mercredi 30 mai 2007

Le cent soixante-quatrième saut de crapaud (23)


Chapitre 56



Mario entra le premier dans la maison. Attendant les autres, pas du tout en troisième vitesse, ce fut le profond silence, de ces silences tellement lourds et profonds qu'ils vous blessent les oreilles, qui monopolisa son attention.
- Restons en groupe et pas un mot. On ne se lâche pas pour aucune raison.
- C'est justement cela que je me disais, répondit Caro de plus en plus mal à l'aise.
Par prudence, Joe ramassa Raccoon, lui chuchotant que pour rien au monde il ne devra s'aventurer seul.

Dans cette grand pièce vide, aucun meuble, aucun appareil ni électrique ni ménager, que trois portes formant...


- Un triangle.
- T'es tannant Mario avec té triangles.
- Remarque la disposition des portes, tu vois bien qu'elles forment un triangle.
- J'é jama été bon en maths.
- Un triangle a 180 degrés, continua Rock.
- En additionnant les trois chiffres, on obtient 9.
- Évident, poursuivit le plus petit.
- Voilà. 9. Tout comme un triangle possède trois côtés.
- Je ne te suis plus.
- Continuons en silence, coupa Mario des yeux tout le tour de la tête.


Annie ressentait le goût de fumer, plus que celui de manger, mais à l'intérieur c'est interdit. Elle suivait sa soeur un moment, puis son frère, un autre... comme pour resserrer l'esprit de famille! Mais où était-elle maintenant cette famille? Qu'en sera-t-elle lorsqu'ils reviendront à Rodon Pond, si jamais ils y reviennent?


Les trois portes étaient fermées. Aucune indication particulière ne pouvait les distinguer ou les caractériser. Au sein de la gang, l'assurance qu'on allait suivre les indications de Mario devenait de plus en plus un leitmotiv. Même du côté de Bob, complètement dépassé par la situation. On ne jouait plus maintenant, l'heure scoute avait fait place à la survie, pas la factice, la vraie. Il ne s'amusait plus et espérait de toute sa promesse scoute qu'on allait pouvoir sortir de ce merdier dans lequel, involontairement, il les avait menés. Tout démêler, ce qui ne faisait pas partie de ses plans, devenait une tâche abstraite qu'il venait d'abandonner dans les mains de Mario.


Caro s'approcha de Joe, ne voulant plus le laisser. Elle admit que près de lui une espèce de sécurité l'habitait, sentiment qui naquit le fameux soir... Jamais auparavant elle ne lui aurait fait confiance et ne se plaignait pas de voir Annie s'intéresser à lui, ceci lui permettant de ne pas trop se faire déranger. Mais elle l'avait bien vu, ce grand Joe militaire, lui glisser Raccoon dans les bras lors de la dernière séance de photographie: Raccoon, l'être le plus important dans sa vie.


Sans qu'il ne s'aperçoive, elle le regardait: cette chevelure impressionnante jamais coiffée, cette démarche dégingandée, cette allure de celui qui se fout de tout, Caro ressentait dans le regard qu'elle portait sur lui, que battait un coeur et qu'il l'entendait. Et que dans ce coeur, il y avait plus que ce qu'elle pouvait imaginer.


Mario s'approcha de la première porte. L'ouvrit. Doucement. À l'intérieur, les Six + un y découvrirent une série d'ordinateurs qui ne semblaient pas fonctionner. De marque inconnue - décidemment on était en monde inconnu, après les arbres voici ces appareils - disposés en triangle - admettez que vous vous y attendez! - aucun ne longeait les murs. Celui qui était situé à son sommet possédait une dimension plus importante que les autres.


- Tu vas certainement dire qu'il y en a 9?
- Les as-tu comptés? Rock.


Joe s'avança vers le premier appareil et, appuyant sur une touche placée du côté gauche de l'ordinateur, il sursauta, surpris de la voir démarrer.
- Hey! man, venez voir!


En demi-cercle derrière Joe, ils virent apparaître à l'écran le fameux insigne: un aigle à deux têtes avec des griffes puissantes tenant on se sait quoi.
- Cé pas la promière fois qu'on voé c'te bebitte là.
- Regarde le triangle qui entoure l'insigne, constata Rock, heureux de le faire remarquer à un Mario de plus en plus sombre.


L'aigle resta visible à l'écran quelques instants puis s'émietta. Une fois disparu, l'appareil s'éteignit de lui-même ce qui fit ouvrir un deuxième. Tout y était bleu. Vaguement, ils purent distinguer comme sur une carte que l'on verrait à vol d'oiseau, de petites veines blanches y circulant. Lentement, le bleu pâlit et s'y installa une image tout à fait reconnaissable.
- C'est le champ en arrière.
- Ne parle pas trop fort, Rock.
- Je suis certain que c'est le champ de blé artificiel qu'on a vu tout à l'heure. Rock s'excitait rapidement.
- J'te gage qui va flyer pis l'aut va s'allumer.
- Bon raisonnement. termina Mario.


