samedi 12 mai 2007

Le cent soixante-quatrième saut de crapaud (9)





Chapitre 25


Il n'y eut pas de feux de camp la nuit dernière et les chars allégoriques tirés par des tracteurs empruntés aux fermiers de la région étaient rangés à l'entrée du terrain, tout à côté de la grande porte d'arche. Les personnages, redevenus eux-mêmes. Il y aura certainement quelques enfants, qui, au lever ce matin, se rendront près de la piscine où le superbe et gigantesque arbre de Noël trônait toujours, vérifier si, par hasard, le Père Noël dans un élan de générosité n'y aurait pas oublié quelques cadeaux.

Monsieur Gagnon, fier de son organisation, triomphant sur son quatre-roues, s'était promené sur le terrain, dirigeant la circulation et avait vu à ce que tout le monde participa. Trop occupé, il n'avait pas remarqué l'absence de la gang. - Quand on a tellement de chats à fouetter, seuls les choses qui clochent nous préoccupent. - De toute manière, la conversation qu'il avait eue avec Bob avait entièrement dissipé ses craintes. Il n'y aurait pas de problèmes et il lui apparut probable qu'à son lever, le lendemain, le groupe serait déjà parti en direction du parc national.

Il avait pris en note d'avertir les garde-forestiers et qu'un téléphone en provenance de Rodon Pond pouvait toujours bondir durant le semaine. Il leur avait trouvé un endroit où ranger le surplus de matériel et réservé les deux mêmes emplacements pour le retour. Il allait pouvoir dormir sur ses deux oreilles, du sommeil du juste.

L'alarme de Mario se fit entendre: il était 9 heures. La journée s'annonçait aussi belle que la veille.

- As-tu bien dormi, à la belle étoile, demanda Mario s'étirant devant la tente.

Joe sortit la tête de son sac, y replongea pour récupérer Raccoon:
- Y a pissé, s'étonna Joe.
- Rien de plus normal, répondit Mario.
- Pour un bébé raton laveur, continua Rock qui, en sortant de la tente, jeta un coup d'oeil vers Joe comme pour vériifer son allure, ce matin.

Le grand, discrètement, regarda du côté de Rock, cherchant encore dans sa tête ce qui avait bien pu se passer la nuit dernière. Rock partit illico avec ses affaires de toilette et sans dire un seul mot.

La tente des Poulin tardait à bouger.

- Fais entrer Raccoon daans la tente, tu vas voir comme ça va se lever, dit Mario en riant et retenant un éternuement.

Joe ne l'écoutait pas alors qu'il se dirigea vers l'abri cherchant quelque chose à manger pour son bébé raton laveur. Pour une rare fois, il le déposa par terre et le petit le suivit docilement comme s'il s'était agi de sa mère. Drôle de voir le grand aux jeans troués, pieds nus, en route vers un abri avec derrière lui, cette petite bête trottant et titubant. Passant près de la tente des Poulin:
- Debout, chef. L'aventure nous attend.
- As-tu bien dormi, Joe, s'inquiéta Annie se projetant dehors, une cigarette à la main. En veux-tu une?
- Rien de mieux pour starter une journée qu'une bonne bouffée d'air pur mêlée de boucane.
- C'est joli de le voir te suivre, poursuivit Annie.
- Y a pissé dans mon sac de couchage.
- Je vais aller te l'aérer, Joe. Sitôt dit, Annie était déjà rendue près de l'arbre où avait dormi le grand, tourna le sac à l'envers et l'étendit au soleil.

Caro se leva au même moment et s'attarda auprès de Raccoon en sortant de la tente. Ses yeux allèrent vers Joe qui se retourna vers elle:
- T'es ben belle à matin, lui lança Joe.
- Juste à matin? rit Caro. Raccoon est tellement mignon, surtout quand il te suit pas à pas.
- On doé avoir queque chose de pareil, lui pis moi.
- Es-tu sûr que c'est un bébé gars?
- C'est vrai, j'le sais pas. Comment on fait pour savoir?
- Bob le sait certainement.

