lundi 1 mars 2021

Otium # 6

 

« Ce que j'ai appris de plus beau. »

 

Cet otium,  à la suggestion de Claire, ne comporte ni photo ni image, mais repose sur un extrait du livre de Kim Thuy et Pascal Janovjak, intitulé À toi.

« Ce que j'ai appris de plus beau : jouer aux échecs, le nom des cinq classes d'insectes, faire parler les yeux, tailler une vigne, casser un oeuf, cuire un oeuf, inhaler la fumée, la recette d'un cocktail vénitien du nom de Spritz, nager en eau douce, prendre une vague, suivre un poisson, ramasser du bois, lire un tableau, lire un regard, lire un corps, et imiter le bruit de la goutte d'eau.

Ce qu'il me reste à apprendre  : changer les couches, les subtilités du subjonctif, me couper les ongles régulièrement. »

 

Je pourrais, tout comme le fait Pascal Janovjak, y aller d’une énumération d’apprentissages issus de mes plus jeunes années jusqu’à celles qui me mènent vers « ce qu’il me reste à apprendre », mais cela risquerait d’être ennuyeux, possiblement redondant, confondu à l’occasion entre apprentissages et connaissances, distribués sur une échelle qui répartirait les utiles et les futiles en deux colonnes inégales, cataloguant les beaux / belles par rapport aux laids / laides. Enfin, vous voyez le piège que cet énoncé implique !

On ne peut pas, du moins je le crois, avancer que ceci ou que cela a été ou est ce que l’on a appris de plus beau... User d’une numérotation ou d’un classement exigerait qu’on situe les apprentissages dans l’espace et le temps, leur accordant un degré d’importance ou d’influence les uns par rapport aux autres.

 C’est avec en tête ce qu’un grand pédagogue dont le nom m’échappe, a  écrit - “ On ne peut apprendre que ce que l’on sait déjà... “ - que j’entre dans le manège. Si je dois placer en tête de liste ce que j’ai appris de plus beau, une seule et unique réponse vient à mon esprit : apprendre à naître ; naître pour ensuite vivre, puis changer d’âge en âge comme s’il s’agissait du jeu de saute-mouton qui exige qu’on aille de l’avant, qu’on délaisse ce qui est derrière.

 Mais d’abord que signifie le verbe apprendre ? Que nous permet-il de conjuguer dans sa forme indicative passée (j’ai appris), présente (j’apprends) ou future (j’apprendrai) ?

 Apprendre 
c’est être avisé, informé de quelque chose ; chercher à acquérir un ensemble de connaissances par un travail intellectuel ou par l'expérience ; se rendre capable de... 
C’est porter à sa connaissance ; donner la connaissance, le savoir, la pratique de quelque chose... 
Également,
d’être appris, sachant qu’il y a des choses qui ne s’apprennent pas...

Le plus beau ne serait-il pas (conditionnel) d’apprendre à apprendre ? Ou encore ce gracieux subjonctif - il faut que j’apprenne - plus accueillant qu’un baroudeur impératif - apprends / apprenons / apprenez.

Selon le neuroscientifique Stanislas Dehaene, l’apprentissage repose sur quatre piliers :  l’attention ; l’engagement actif ; le retour d’information ; la consolidation de l’acquis. Est-ce que l’extrait (la liste des apprentissages énumérés) sur lequel mes deux collègues d’otium et moi avons à réfléchir, peut vraiment être lu à travers ce modèle qui m’apparaît davantage qualificatif ?

 Je me résous donc à élaborer sur ce que j’ai appris de plus beau : vivre après être né. Sans m’attarder à la pyramide de Maslow et sa hiérarchie des besoins (1. physiologiques ; 2. de sécurité ; 3. d’appartenance ; 4. d’estime ; 5. d’auto-accomplissement) il m’apparaît difficile de ne pas en tenir compte ainsi que les avancées de Jean Piaget en épistémologie génétique qui nous a appris que le langage est probablement le centre de tout apprentissage.

Partons de l’énoncé suivant qui tente d’amalgamer les idées de ces deux grands psychologues : plus les apprentissages sont nombreux, variés et complexes, plus le langage se développe, plus notre perception de l’environnement proche et éloigné permet d’avancer vers la beauté. Nos apprentissages et nos connaissances se plaisent au contact du “beau”  perçu par l’entremise de nos sens et possiblement d’un sixième un peu plus ésotérique.

