Le chapitre 15
Chambre à louer au Tourist room 99...
Chambre à louer au Tourist room 99...
La vieille dame criait à s'en fendre l'âme. Éric, bien à son aise dans ce type de situation courait s'en s'arrêter. Il vit Steve au bout de la rue, ce qui le rassura. En passant près de lui, il lui remit le sac à main et se dirigea dans l'autre direction. Il reprit son souffle.
Le brouhaha occasionné par la vieile dame se perdit dans l'ensemble des bruits de la ville. Un policier l'accompagna vers un banc public en la soutenant doucement par le bras.
Éric retrouva son complice qui avait déjà vidé le sac fouillant avidement dans le portefeuille.
- Cent dollars! soupira-t-il. On pourra au moins se trouver une chambre dans un petit hôtel en attendant de retrouver le Dodge.
- Il pourrait nous inviter dans son York d'hôtel!
Steve ne s'occupa plus d'Éric et lança dans un canal d'égout: papiers, cartes et porte-monnaie. Il prit une autre rue opposée et cinq minutes plus tard, ils se retrouvèrent face à un vieil immeuble, le Tourist Room 99.
- Une chambre pour deux, demanda Steve qui se plaisait à exhiber son anglais rudimentaire à une patronne aux allures curieusement louches.
- Pas obligé de te forcer, je parlais français.
L'établissement ne devait recevoir que des clients de passage car la grosse dame lui demanda si c'était pour la soirée, la nuit ou quoi.
- Jusqu'à lundi, répondit Steve dans ce qui ressemblait à une espèce de français et d'anglais mêlés.
- Tu paies tout de suite mon grand, exigea la tenancière en s'allumant une cigarette américaine. Ça fera vingt dollars la nuit.
Steve jeta un coup d'oeil du côté d'Éric qui se promenait dans la pièce servant à la fois de réception et de salon.
- Tu fais comme tu veux, dit Éric.
Steve donna soixante dollars à la dame qui lui indiqua la chambre quarante-deux, au quatrième. Elle fixait Steve avec des yeux d'épervier comme si elle souhaitait comprendre pourquoi deux jeunes garçons venaient passer une fin de semaine chez elle, dans son petit hôtel qui ressemblait plus à une maison de passe qu'autre chose.
- Si vous avez besoin de quoi que ce soit, vous me le demandez à moi personnellement. Je suis la seule à m'occuper de la place.
La clef en main, Steve siffla Éric qui reçut un beau sourire en croisant le regard de la dame.
- Faites attention au réfrigérateur, il ne fonctionne pas bien.
Ce fut les dernières paroles qu'ils entendirent avant de s'engouffrer dans une chambre sordide qui ne contenait qu'un grand lit. La fenêtre où une vieille toile servait de rideau, donnait sur l'arrière du "tourist room". Le petit réfrigérateur installé sur une table à courtes pattes tout contre un mur sur lequel une tapisserie aussi vieille que la propriétaire, semblait en effet mal fonctionner. Il n'y avait pas de lavabo, encore moins de salle de bain. La plus grande nudité régnait dans l'alcôve.
Il devait être près de dix-huit heures.
- J'ai faim, on va manger, marmonna Éric tout en examinant la pièce. On est encore pas mal loin de la Floride, mon Steve.
- Surtout avec quarante piastres dans nos poches jusqu'à lundi.
- Lundi?
- Je te le dis, le Dodge va nous remettre en contact avec monsieur Georges qui sera très heureux de récupérer son enveloppe.
- Tu penses! s'exclama Éric. Ç'aurait été beaucoup plus simple de venir la porter lui-même, cette fichue d'enveloppe, et il s'élança sur le lit qui creusait tellement qu'il en perdit presque de vue son "nouvel" ancien protecteur.
- Tu ne saisis pas grand-chose dans ces trucs, mon jeune.
- Je ne suis pas jeune. On va manger? s'entêta-t-il tout en fixant son attention sur des paroles qui filtraient à travers les murs.
- D'abord il faut trouver un endroit pour garer la camionnette. Elle pourrait nous être encore utile. Tu m'attends ici et je reviens avec un lunch.
- J'y vais aussi.
- Non, Éric. Il n'est pas bon qu'on nous voit ensemble.
- Je suis encore enfermé pour deux jours?
- Oui, mais cette fois tu auras un compagnon qui ne te lâchera pas des yeux une seconde, mon tout petit.
- Je ne suis pas tout petit.
Steve quitta la chambre. Éric entendit le verrou tourner. Il était fait comme un rat. Enfermé dans un bordel minable de Toronto par un compagnon ne voulant plus prendre de risques avec la suite des événements, il ne lui restait plus qu'à attendre et espérer. Mais quoi au juste? Son regard revint à la fenêtre, si sale qu'il aurait pu y écrire tout ce qu'il ressentait au plus profond de lui.
À QUELQUES PAS DE LÀ...
Patrice entra dans un restaurant japonais situé à quelques mètres de l'hôtel indiqué par le vieux propriétaire de l'auberge. Il prit place à la fenêtre. Alex et les autres se pointeraient à Toronto autour de vingt-deux heures, il avait donc amplement le temps de souper et relire les notes contenues dans le fameux cahier à jaquette de cuir noir.
Le restaurant était vide. On lui sevit des spécialités japonaises qu'il ne connaissait pas. Il mangeait lentement tout en relaxant. Dans sa tête, tous les plans échaffaudés jusqu'à maintenant devaient être revus et corrigés, replacés dans un nouvel ordre: visiter l'hôtel de la rue Oiran, rerouver Éric, faire avorter le coup de lundi en avisant la police...