Mais Bob n'était plus dans la tente parce que vers 7 heures, il s'était levé, fit le tour du terrain de camping désireux de rendre un service à monsieur Gagnon, comme pour consolider leur confiance mutuelle.

Mario partit à son tour vers les douches alors que Bob et Rock revenaient.
- Aie, Bob, peux-tu savoir si Raccoon est gars ou fille? l'interogea Joe.
- Puis-je, au moins, m'en approcher, répondit Bob, un sourire en coin.
- À 10 kilomètres. Joe venait de lancer son mégot de cigarette dans le sous-bois.
- Joe, il va falloir que tu t'habitues immédiatement à ne jamais lancer tes mégots. C'est la période des feux de forêt. Le ton de la voix de Bob ne portait à aucune équivoque. Il prit le raton laveur dans ses mains et annonça à Joe qu'il avait là une gentille petite femelle.
- Dis-moi pas qu'il va y avoir une autre femme dans ta vie, déclara Annie, constatant que l'urine de raton laveur, ça sent assez fort.
- Toi aussi, Annie, pas de mégots dans le bois, acheva Bob s'affairant à démonter la tente.
- Attends, sante bine, j'ai pas ramassé toutes mes choses, dit-elle passant près de Joe, surprise de ne pas sentir la même odeur que dans son sac de couchage.
- J'allume le poêle à gaz pour le déjeuner ? Rock cherchait depuis son arrivée à s'occuper.
- J'ai pas faim, dit Joe, retournant avec Raccoon près de l'arbre où il avait dormi. Assis, il flattait son raton qui mangeait des morceaux de banane coupés en rondelle. Il se prit une cigarette.








À son retour, Mario fit un détour, s'éloignant ainsi du responsable de son allergie.




Chapitre 26




11 heures. Les deux emplacements que leur avait assignés monsieur Gagnon étaient redevenus libres. Le matériel que la gang n'utiliserait pas lors de leur camp sauvage venait d'être rangé dans un petit hangar derrière le bureau du propriétaire du Domaine du Rêve. Le voyant arriver vers eux, Joe cacha Raccoon puis s'éloigna suivi d'Annie alors que Caro jetait un dernier coup d'oeil afin de s'assurer que rien n'avait été oublié.

- Vous êtes déjà sur votre départ? demanda un monsieur Gagnon incapable de dissimuler sa fatigue.
- Félicitations pour votre fête d'hier, dit Bob.
- Je n'ai pas tellement eu la chance de voir mais vous avez aimé?
- Particulièrment réussi, surtout le char du Père Noël. On se croyait en plein coeur de Montréal lors de la parade d'Eaton, continua Bob dont le sac s'alourdissait rapidement.
- Vous me promettez de bien faire attention. Il y a de mauvaises langues qui disent que le parc national est parfois le lieu d'affaires bizarres, mais vous savez les légendes ça existe encore, dit monsieur Gagnon dont le front devint tout en sueurs juste à voir le sac de Bob.
- À mardi prochain, monsieur Gagnon, acheva Bob tout en lui tendant la main.
- Bonne route, les jeunes et soyez prudents, termina le propriétaire remarquant le comportement inhabituel de Joe. Mais il se rappela ce que Bob lui avait dit à son sujet et, encore une fois, apprécia à quel point ce jeune homme possédait un tempérament de chef.

Les Six + un franchirent la porte d'arche. Personne ne regarda derrière lui.

- Nous allons nous séparer ici, dit Bob. Je vais partir en premier avec Annie. L'équipe qui arrivera en premier à l'entrée du parc national installera son repère à un arbre, ce sera le signal d'où elle se trouve. Séparons-nous. À tout à l'heure.

Annie salua les autres mais fixait surtout Joe avec qui elle aurait souhaité voyager et cela du plus profond de son coeur. Mais elle avait, depuis longtemps, compris que les ordres de Bob, on ne les discutait pas.

Dans cette partie des Laurentides, beaucoup de camions y passaient, charriant du bois: en allant vers le nord, ils étaient vides; en revenant, si chargés que leur vitesse en était réduite.