Je sais que j’ai vécu avant de naître dans un environnement à la fois complexe, transformateur et préparatoire à ce qui suivra l’achèvement de la gestation.

Je sais que j’étais choyé - aucun choix à faire - n’avais qu’à me laisser bercer par les ondulations du liquide amniotique dans lequel je baignais et qu’un jour... Bang ! ... tout fut bouleversé, les eaux transmuées en oxygène et, instantanément, je dus apprendre à respirer tout seul, devenant graduellement celui qui ne savait pas encore qui il était et, à posteriori, celui qui aura à apprendre pour survivre. Ce premier examen échoué, aucun autre apprentissage ne peut advenir : assouvir sa faim et sa soif, dormir avec la certitude de se réveiller dans un environnement stable, sans anxiété ni crise, progressivement être en mesure de comprendre ce qu’est l’amour et l’affection, apprendre à les partager, puis,  tout doucement, arriver à ce que l’environnement reconnaisse et apprécie ce que nous faisons et encouragent nos efforts à rendre ceci réversible, partageable pour ensuite  réaliser certains accomplissements.

Tout cela aura été possible par le langage qui, pour l’être humain du moins, est la seule voie opérante pour traverser la vie.

Je sais beaucoup d’apprentissages qui furent beaux, alors que d’autres le furent moins et, combinant les deux, je peux réaffirmer que
« ce que j'ai appris de plus beau » 
doit continuellement demeurer au présent de l’indicatif
et me préparer pour  « ce qu'il me reste à apprendre »... soit à mourir.

Oui, mais comment apprendre à mourir ? Serait-il le seul apprentissage qui ne s’apprend pas ?

Chacun peut l’appréhender... tout au plus. Certains arriveront à visualiser la mort ; j’ai eu l’occasion de le faire lorsqu’une bactérie vicieuse, s’associant à un virus tout aussi pernicieux, m’a conduit à la porte de ce que d’aucuns appellent le tunnel au bout duquel jaillit une diaphane lueur blanche.

Est-il possible d’avancer l’idée que cette expérience d’un compagnonnage plus ou moins rapproché de la “ grande inconnue “ puisse être un apprentissage ? Je me permets une réponse basée sur ce que mon pédagogue dont j’oublie le nom et qui alléguait l’idée qu’ “on ne peut apprendre que ce que l’on sait déjà“ : nous ne pouvons pas faire l’apprentissage de la mort, seulement la considérer d’un point de vue intellectuel.

Il faudrait en revenir (sans nécessairement renaître) afin de pouvoir en parler avec une certaine crédibilité ; mon expérience de mort rapprochée - si cela était véritablement ce que j’ai vécue - ne me permet pas d’aligner de façon crédible ce que j’aurais pu apprendre. En fait, une seule chose : sa présence au bout de ma nuit dans laquelle la bactérie m’avait projeté, aura évacué la peur morbide que j’en avais.

C’est tout ce que j’ai appris de ce qu’il me reste à apprendre...

P.S. 1) J’avoue bien humblement qu’arriver à mémoriser le nom des huit (8) grandes régions et des cinquante-huit (58) provinces qui composent le Vietnam, j’aimerais bien.

P.S. 2)   Pourquoi avoir placé l’image du verbe “ apprendre “
            en tête
de ce texte
dans une position inversée ?
    Sans doute parce que
l’apprentissage nous aide à tout replacer
dans le bon ordre.
 
 
Jean (février 2021)

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Panne d’inspiration…
 
En réaction au nouveau défi d’écriture proposé — «ce que j’ai appris de plus beau; 
ce qu’il me reste à apprendre» —, un des participants avait exprimé que ce sujet était difficile. 
Avant de me lancer dans l’exercice, je doutais sérieusement de son diagnostic. 
Mais voilà que depuis quelques jours, je me surprends à tourner en rond autour du thème, 
me ralliant de plus en plus à son avis.

Par où empoigner le sujet? Quel angle d’attaque favoriser
Les questions de l’apprentissage et de la beauté ouvrent un vaste champ de possibles : 
s’agit-il de pointer les acquis intellectuels qui nous auront élargi l’esprit, 
fait communier avec des idées porteuses ou quelque percée poétique; 
de cerner les maitrises techniques dont nous nous serons enrichis et enorgueillis et 
qui nous auront été utiles; de revenir sur ces découvertes par l’expérience, ces «seuils initiatiques» 
franchis au prix de la souffrance et de la peine; de se rappeler les leçons héritées des aïeux, 
ces savoirs précieux, ces savoirs transmis parfois en voie de perdition?