Ce fut exactement ce qui se produisit. Le vert sur lequel les veines blanches s'étiraient offrit une image d'une clarté parfaite: le champ de blé s'ouvrait... sous lui, un cimetière... ou quelque chose dans le genre. Une texture semblable à celle du gazon artificiel que les Six avaient pu voir au Stade Olympique formait cette deuxième couche recouvrant le champ de blé.


Quatrième ordinateur: même stratagème que les trois premiers. Ils étaient, cette fois, dans les teintes de jaune. Les veines blanches aboutissaient sur une piste d'avion. Dire combien ils furent ébahis! La piste semblait à Mario se situer sous le cimetière lui-même, sous le champ... Des sous-étages...


- Je me demande combien il peut bien en avoir de ces étages?
- Tu sais bien qu'il y en a 9, répondit illico Rock à Bob dépassé par les événements mais cherchant à mettre de l'ordre dans tous ces illogismes qui l'agaçaient.


Mario remit du sérieux en leur faisant remarquer que le cinquième ordinateur tardait à s'ouvrir:
- On n'en saura pas plus si le prochain ne démarre pas.
- Comprends-tu mieux maintenant? demanda Bob.
- Pas encore, mais ça ne saurait tarder, précisa Mario.


Il ne venait pas d'achever sa phrase que tout s'éteignit. Les ordinateurs revinrent à leur noirceur originelle.


- Sortons de cette pièce. Allons voir l'autre. Sitôt dit que Mario franchissait la deuxième porte qu'il avait ouverte avec la même délicatesse que la première.


- Mario, remarques-tu? Comme dans l'autre pièce, il n'y a pas de système électrique. Comment tout peut fonctionner? Quand même pas magique!
- C'est clair que nous sommes en présence de quelque chose de très avancée sur le plan technologique. Je ne peux pas dire comment mais...
- ... de la science-fiction? continua Rock.
- Pas certain, non plus.


La deuxième pièce, vide. Une fois les Six + un en plein centre, ils entendirent des sons ou des bruits, c'était vague encore, mais ils semblaient provenir de l'intérieur de la maison sans qu'ils ne puissent voir quoi que ce soit.


- Ça me rappelle ta légende, Mario. Tu te souviens du vieux monsieur qui ne voyait rien mais entendait des choses et ensuite il entendait mais ne voyait plus...
- On est peut-être en train de vivre la légende!
- Mario, ça ne se peut pas, c'est toi-même qui l'a dit, termina Rock qui fouillait le vide de cette pièce yeux et oreilles à l'affût.


Les filles, un peu derrière, encadraient Joe et Raccon. Elles avaient particulièrement hâte que tout cela finisse et se sentaient impuissantes à en accélérer le dénouement.


- Dirigeons-nous vers le porte numéro 3. Mario vérifia derrière lui si tous le suivaient.


Arrêt. Écoute. Cette pièce, la suivante, pourrait leur apporter de nouveaux éléments, voilà l'impression qui fit du saute-mouton de l'un à l'autre. - De toute façon, comme lecteurs, vous vous dites que ça commence à être le temps que tout débloque. On comprend. -


Hésitation. Échange de regards entre les Six + un. Mario ouvrit, cette fois avec précaution plus que délicatesse. - Vous aurez noté la nuance! -

Chapitre 57


Lorsque l'inspecteur Jackson reprit conscience, deux choses lui apparurent: son chien fidèle couché tout à côté et le trousseau de clefs sur son ventre.
- L'odeur ne s'est pas améliorée.


Il chercha autour de lui, le RYLING 1926 sans doute, mais dans sa posture, ce fut la masse imposante du camion qui le surprit. Aucune trace de ces fameux outils volants ressemblant à des armes qui l'avaient obligé à un tour et peut-être moins du dix-roues, avant de s'effondrer.


Pesamment, il réussit à s'asseoir et entreprit un examen approfondi du trousseau de clefs. Elles étaient d'un très ancien modèle malgré le fait qu'elles fussent neuves, de formes différentes sauf une caractéristique commune: un insigne sur lequel se profilait un aigle à deux têtes et des griffes gigantesques tenant des objets difficilement identifiables.


Il considéra le garage où aucune porte, aucun cadenas auraient nécessité une clef afin de les ouvrir. Il se leva, tituba un peu sous l'effet du vieil alcool et celui du choc causé par le marteau volant, refit une autre fois le tour du garage. Dans sa tête un peu endolorie, il devenait certain que sans portes ou sans cadenas... son enquête risquait de faire du sur-place.


Roger Ninja suivait son maître avec une attention préventive... se demandant dans quel guépier il allait se retrouver d'ici peu de temps. Pas encore au bout de ses surprises et pour éviter le pire, le chow chow le regardant aller d'un côté puis de l'autre dans cet espace où l'odeur devenait de plus en plus intenable, se leva pour se diriger à droite du camion.


Sur un des murs, celui donnant sur la maison, le chien découvrit une toute petite serrure, mais vraiment minuscule. Il jappa. Jackson le rejoignit. Au bout du museau de son collaborateur, un orifice pouvant recevoir une clef. Après deux ou trois vaines tentatives, comme il était évident, la plus petite de toutes y trouva son chemin.