Les quatre qui devaient partir après, étaient assis près de la porte d'arche surveillant Bob et Annie qui offraient leur pouce à tous les véhicules. La chance collait vraiment à la peau du chef, car en moins de dix minutes une imposante voiture américaine s'arrêta, les fit monter. Les autres eurent le temps de voir qu'il s'agissait d'un couple en provenance de New York, accompagné d'une jeune fille si blonde qu'on l'aurait crue blanche. Bagages dans le coffre et hop!, c'était à Mario et Caro de prendre place au bord de la route.

- Une chance que cé pas nous autres qui ont pogné les Américains, j'sais pas dire un maudit mot d'angla à part de bargouiner les chansons d'Ozzie.

Pendant que Joe parlait - on ne savait pas trop à qui il s'adressait, à Raccoon ou à Rock ou à un rêve - le petit de la gang sentait monter sa nervosité:
- As-tu déjà fait du pouce, Joe?
- Jama, ma mère a veut pas, répondit-il.
- Sérieusement?
- À chaque fois, il mé toujours arrivé des affaires effrayantes...
- Joe, peux-tu être sérieux?
- Quand j'dors, dit Joe avec dans le visage une tonne de questions.

Rock retourna à sa nervosité pendant que Joe flattait son bébé raton laveur tout en jetant un regard du côté de Mario et Caro, découragés tellement personne ne passait.
- Il me semble qu'un vendredi matin, il devrait y avoir du monde qui monte dans le nord, s'interrogea Caro coiffée d'un grand chapeau de paille lui faisant de l'ombre autour du visage.
- Soyons patients, de toute façon ça nous permet de jaser un peu.
- De quoi veux-tu qu'on jase, Mario?
- On dirait que tu es toujours sur la défensive.
- Tu sais, Mario, dans le cours de danse que je suis, il y a toujours un gars qui t'approche justement pour jaser, mais dans le fond on sait bien pourquoi il s'intéresse à toi.
- Penses-tu vraiment que tous les gars soient comme ça? Mario regardait Caro comme jamais il avait pu le faire auparavant. Il l'avait devant lui, à côté de lui, juste pour lui.
- C'est une question à laquelle je réponds seulement dans mon journal. Attention, Mario, voilà une voiture.

Une belle familiale ralentit en voyant les deux jeunes sur le bord du chemin. Une dame baissa la fenêtre et demanda:
- Allez-vous loin?
- À l'entrée du parc national, répondit Caro qui venait de s'approcher.
- Si vous n'avez pas peur de deux enfants et d'un chien, eh! bien montez, on vous y laissera, reprit la jeune mère de famille.

Le père rangea leurs bagages à l'arrière puis démarra laissant la place à Joe, Rock et Raccoon qui tendirent machinalement le pouce.

- Cache le raton, sinon personne ne va s'arrêter.
- On é trois à partir d'icitte pis chacun a les mêmes droits, rétorqua Joe, des flèches empoisonnées dans la voix.

Il fallut on ne sait trop combien de voitures avant qu'un camion de bois ne s'arrêta. Les trois montèrent. Sur la portière était inscrit LES TRANSPORTS McCRIMMON. La cabine pouvait recevoir trois personnes à la condition qu'une d'entre elles soit minuscule.



- Comment vous vous appelez? demanda le chauffeur du camion, le bras accoudé à l'extérieur de sorte que le vent entrant, cela obligeait les occupants à parler très fort. Moi, c'est McCrimmon, père.
- On est trois, avança Rock.
- Où il est le troisième?
- Joe a trouvé un bébé raton laveur, moi c'est Rock Béliveau. Nous demeurons à Rodon Pond. On est venu faire du camping sauvage dans le parc national. Rock parlait vite, voulant tout dire dans le même souffle ce qui permettait à Joe de se taire, bien écrasé sur l'autre portière.

- Il y a mon frère et mon gars dans la compagnie. On voyage du bois. Deux, parfois trois voyages par jour, selon les bûcherons. Là, ça va ralentir pas mal. Les mouches et les bibittes vont faire sortir pas mal de monde du bois. Un camp sauvage, tu dis, c'est quoi ça?

