jeudi 3 novembre 2005

Le trente et unième saut de crapaud

Arthur Rimbaud, le poète aux semelles de vent , aborde le thème de la mer de manière originalement personnelle, y attriibuant valeur d’éternité. Quelle image magique que celle de cette unité retrouvée entre le soleil et la mer!


Elle est retrouvée!
Quoi? l’éternité.
C’est la mer mêlée
Au soleil.

Mon âme éternelle,
Observe ton vœu
Malgré la nuit seule
Et le jour en feu.

Donc tu te dégages
Des humains suffrages,
Des communs élans!
Tu voies selon…

_ Jamais l’espérance,
Pas d’orietur.
Science et patience,
Le supplice est sûr.

Plus de lendemain,
Braises de satin,
Votre ardeur
Est le devoir.

Elle est retrouvée!
_ Quoi? _ L’Éternité.
C’est la mer mêlée
Au soleil.

Ce poème pose la grande question de l’inspiration, du regard sur des ailleurs proches ou perdus, du filtre par lequel l’imagination laisse s’écouler goutte à goutte des morceaux d’âme. Rimbaud, comme plusieurs génies de son espèce, a ouvert la porte sur ce qui était devant lui, sans retenue et avec une volonté incalculable d’épuiser les mots de leur sens strict, premier, afin qu’ils rejoignent là où ils pourraient chahuter à leur guise toute la maison du langage. L’inspiration selon Rimbaud, une mystique de l’âme, oui, mais surtout et désormais coupé de l’état premier des choses et des êtres afin que se mêlent, s’entremêlent des courants d’air, tels de communs élans. Voir des couleurs dans les chiffres. N’être pas du tout certain que la réalité se retrouve dans ses manifestations autant visibles qu’invisibles. Retrouver dans ce qui est mêlé un deuxième souffle, celui qui emmêle davantage. L’inspiration, c’est Rimbaud. Celui qui a trouvé, ne les cherchant pas, dans ses multiples voyages pédestres, à s’en briser les pieds, que ce qui est vu n’est pas ce que l’on voit parce que nous ne sommes jamais tout à fait nous-mêmes. Nous passons au travers des choses, à travers un amoncellement de temps et d’espace, duquel surgit des images. Et elles ne sont et n’ont de sens qu’à ce moment-là. Des mirages? Comme il a eu de la difficulté à écrire ce qu’il percevait, lui qui souhaitait une survoltation des sens! Du mystique? Comme il a souffert à tenter d’unifier l’âme et le corps! Et l’inspiration l’a quitté. Au bout de la fatigue autant physique que morale. Et si Rimbaud avait cessé d’écrire parce qu’il avait rejoint la mer mêlée au soleil… au bord de l’éternité?

Voici ce qu’il m’inspire, ce qu’il a fait surgir en moi.


Rimbaud boude dans la ruelle


trop de je dans nos poèmes
beaucoup trop
pas assez de ces images
mutant le je en un autre

Rimbaud dit, vit, meurt comme étant un autre je

alors
revenons aux images qui parlent
, qui blafardement accrochées aux ailes du smog
, ce brouillard moderne,
parlent ouateusement,
cotonneusement,
effillocheusement
disant tout et rien


images-canons se masturbant aux portes des ruelles éjaculant sur des chats frileux
images-crasses diluant sur de sourds imbéciles les dernières longitudes de la fuite
images-caresses déambulant paresseusement sur des ponts de paille
images-silences condamnant la nostalgie à être fusillée par des couleurs autochtones


Rimbaud et Vitalie
par la main réunis
boudent dans la ruelle
comme deux amants
vert laine
une roche au coeur

trop de je dans nos poèmes
que personne ne connaît
pas assez d’icônes sauvages
débusquant le je des autres

réhabilitons les inutiles strophes
comme des vers de gris
que nos images de silences éteints déposent en canons sur nos crasses caresses



Je te salue, Rimbaud, dans tes marécages asséchés, une jambe en moins, celle sur laquelle tu posais ta fatigue énergique, et qu’encore et encore tu marches dans les sillons que tu tires au devant de toi, haridelle d’éternité…

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