dimanche 22 avril 2007

Le cent soixante-deuxième saut de crapaud (*17)

Chapitre 16
La rencontre avec le Dodge

La météo venait de jouer un sale tour alors qu'il ne restait que deux jours au mois d'avril. Il était inconcevable d'imaginer une journée aussi froide, pluvieuse juste au bord de la neige. Et on annonçait cette température pour tout le lendemain, de même qu'une bonne partie du dimanche.
Un vendredi à Toronto! Que souhaiter de mieux pour Patrice qui était déjà levé depuis très tôt le matin. Il regardait par la fenêtre cette ville écrasée malgré son site privilégié, tout près d'un lac magnifique. La pluie, voisine de la neige, traçait de longs sillons sur la vitre au point que le jeune homme distinguait mal ce qui se passait dans la rue aussi peu passante que la veille.
Songeur comme à son habitude, il remettait de l'ordre dans cette suite inattendue d'événements. Les yeux au loin, il cherchait la petite ouverture lui permettant d'intervenir. Il savait qu'Éric et Steve se trouvaient à Toronto, qu'ils étaient tous les deux en danger. Il se doutait que cet hôtel spécial, dans lequel il se trouvait présentement, pouvait lui apporter d'importantes informations sur les allées et venues de sa mère, vingt-cinq ans auparavant.

Il regrettait l'absence de Caroline mais la reconnaissait parfaitement dans le fait qu'elle refusât de venir le rejoindre. C'était à la fois de la délicatesse et, peut-être, une façon pour elle de mieux le recevoir au cas où tout ne tournerait pas de la manière que Patrice l'eût souhaité.

Il s'approcha l'appareil téléphonique et demanda la chambre d'Alex. Il devait sûrement dormir à poings fermés.
- En pleine nuit que tu me réveilles!
- Je t'attends à la salle à manger, dit Patrice.
- Penses-tu que dans une place comme ici, il y a une salle à manger? répondit Alex tout en baîllant à s'en décrocher les mâchoires.
Patrice racrocha, sauta dans la douche.

CHAMBRE 44

- Quel temps de chien! se plaignait Steve.
Éric avait dormi sur le sol ne voulant pas partager le grand lit avec son "nouvel" ancien protecteur.
La chambre du Tourist Room 99 empestait la cigarette et la bière. Les deux jeunes avaient passé la soirée devant la télévision à suivre le match de hockey opposant les équipes de Toronto et Vancouver.

Ils avaient à peine réussi à dormir tant les locataires occasionnels de l'endroit se succédaient d'heure en heure.

- J'ai faim, dit Éric tout en s'étirant les bras jusqu'à Montréal.
- Avant, voici le programme de la journée.
- Pas trop compliqué avec la température.
- Tu m'écoutes! reprit Steve qui ne semblait pas du tout avoir le goût de perdre son temps. Il faut que j'entre en contact avec le Dodge aujourd'hui même. Toi, tu restes ici, sans bouger; tu t'occupes de garder l'enveloppe jusqu'à mon retour. C'est clair?
- J'ai faim pareil.
- Une fois que je me serai entendu avec le Dodge... oh! oui, il ne faut absolument pas qu'il te voit avant que je lui parle sinon je ne donne pas cher de ta peau... Une fois...
- Et pourquoi pas cher?
- On ne sort pas le Dodge de prison pour des affaires ordinaires. Ce coup-là, lundi, c'est une grosse bibiite. Ton Japonais en a parlé.
- C'est pas mon Japonais, c'est Patrice.

L'image de Patrice se reforma dans le cerveau d'Éric et il ne put s'empêcher de ressentir une espèce de malaise face à ce qui s'était déroulé depuis leur départ en catastrophe de Montréal. Il n'écoutait plus Steve qui jacassait sans arrêt, lui donnant des ordres auxquels il ne devait absolument pas déroger.
- Je serai sans doute revenu...
- Et on déjeune comment, peux-tu me le dire? coupa Éric revenu à la réalité de cette chambre humide.
Steve quitta la pièce en coup de vent, verrouilla derrière lui comme s'il mettait à l'abri un trésor précieux. Il se passa moins de dix minutes avant qu'il ne revint, apportant à manger pour toute la journée, sans oublier les cigarettes, le nerf de la guerre chez Éric.