Rock entretenait la conversation avec monsieur McCrimmon, lui expliquant de long en large toutes les coutures du projet.
- T'es pas jasant, le grand, dit le chauffeur à Joe dont la moitié de la chevelure flottait dehors.
- Y dit toute, coupa un Joe satisfait de laisser à Rock le soin de meubler le temps.
- On est à environ une heure de route, si on crève pas en chemin. Dans quelques kilomètres on laissera l'asphalte pour un chemin de terre pas mal pierreux.
- Les autres arriveront dans pas grand temps, continua Rock que la politesse obligeait à écouter le chauffeur. Joe avait abandonné depuis le moment où il prit place dans le dix-roues.

La route tortueuse ne cessait de monter. Des deux côtés de camion, une forêt d'épinettes, de sapins s'étendant sur des dizaines de kilomètres. Plus on avançait plus on sentait que d'ici peu de temps il n'y aurait plus une âme qui vive. Les arbres étaient parfois tellement hauts qu'ils cachaient le soleil.

Caro avait prévu un lunch pour le voyage. Rock offrit un sandwich au chauffeur qui l'accepta alors que de sa main libre, fouilla derrière le siège. Il trouva ce qu'il cherchait: une canette de bière qu'il ouvrit avec ses dents. Joe nourrissait Raccoon mais ses yeux se tournèrent vers monsieur McCrimmon qui devait se sécher les mains sur son pantalon tout sale tellement la canette était froide.

- En veux-tu une, mon grand? Le chauffeur remarquait bien que Joe semblait être plus du style buveur que mangeur.
- On n'a pas le droit en voiture, se précipita à dire Rock faisant le ping pong de la tête entre les deux.
- On n'é pas en voiture, on é en truck, dit Joe tout en prenant la canette qu'on lui offrait. Il l'ouvrit et en versa un peu dans le fond de sa main. Raccoon lécha avec beaucoup de plaisir, ce qui fit sourire Joe et un monsieur McCrimmon achevant une canette qu'il projeta à l'extérieur sous les yeux scandalisés de Rock. Il mangea son sandwich, se disant que la vie lui apprenait bien des choses que sa mère aurait filtrées.
- Y a tellement de ramasseux dans le coin, je les encourage.
- Pas certain qu'on en voit aujourd'hui, reprit Rock percevant un soupçon de moquerie dans ces propos.

Joe rit puis cala la cannette. Il s'alluma une cigarette après en avoir offert une à monsieur McCrimmon qui ne fumait pas, n'ayant pas de défauts, se plaisait-il à dire.

La route était longue et les canettes de bière se suivaient à un bon rythme. Pour deux que le chauffeur engloutissait, Joe s'en envoyait une, n'oubliant pas les quelques gouttes pour Raccoon.

- Vous savez qu'il n'y a plus personne qui vit dans cette région depuis au moins trente ans, dit le chauffeur qui rotait aux dix minutes. Les garde-forestiers qui surveillent le parc national sont à Mont-Laurier, à plus de cent kilomètres d'ici. Si jamais vous vous perdez, on en a pour un mois avant de vous retrouver.
- C'est flyé, continua Joe qui trouvait le chauffeur pas mal à son goût. Il se demandait si son père qui faisait du camionnage dans l'ouest du Canada était aussi sympathique avec les pouceux qu'il ramassait.
- Moi, je passe ici des fois trois par jour et je ne vois jamais personne. Seulement de la poussière en arrière de mon camion et des courbes en avant. Des chevreuils que mes phares surprennent la nuit, à part ça, rien.
- Ça doit être trippant?

Rock, depuis l'arrivée de la bière, s'était fait subtilisé la parole et trouvait que le raton laveur sentait moins fort que les deux fonds de tonneau qui l'encadraient.

