer, eh! bien de ne porter que le nom de l'Échourie, c'est tellement beau). Les accompagnent deux photos de ce que les Gaspésiens appellent la mer, d'autres le fleuve, certains l'estuaire.
où?se cache le temps
où?se cache le temps entre l'espace des vagues moutonneuses? au bout de l'horizon nuageux? à la cime des arbres qu'écrasent les oiseaux? sur les ailes du vent qui charrie des couleurs sans nom?
(alors que la mer étire ses bras électriques...
où?se cache le temps entre l'immensité de nos amours vertes? plus loin encore que le regard des îles? là où le soleil installe l'éternité?
...la vie de gauche à droite circule accrochée à du roc rouge accueillant sur la grève une mer incertaine)
où? se cache le temps
...dans le coeur des bouleaux éphémères
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le voyage de la mer
la mer a pris un billet de retour en provenance de l'horizon lointain
accoste au quai délavé y laissant des carcasses incrédules
mourir dans les mains de chaque matin
soleil au dos
la mer glisse sur elle-même vers l'inconnu des terres habitées
assoiffée de galets plats que le gris humide évapore
mille millions de gouttelettes émiettées
jaillissent de son voyage
suivies par des oiseaux blancs
ceux qui étirent les ressacs devenus silencieux
au fond de la mer ensoleillée
on entend comme des voix intérieures
depuis longtemps muettes
éclabousser les silences terrestres
fracasser l'indicible
et
récupérer son ticket
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un trou sur la mer
Neptune et Ophélie sur les vagues d'une symphonie bleue regardent les montagnes immobiles leur sourire vaguement
par la marée du matin ils sont descendus marchant entre les agates rejetées par les chorales de baleines
comme des marins au regard séculaire main dans la main se dirigent vers les miroirs érodés des plages si longues que le temps s'y perd
Neptune et Ophélie enlacés près des portes qu'ouvre le vent chantent le silence comme des oiseaux de laine les hymnes siffleux des rêves
... un trou sur la mer
Les bruits se sont tus au-dessus. Les déménageurs reprennent leur souffle. Une cigarette. Comme il est étrange de voir la profondeur de la mer, malgré le brouillard, l'étendue des mouvements de l'eau quand, pour comparer, c'est la courte ruelle et le bruit d'un moteur diésel qui s'étouffe.