- Monsieur reprendra-t-il un peu de thé? s'enquit la serveuse, une fort jolie jeune fille qu'il n'avait pas encore remarquée.
- S'il vous plaît.
- Vous n'êtes pas de Toronto?
- Vous avez raison. Et qu'est-ce qui vous le fait dire?
La jeune fille venait de faire quelques pas en direction de la cuisine lorsqu'elle s'arrêta.
- Sûrement mon accent, reprit Patrice, les yeux droit dans les siens.
- Pas du tout, vous n'avez pesque pas parlé.
- Alors?
- Les gens de la région qui mangent ici n'y restent pas si longtemps. Vous êtes face à cette fenêtre depuis plus de trois heures maintenant.
Patrice, surpris de savoir qu'il était passé vingt et une heures, ramassa ses choses alors que la jeune serveuse traversait la salle à manger pour se perdre derrière le comptoir.
Debout, face à la caisse, Patrice attendait. La jeune fille réapparut, une note à la main.
- Ça fera quatorze dollars, monsieur.
- Vous connaissez bien le quartier chinois, mademoiselle?
- J'y vis depuis que je suis née. C'est étrange n'est-ce pas qu'une Japonaise vive dans le quartier chinois?
- Je crois qu'il n'y a pas de quartier japonais à Toronto et que les orientaux ont investi ce quartier comme étant celui qui leur ressemble le plus.
- Vous me semblez bien informé, répondit la jeune serveuse.
Patrice fit un pas pour partir mais il ne put retenir une question:
- Vous connaissez l'hôtel situé à cette adresse?
Il remit le bout de papier à la jeune fille qui rougit quelque peu et, embarassée, répondit:
- C'est l'hôtel Shôwa. Ce n'est pas un endroit recommandable.
- Je ne suis pas de la ville, mais j'ai de bonnes raisons de croire qu'à cet endroit, je pourrai obtenir d'importantes informations.
- Je vous répète que ce n'est pas l'endroit désigné pour les gens bien.
- J'aimerais que vous m'en disiez davantage, si cela ne vous embête pas trop.
- Je dois retourner à la cuisine, monsieur. Bonsoir!
Patrice se retrouva seul dans le restaurant où les odeurs de poisson cru devenaient de plus en plus envahissantes.
L'obscurité s'étendait sur le rue Oiran que Patrice descendait. Il ne croisait que peu de gens. L'impasse donnait l'illusion de se jeter dans le lac Ontario. Les numéros aux portes allaient bientôt s'arrêter sur le fameux 31 indiqué par l'aubergiste.
L'enseigne lumineuse indiquant SHÔWA clignotait dans la nuit tiède. Patrice ouvrit la porte et se retrouva plongé dans une salle enfumée. Personne ne remarqua sa présence, occupé qu'on était à siroter un verre de bière et suivre le spectacle dans le fond de la pièce. Une femme, à qui on ne pouvait donner d'âge, dansait sous les regards engourdis d'un public bigarré.
Il s'avança vers le bar ce qui lui permit de mieux jeter un coup d'oeil sur l'ensemble de la place.
- Pour vous?
- Cognac! répondit-il sans réfléchir.
Le barman revint aussitôt et Patrice lui demanda s'il pouvait voir le propriétaire.
- Vous êtes de la police?
- Non, de la famille.
Le serveur, ne comprenant pas l'allusion de Patrice, lui jeta un regard étonné. Il prit la direction d'une porte qu'on ne pouvait vraiment remarquer à moins d'être familier avec les lieux.
Patrice goûtait son cognac, le regard braqué sur cette porte qui venait de se refermer derrière le serveur. Au bout de quelques minutes qui lui parurent des heures, l'employé revint.
- Il vous recevra demain midi, mais monsieur Dom Hi Nic aimerait connaître votre identité de même que les motifs de votre visite.
En quelques mots, Patrice ramassa toute son histoire, réserva deux chambres pour la nuit et quitta le bar. S'assoyant au fond de la salle, il y attendrait Alex et les autres.
Le triste spectacle continuait et Patrice comprit les allusions de la serveuse du restaurant. Les gens, ici, semblaient désabusés, fatigués et imbus d'alcool. Les fumées de toutes sortes tissaient un brouillard opaque que seuls les accords de la musique transperçaient. La dame sans âge flottait comme des rideaux de tulle au vent.
Quand Alex entra dans l'hôtal Shôwa, il était près de vingt-trois heures. Patrice le vit et se dirigea immédiatement vers lui.
- Tu te tiens dans de beaux endroits?
- Les autres n'y sont pas? interrogea Patrice, désappointé de ne pas retrouver Caroline.
- Elle te fait dire que tu dois aller au bout de ton affaire, seul. Mais de quelle affaire parle-t-elle?
- Et Bianca?
- Elle a peur en Shelby.
- Eh! bien on sera deux, reprit Patrice déçu mais fier de Caroline qui respectait la route qu'il prenait pour arriver au bout de son identité.
Alex commanda une bière au serveur qui examina Patrice encore davantage.
- J'aimerais bien savoir ce qui se passe.
- Prépare-toi, je vais tout te raconter.
Patrice passa une bonne partie de la nuit à tracer le portait le plus détaillé possible de cette aventure à la fois complexe et compliquée. À repasser tous les détails de cette histoire, Patrice pouvait placer les choses et rétablir son plan.
- Vaincre le premier, c'est vaincre une fois pour toutes.
- Là, je suis trop fatigué pour comprendre tes paraboles, dit Alex qui ressentait douloureusement les kilomètres entre Saint-Camille et Toronto.
- C'est celui à l'allure orientale, dit le barman.
- Merci, répondit le patron en refermant la porte derrière lui. On verra cela demain.