- Trippant? C'est toujours pareil! Neige pis blanc en hiver; bouette pis glissant au printemps; de l'eau pis de la couleur en automne; poussière et bibittes, en été. Y a pas de poste de radio qui se rend jusqu'ici, juste du grichage à rendre fou. Y a même des fois qu'on part mon gars pis mon frère le matin, et on se croise même pas. Les places où on ramasse le bois, c'est tellement creux dans la forêt qu'on en sort que la nuit. Une vie ben trippante comme tu vois.
- Payante? osa Rock comme pour leur rappeler sa présence.
- J'ai tellement le dos en compote, les reins sonnés par tous les trous du chemin pis la tête qui suit pas, que c'est si payant que ça à la fin, rota le chauffeur tout en s'ouvrant un «xième» canette, en lançant une à Joe qui commençait à avoir besoin d'air pur.
- J'ai mon quota, dit Joe.
- Tu avais l'air « toffe » mon grand, mais tu lâches vite. Un voyage pour moi, c'est en moyenne 24 bières.

Rock se demandait si les autres étaient arrivés et remarqua que Raccoon était complètement endormi sur les jambes de Joe.
- Vous savez que le parc national a une mauvaise réputation, reprit monsieur McCrimmon.
- On nous en a glissé quelques mots, hier, dit Rock inquiet de cette information incomplète.
- Je sais pas si c'est des légendes ou des histoires d'ivrognes, mais il y en a qui dise que pas grand monde s'aventure dans le parc parce que des fois des affaires bizarres se passent.
- Comme quoi? questionna Rock.
- Tu sais, mon jeune, moi je charrie du bois pas des histoires de vieilles mémères.
- Vous avez sûrement entendu certaines choses, insista Rock qui donna un coup de coude à Joe somnolant à côté de lui. On dirait qu'il était à prendre les habitudes de Raccoon.

La poussière, derrière le camion, cachait complètement le paysage alors que devant il n'y avait personne. On ne pouvait même pas présumer que d'autres véhicules s'y étaient aventuré quelques minutes ou quelques heures auparavant. Monsieur McCrimmon leur dit qu'ils avaient emprunté un raccourci et cela depuis quelques kilomètres. Qu'ils arriveraient probablement en même temps que ceux qui empruntèrent la route nationale.

- Des affaires bizarres, je le sais tu moi, continua le chauffeur du camion.
- Pas des histoires de fantômes, de loups-garous, de sorcières ou de sacrifices humains à la pleine lune. Les orbites disproportionnées des yeux de Rock ne rivalisaient qu'avec la peur que ses propres mots venaient de lui insuffler.
- T'en as de l'imagination....
- Avec le peu que l'on sait, ça laisse beaucoup de place à n'importe quoi.

Monsieur McCrimmon arrêta son camion au beau milieu de la route et descendit. La portière ouverte, il pissa pendant au moins deux bonnes minutes. Rock était convaincu que toute la bière ingurgitée venait d'y passer.

Joe, ne se faisant plus brasser, ouvrit un oeil et prit Raccoon:
- Moé itou j'ai envie de pisser. Les deux inséparables se jetèrent en bas du camion. Le bébé raton laveur suivit son maître ou sa mère ou son frère... mais ne le lâcha pas d'une semelle alors que Joe pissait devant le camion. Rock, seul dans la cabine du camion, entendait les deux buveurs se vider la vessie. Raccoon passa devant Joe et se mit à courir sur la route. Joe, ne perdant pas une seconde, partit derrière lui et le ramassa quelques mètres plus loin. Le prenant, il lui dit:
- Non, non ma p'tite, cé pas encore l'heure de t'en aller. Il revint vers le camion et y monta. Monsieur McCrimmon ouvrit une nouvelle canette en reprenant le volant.

- Encore vingt minutes et vous êtes à l'entrée nationale du parc... euh! je veux dire... à l'entrée du parc national.

Joe ferma la portière et au même instant Raccoon lui grimpa sur les épaules, le nez dans la chevelure de son maître, sa mère ou son frère, on ne le savait pas parce que Raccoon était trop jeune pour parler.