L'Inspecteur tourna dans le sens des aiguilles d'une montre. Un trou se forma dans le mur, d'un mètre de diamètre, assez pour y passer la tête. À l'intérieur, trois espaces dont deux étaient éclairés. Il dit à Roger Ninja:
- Ça ressemble à un tunnel. Je pense que l'on vient de découvrir quelque chose d'intéressant, mon cher Roger Ninja. Allons plus en profondeur...


Ils s'y glissèrent, choississant un des deux endroits éclairés. Ils ne pouvaient pas se lever pour le moment, mais d'ici quelques mètres cela leur sera possible. Le trajet allait en s'abaissant et suivait une ligne parfaitement droite.


Au bout de quelques miunutes de marche, les deux compagnons liés par la digne profession de voir à la sécurité publique et la répression du crime, stoppèrent devant une porte en cuivre surdimensionnée. Et cadenassée. Difficilement, Jackson trouva la clef puis ouvrit. Ils se retrouvèrent à ce qui leur sembla être le sous-sol de la maison.
- Au moins, ici, ça ne sent rien dit Jackson tout en jetant un coup d'oeil mais surtout en écoutant attentivement.


Son regard s'était de lui-même élevé vers le plafond comme s'il pouvait voir des bruits à travers le plancher. « Ce petit whisky est beaucoup plus solide que je ne croyais. »


Le sous-sol ne formait qu'une seule et unique grande pièce - il faut s'habituer dès maintenant à cette maison, il nous semble que toutes les pièces seront grandes - remplie de boîtes empilées les unes sur les autres. Une centaine sans doute. Sur chacune, un triangle encadrait l'insigne que l'inspecteur Jackson avait repéré sur les clefs.
- On croirait que voilà un entrepôt. S'il s'agit de whisky, je m'abstiendrai mais je serais plutôt enclin à penser qu'il pourrait s'agir de pierres précieuses. Ce tunnel que nous venons de parcourir leur permet de charger ces boîtes dans des camions stationnés dans le garage. Cela sans que personne dans les environs ne se doutent de rien. Beau plan!


Roger Ninja écoutait son maître donner des explications qui lui semblaient jouer davantage dans le monde de la divagation.
- Nos voleurs font partie d'une organisation beaucoup mieux structurée que nous le croyions au départ. Il nous faudra redoubler de vigilance. Examinons tout de même le contenu de ces boîtes.


L'Inspecteur ordonna à son chien de les flairer. Le chow chow, hésitant quant au côté à prendre, se lança droit devant, quelque chose lui disant qu'il ne devait pas japper. Vous remarquez tout de même de quel instint incroyable était muni ce chien!


En deux temps trois mouvements, Roger Ninja indiqua par des gestes d'aller-retour que certains cartons lui paraissaient suspects. L'Inspecteur, tout sourire, en fit basculer un de la pile pouvant certainement en contenir trente. La boîte de deux mètres de long par un mètre de large sur cinquante centimètres de haut, était scrupuleusement identique aux autres:
- J'ouvre celle-ci? demanda-t-il à son chien qui avait cesser de bouger, n'attendant plus que ce dernier agisse.


Jackson sortit un canif d'une de ses nombreuses poches d'imperméable. Facilement, trop peut-être, la boîte s'ouvrit. Des outils disposés de manière symétrique y reposaient: marteaux, petites masses et barres à clous.
- Des outils. L'inspecteur Jackson offrait une mine patibulaire.


Sur la boîte, il remarqua le fameux triangle et l'insigne de couleur rouge alors que la suivante tout juste au -dessous de celle-ci, eh! bien le triangle et l'insigne étaient de couleur bleue. Il la fit basculer afin de vérifier s'il s'agirait de la même cargaison, comme parfois ce valeureux inspecteur pouvait manifester une once de bon sens...
- Je le savais.


Roger Ninja était tout excité. L'inspecteur Jackson lui avait fait suivre une formation spécialisée pour flairer la drogue et là, devant eux, toute une cargaison de poudre blanche.
- En plus de voler des pierres précieuses, on trafique de la drogue. Ça me semble être de la cocaïne la plus pure qui soit. Qu'est-ce qu'il y a maintenant dans les boîtes avec un triangle et un insigne de couleur verte?


Ce dernier carton fut plus difficile à manipuler, pas plus lourd mais les boîtes semblaient soudées ensemble. Trois pour en former une. En sueurs, il réussit tout de même à en descendre une de la rangée; coup de canif et vlan! il tomba sur une boîte en métal.
- Ça doit être bien précieux, cette affaire-là.


Après plusieurs efforts, il l'ouvrit: des tubes de verre dans lesquels flottaient des ampoules et des seringues. Chaque tube contenait une ampoule et une seringue.


Souhaitant en ouvrir un, son attention fut portée vers l'étage. Il avait entendu marcher. Ou parler. Il regarda du côté de Roger Ninja qui se dirigea tout de suite vers l'escalier au fond de la pièce.

Un être dépressif - 15 -

  Un être dépressif -  1 5   - Une transplantation, c’est extraire de la terre pour la planter ailleurs.   Je tarde à le publier ce dernier ...