Je fais du sur-place. Cette panne d’inspiration commence à me peser. Mon regard ne cesse de caresser 
le signet épinglé sur le coin de mon bureau, et qui met en exergue cette phrase lumineuse d’Albert 
Camus : «Au milieu de l’hiver, j’apprenais enfin qu’il y avait en moi un invincible été.» 
Pourrais-je en faire un point de départ? Ai-je véritablement le sentiment d’avoir découvert, 
à la dure, qu’il existe en moi un invincible été? Et si je devais exprimer en quoi consiste cet été 
indestructible, quels en seraient les contours…? Force est d’admettre que je stagne toujours dans 
l’impasse! Pour l’instant, la seule idée qui cherche à se frayer un chemin tourne autour de la lumière.
Fabuleux phénomène qui m’envoute tout autant qu’il me mystifie. Puis-je avancer que ce que 
j’ai appris de plus beau c’est de m’être laissée toucher par la lumière?

 

 


Eh bien, je fais l’aveu que j’ai en effet tenté de décliner cette proposition.

J’ai essayé de parler de la lumière, sous l’angle d’abord de son contact avec la matière, quand sa 
blanche essence se fragmente sur les objets en un arc-en-ciel de couleurs. Je me suis lancée dans une 
énumération des enchantements ressentis par ces couleurs. Par exemple : la vibration de l’incarnat 
des fleurs de géraniums dans un rayon de soleil; les francs bleus aveuglants des océans; le velours 
abricoté de l’aube; le jaune vif de la foison de pissenlits dans le vert tendre des pelouses printanières; 
le délicat nacre rosé d’un pétale d’églantier; l’intense violacé d’une aubergine; 
la brassée de diamants sur le miroir des flots; la lactescence filtrée d’un sous-bois de pins, etc.

Puis, j’ai tenté de parler de la lumière sous l’angle de son jaillissement dans les rencontres avec autrui, 
afin d’évoquer la clarté immanente perçue chez certains êtres chers. Par exemple : les phares bleus 
luisant dans les prunelles de mon amoureux; la soulante clarté des rires en cascades de mes amies; 
la perle salée suspendue au cil d’un étranger écouté; l’éclair qui fracasse les entrailles 
quand l’enfant en jaillit; l’éclaircie subite fusant du sourire de mon fils; l’atmosphère 
d’un clair-obscur à la pointe du pinceau de l’artiste, etc.

J’ai enfin tenté d’exprimer cette lumière cherchée en moi : irradiante et libre durant la prime enfance, 
émerveillé de l’éclat des étoiles dans la Voie lactée et du scintillement des rigoles d’eau printanières; 
puis, plus assombrie à l’adolescence quand le moi fragile faisait mal et qu’il faseillait comme 
une voile par temps chargé. J’ai essayé de parler de cette lumière à l’âge adulte, alors que 
je forais quelques couches d’obscurité et que je découvrais une nouvelle aube à travers
la transparence des larmes et l’attendrissement du cœur.

Oui, j’ai tâtonné à vouloir communiquer cette instruction de la lumière, mais hélas le texte n’a jamais 
vraiment coulé de source, les mots s’enfilaient en une suite d’énumérations laborieuses aux images 
parfois éculées, l’exercice se transformant en un pensum alors que je l’avais initialement envisagé 
joyeux.

Et puis m’est venu à l’esprit que parmi les plus belles choses apprises, le fait de rester vrai en était une.
Rester vraie ici, c’est arrêter de forcer sur un texte dont la forme ne se délie pas librement. 
Je me résous donc à ne livrer que cette réflexion, mais avant je tiens aussi à répondre à la question 
«que me reste-t-il à apprendre?». Simplement : la posture à adopter pour mourir. Je m’alloue 
cependant encore bien du temps pour la découvrir, en me promettant de savourer tous 
les hosannas ensoleillés que la vie voudra bien m’offrir pendant que je chercherai comment 
m’installer dans mon ultime asana !
 
(Et au suivaaaannnng!)
 
 
Claire, février 2021


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