- À plus tard, et il le laissa dans une pièce où seules les grosses gouttes de pluie s'écrasant furieusement contre la vitre des fenêtres brisaient le silence.
Éric vérifia la poignée de la porte. Il était de nouveau enfermé.
- Il faut que je sorte d'ici, se dit-il.

VANCOUVER 5, TORONTO 4

La victoire de l'équipe de Vancouver (la jeune fille du bureau de location devait certainement être folle de joie car son Pavel Bure avait marqué quatre des cinq buts de son équipe!) avait jeté la consternation dans la ville de Toronto, encore plus que le mauvais temps.

Tous les matins de la semaine, l'hôtel York attairait beaucoup de gens en servant un brunch typique placé sous le thème de la chasse et la pêche. Tout le personnel était revêtu comme si chacun partait en excursion en pleine forêt, sur les lacs immenses de l'Ontario. L'hôtel s'attendait à encore plus de gens étant donné la possibilité de pouvoir croiser les joueurs de hockey.

Malgré la pluie, ce vendredi ne faisait pas exception à la règle. Une foule de curieux tentaient d'investir le hall, les plus chanceux s'étant trouvé une place dans la grande salle à manger. Malheureusement, aucun joueur n'était arrivé pour le déjeuner.

Steve se promenait de l'autre côté de la rue, se demandant s'il était prudent pour lui de se rendre directement vers le Dodge. La seule monnaie d'échange qu'il possédait, c'était l'enveloppe... et Éric.

Dans sa tête, il savait très bien qu'une fois l'enveloppe remise, il se fouterait carrément de ce qui pouvait arriver à son jeune compagnon. Ce dernier lui avait assez donné de difficultés jusqu'ici, il n'allait pas s'en préoccuper davantage.

Il réussit à entrer en se frayant un passage parmi cette foule qui n'avait d'idée que pour le hockey et ses vedettes. Àprès avoir joué du coude, il se retrouva devant la réception. Un monsieur très élégant, le maître d'hôtel, lui demanda s'il pouvait lui être utile.

- J'aimerais rencontrer un client de l'hôtel.
- Vous avez le numéro de sa chambre? Son nom?
- Je..., Steve vasouillait comme un enfant ayant oublié son propre nom.
- Jeune homme, comme vous pouvez le constater, l'hôtel est rempli et je n'ai guère le temps à perdre avec vous qui me semblez beaucoup plus à la recherche de quelque vedette qu'autre chose.
- Non... je...
- Alors, mon garçon! Vous ne connaissez pas le nom de la personne que vous souhaitez rencontrer?
- Je sais simplement qu'on l'appelle le Dodge...
- Nous ne sommes pas un garage, ... vous avez dit... monsieur Dodge?
- C'est ça.

Le maître d'hôtel dévisageait Steve tout en décrochant le téléphone. Il composa quelques chiffres à partir du standard. Il portait des gants blancs d'une grande netteté.
- Monsieur! Un jeune homme demande à vous rencontrer.
Quelques secondes s'écoulèrent. Le maître d'hôtel devint de moins en moins hautain et bredouilla:
- Oui, monsieur. C'est exact, monsieur. Tout à fait, monsieur. J'ai bien compris, monsieur.
La voix du maître d'hôtel chevrotait. Ses yeux scrutaient autour de lui. Il venait de s'entretenir avec quelqu'un d'impressionnant car son attitude, tout à coup servile, paralysée l'obligea à fixer ce Steve d'une toute autre façon.
- Jeune homme, vous devez attendre ici. Monsieur Dodge vous y rejoindra.

Steve recula de quelques pas et sentit monter en lui une espèce d'anxiété qui allait bientôt se transformer en angoisse. Il avait entendu parler du Dodge sans l'avoir jamais rencontré. Si monsieur Georges avait décidé de le mettre dans le coup, il ne fallait plus rire. Mais son plan lui paraissait indubitable.