Chapitre 27




Aucun être humain ayant suffisamment appris à compter aurait été en mesure de dénombrer combien de fois Mario, assis derrière la familiale, éternua durant le voyage depuis la porte d'arche du Domaine du Rêve et l'entrée du parc national. Il ne se fit pas prier pour descendre de l'auto laissant le soin à Caro de remercier cette gentille famille de les avoir conduits jusque là. Mario cherchait désespérément à reprendre son souffle que lui manqua tout au long de la route, en plus des piquements aux yeux et des encombrements dans le nez. Dehors, il pouvait respirer à fond ce qui dégagea ses sinus.

- T'as l'air de quelqu'un en train de mourir.
- Ce maudit chien à trois centimètres du nez c'est parfait pour les allergies.
- En effet, toute une. Mets-en, et Mario éternua. Le bruit se répercuta très loin transporté par l'écho. Il ouvrit son sac pour en sortir le repère noir, couleur du ruban de la deuxième équipe. Il se dirigea vers un arbre d'où pendait le repère jaune: celui de l'équipe de Bob et Annie.
- La première équipe est arrivée.

D'en retrait de la route, où Bob et Annie confortablement installés, l'une à fumer et l'autre à fouiner sur ses cartes, ils entendirent:
- Y a longtemps que vous êtes là, demanda Caro.
- Une vingtaine de minutes au moins, répondit Bob, tout absorbé dans la topographie.

L'entrée du parc national, bien visible de la route, était bien indiquée sur une pancarte, la seule que nos campeurs virent depuis leur départ, ce matin. Bob et Annie s'étaient tapé un voyage au cours duquel ils parlèrent anglais comme cela faisait longtemps qu'ils n'avaient pu le faire. Nos bons Américains qui ne connaissaient aucun mot de français, se dirigeaient vers Mont-Laurier pour visiter les réserves autochtones foisonnant par là.

Ils leur posèrent des dizaines de questions afin de comparer la vie ici et celle du Wyoming où le père venait tout juste d'être nommé conservateur d'un musée d'anthropologie. Il se captivait pour un unique sujet: les mutations des aborigènes dans toute l'Amérique du Nord. Il expliqua à Bob et Annie, qu'auparavant, il travaillé auprès de certaines tribus du Montana, au nord de Sheridan, la ville où ils résidèrent pendant un certain temps.

Alors que l'Américain décrivait à Bob avec plusieurs exemples en quoi consistait son travail, Annie rageait de ne pouvoir fumer, devant plutôt discuter avec la jeune fille aux cheveux blancs tellement ils étaient blonds. Pas très à l'aise de tenir une conversation sur les échecs dont la mignonne petite Américaine de 11 ans - elle en paraissait 5 - était championne.

La dame jetait des regards du côté de son mari, surprise comme lui de constater à quel point le jeune homme était parfaitement bien informé sur la région et savait prévoir tout ce qui allait se dérouler dans les jours, les heures et les minutes à venir... une fois son camp sauvage entrepris.

Elle se questionnait aussi sur le fait que la soeur de Bob, une jeune fille pourtant bien mise et à la charmante allure, ne semblait absolument pas s'intéresser mais alors là pas du tout, à la joueuse d'échecs et son activité.

La route sinueuse et le risque de rencontrer des chevreuils obligeaient les voiture à rouler selon la limite de vitesse imposée, soit 70 km/h.

Lorsque les Américains les laissèrent sur le bord de la route à quelques pas de l'entrée du parc national, il devait être environ 14 heures. La première impression laissée par l'endroit en était une de totale solitude. On était assuré de n'y voir personne, c'était écrit dans l'air. L'isolement.

Annie rongeait son frein et fumait. Lorsqu'elle était un bon bout de temps sans fumer, ses nerfs se nouaient à l'intérieur d'elle-même, ses yeux manifestaient une formidable tension. De plus, Joe elle ne l'avait pas vu depuis quelques heures... Lorsqu'elle pensait à lui, elle ne pouvait s'empêcher de constater qu'un nouvel adversaire venait de se placer entre eux: Raccoon. Ce bébé raton laveur qui prenait toute la place dans sa vie, eh! bien il le fit en l'espace de quelques instants alors qu'elle dépensait ses énergies à le flirter depuis près d'un an, sans résultats satisfaisants. Son baladeur aux oreilles, elle n'entendit pas arriver la deuxième équipe.

