dimanche 28 mars 2010

Le trois cent quarante-quatrième saut / Le trois-cent-quarante-quatrième saut


Mario Cyr vient de faire paraitre deux livres - annoncés comme étant deux romans - jusqu’à épuisement des stocks et mono_, aux éditions LES INTOUCHABLES.

Il nous avait surpris lors de Visite tardive (roman, 2004) puis Revenir à toi (variations sur un même thème, 2009) avec des formats plus courts, plus concentrés, certains diront plus minimalistes… que ses premières oeuvres.

Les nouveaux-nés se ressemblent donc de par leur facture : moins de 90 pages chacun. Comme ils paraissaient au même moment, je me suis lancé d’abord sur mono_. Il aurait fallu, pour suivre la chronologie de l’édition, que j’y arrive en second, mais voilà… Ce roman (selon Mario) est plutôt une suite de réflexions qui partent de l’énoncé suivant : l’homme est un animal grégaire. Puis, tout au long de ces coups de lucidité, s’installe une espèce de soliloque interrogeant en mono une foule de sujets s’imbriquant les uns aux autres ou s’en distançant à des années-lumière pour nous amèner à un corollaire : le grégaire du départ débouche, par la suite, au solitaire?

Chacun des chapitres, appelons-les ainsi afin d’installer la structure du livre, possède son propre titre. Partant du regard introspectif (Mario le qualifierait de photographique) d’un narrateur, un peu comme s’il réussissait à se tenir stable sur une roue en mouvement, il examine, s’examine et en tire des conclusions caustiques, parfois fatalistes.

«Sauf qu’on ne peut pas aimer la vie à demi : elle vient avec la vieillesse, et la mort.»

On a l'impression d’enfourcher un monocycle, de tournoyer sur soi-même, surpris de ne perdre ni pied ni tête, de revoir continuellement les mêmes choses sous des aspects différents. Parfois nous les reconnaissons, parfois non, sans doute en raison de notre marche aveugle dans le cycle du naitre-vieillir-mourir. Regarder à travers cette roue en marche sur elle-même à la recherche de la différence entre centrifuge et centripète.

Le livre nous amène à revisiter des trajets, recomposer des réflexions, réfléchir sur ce que devient, en naissant, l’essence des êtres et des situations (chez Mario les choses se transforment généralement en évènements) s’en allant inexorablement vers la mort; nous interroger sur le niveau de lucidité acceptable pour que la démarche demeure cohérente.

Plus près, selon moi, des variations sur un même thème ou plusieurs thèmes que du roman, mono_ plonge dans l’enfance, émerge à l’âge adulte et pointe le bout de son nez dans le vieillissement. Questionner la vie avec une certitude que l’on pourrait croire blasée, cette route que chacun se doit de composer avec ou sans GPS, ce livre se veut, beaucoup, un arrêt sur l’exigence, l’obligation de répondre au dilemme grégaire/solitaire. « À quoi sert d’avoir une vie si on ne peut pas s’y jeter, et s’y vautrer?»


Lorsque je suis arrivé au second jusqu’à épuisement des stocks, j’ai compris qu’il eut mieux fallu lire celui-ci d’abord; beaucoup plus près du roman, sans doute par la présence de personnages (un peu trop peut-être pour un aussi court texte), d’une intrigue (qui suit des méandres parfois compliqués).

Il y a quelques clins d’oeil du premier au second quel qu’en soit l’ordre dans lequel on les ait lus. Non pas au niveau du contenu mais de la réflexion. Est-ce que mon ami Mario nous prépare un traité de philosophie? Mais les éléments que je pourrais nommer comme relevant de la «sagesse» - cette espèce de condensé des expériences de vie qui nous rendent soit blasés ou bêtement optimistes - j’ai eu comme l’impression qu’ils remontaient à la surface d’une conscience, toujours lucide, et tellement corrosive.

« Seulement la liberté n’existe pas. On choisit pas ses origines, ni ses bagages, ni le lieu, ni l’heure, ni la société, rien, on dispose à la rigueur d’une marge de manœuvre, oui, bien mince, balises étroites, dans un registre défini, qui correspond à l’espace probable du bonheur. Sans plus.»

Et encore :

« On s’élève de la poussière pour y retomber. Entre les deux, il y a l’ahurissement de vivre, le reste, le style, dépend de soi.»

J’écrivais dans le saut 261, à la sortie de Revenir à toi que Mario travaillait beaucoup sur le style. Utilisant l’ellipse avec un réel succès - ce procédé littéraire qui consiste à supprimer des mots nécessaires à la construction du texte mais que ceux qui sont exprimés font assez entendre pour qu’il ne reste ni obscurité ni incertitude – il va plus loin encore. Il nous lance ce procédé au niveau des idées. Ici encore ça donne d’excellents résultats.

Je vous invite à la lecture de ces deux livres, dans l’ordre que vous choisirez, et vous laisse sur ces derniers mots tirés de mono_ :

«… j’ignore ce que je redoute, sur le qui-vive constamment…»

Au prochain saut


(Ce saut est écrit en nouvelle orthographe.)

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