On se bousculait toujours dans le hall pour gagner la salle à manger. Depuis quelques instants, des caméras de télévision et une horde de journalistes faisaient le pied de grue, souhaitant l'arrivée des joueurs des Canucks de Vancouver.

Lorsque le Dodge sortit de l'ascenceur, tous les représentants des médias se jetèrent sur lui croyant reconnaître tel ou tel athlète. Le regard sinistre du Dodge les fit reculer et s'excuser.
Steve avait tout vu. Il sentait ses jambes devenir molles comme de la guenille alors que le géant s'approchait de lui. Ce dernier l'avait reconnu et dans la tête de Steve, plus rien ne pouvait maintenant modifier sa destinée. Il se devait de jouer vite et bien, sinon c'était la fin.

- Monsieur Georges devrait être content maintenant, j'ai retrouvé l'enveloppe et le petit-cul.
- Tu parles trop, dit le Dodge qui plongeait des yeux de glace dans ceux de Steve grelottant comme après une heure sous la pluie qui, d'ailleurs, rageait toujours à l'extérieur.
Le Dodge le saisit par le bras l'entraînant vers un couloir derrière la réception. Voyant s'approcher le mastodonte, l'homme aux gants blancs se retira pour s'affairer à diriger la circulation dans le hall.
- L'enveloppe?
- Elle est à mon hôtel, répondit Steve qui souhaitait crier tellement la prise de bras du Dodge le faisait souffrir.
- L'enveloppe.
Steve voulut placer deux mots mais le radius de son bras droit deviendrait de la poudre d'os si, d'ici quelques secondes, il ne trouvait pas un moyen de lui faire ouvrir la main.
- Je t'apporte les deux: l'enveloppe et celui qui nous a fait du trouble. Mais je veux que tu téléphones à monsieur Georges afin qu'il me fasse partir loin d'ici.
- L'enveloppe.
C'est dire que le Dodge n'avait que cela dans la bouche. Il ne desserrait absolument pas les doigts et fixait Steve d'un regard réfrigérant.
- Fais ce téléphone pour moi, sinon tu vas rester là avec mon bras toute ta vie. Mourir tout de suite ou plus tard, c'est du pareil au même.
Le Dodge constatant que le petit truand semblait prêt à tout pour s'entretenir avec le patron, le somma de revenir d'ici une heure avec les deux objets en question. Ensuite, il parlerait à monsieur Georges.
- Tout de suite. Je veux lui parler tout de suite. Je n'ai pas traversé la moitié du Canada pour rien, avec le Japonais à mes trousses.
- Quel Japonais? demanda le Dodge qui reliait les informations entre elles.
- Celui avec qui Éric se trouvait.
- Où maintenant?
- Aucune idée. La figure de Steve se crispait de plus en plus. Il sait que nous avons l'enveloppe et lui, l'enveloppe il l'a lue. Il sait ce qui doit se passer lundi.
- Tu parles trop, le jeune. Reviens dans une heure et j'aurai parlé à monsieur Georges pour toi.
- Tu peux lui parler maintenant. J'attendrai ici que tu reviennes.

Le Dodge lâcha le bras de Steve qui le frictionna, encore heureux qu'il fût en place. Il tourna les talons et se dirigea vers l'ascenceur. Aucun journaliste, aucun photographe, aucun caméraman, personne ne se déplaça dans la direction du Dodge.

Finalement et contre toute attente, quelques joueurs de hockey se présentèrent le bout du nez. La fatigue se lisait sur leur visage. Ils se dirigèrent vers la salle à manger, précédés du maître d'hôtel qui feignait ne voir personne autour de lui. Il s'affairait comme s'il s'était agi de n'importe qui. Il n'avait probablement pas digéré la défaite des Maple Leafs, la veille.

Au bout de dix minutes, le Dodge revint vers Steve. Il avait un téléphone cellulaire à la main qu'il remit au jeune homme. Les deux individus se regardaient avec froideur, le plus jeune ne cessant de se frotter le bras droit.
- Monsieur Georges...

Un peu de politique à saveur batracienne... (19)

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