- Comment s'est passé le trajet?, demanda Bob.
- Éternuant, répondit Caro qui expliqua qu'une fois assis derrière la familiale, Mario s'était retrouvé à un nez d'un superbe collie.

Lui qui n'avait aucunement peur des chiens mais devait les fuir comme la peste, dut le supporter pendant deux heures, sous les regards tendres et compatissants de Caro. En plus, monsieur Riendeau, le mari de Ghislaine comme elle leur avait demandé de les appeler, conduisait sa voiture toutes fenêtres fermées craignant que les enfants soient pris dans un courant d'air.

Chauffeur au style hyper prudent, monsieur Riendeau donnait un peu de vitesse à la voiture pour tout de suite après freiner ce qui donnait des allures de bateau en haute mer à une familiale bien garnie... Excellent pour le mal de route!

Mario chercha, tout au long du voyage, à se distraire en faisant des guilis-guilis aux enfants qui ne le trouvaient absolument pas drôle. Caro pouffa de rire à un moment donné, voyant le pauvre Mario tout poigné avec son allergie et des enfants paraissant bien inquiets de le voir changer de couleur ou tenter de retenir un éternuement. Le pire se produisit quand le chien toussa à son tour, ce qui fit sursauter Mario au point où monsieur Riendeau stoppa la voiture croyant qu'on venait de crever.

Caro, n'étant pas très jasante et préoccupée par l'état vers lequel s'enlisait son compagnon d'équipe, suivait d'une oreille distraite la conversation de Ghislaine et son mari qui trouvaient la région remplie de merveilles, d'une telle beauté en ce début de saison estivale et du plaisir d'être en vacances avec des enfants en pleine santé.
- Quelle belle famille nous formons, n'est-ce-pas? dit-elle soit à son mari ou Caro, en fait à la personne qui trouverait cela intéressant.

Mario éternua une autre fois, mais cette fois-ci tellement fort que monsieur Riendeau se passa la main derrière la tête.

- Il ne manque que Rock et Joe, mentionna Bob.
- Et Raccoon, acheva Mario qui reprenait une allure plus reconnaissable.
- Nous allons nous avancer sur le chemin du parc. Vous venez, les filles?
- Je pense qu'Annie est en période de repos, mentionna Caro ajoutant qu'elle aussi profiterait de ces moments d'attente.
- Comme vous voulez, on revient dans dix minutes, termina Bob s'avançant sur ce qui ressemblait davantage à un sentier qu'autre chose.

Il était maintenant 14 heures 30; la journée, toujours superbe; le soleil brillait sans être dérangé par aucun nuage; une brise rafraîchissante glissait entre les arbres... les filles respiraient le calme et le repos, jusqu'à ce Annie éclate:
- Joe n'est pas encore arrivé?
- Décroche un peu, Annie. On dirait qu'il n'y a que lui. Respire par le nez!
- Es-tu jalouse parce que je l'aime?
- Tu peux bien aimer qui tu veux, ma pauvre Annie mais ne le laisse pas paraître autant que cela. D'ailleurs, j'ai l'impression que Joe est pas mal plus en amour avec « sa » Raccoon que personne d'autre. Il ne voit plus rien d'autre.
- Je te jure qu'il va me voir d'ici pas grand temps, reprit Annie fixant l'entrée du parc national avec, dans le regard, une détermination qu'on ne lui connaissait pas.

Caro savait que dans ces moments-là, il était préférable de ne rien dire. Pour elle, se taire c'était si facile!

- En tout cas, Caro, c'est pas toi qui vas me le voler, précisa-t-elle regardant sa soeur avec l'espoir d'une réponse encourageante.

Rien du côté de Caro qui venait de s'étendre sous un érable, les yeux fermés.



Un peu de politique à saveur batracienne... (19)

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