... la suite …
La naissance d’Herménégilde, son premier fils, transforma Élisabeth. En profondeur. Elle devint davantage une mère qu’une épouse. La grande majorité de ses attentions se tournèrent vers son rejeton et Joseph, le mari ténébreux, devint de plus en plus un accessoire dans sa vie. S’étant rapidement aperçue que celui-ci ne comblerait pas ses besoins affectifs, Élisabeth donna à cet enfant tout ce qu’elle avait. Ne resterait pour Joseph, qui ne s’en plaindra jamais, que les ordres, les commandes et, dans la noirceur de leurs nuits, quelques élans retenus de l’amour.
Elle saigna beaucoup après son accouchement, au point qu’elle jugea utile de se rendre chez madame Synnott, la sage-femme, afin de se faire conseiller. La vieille dame regorgeait de santé et sa jovialité était proverbiale. Rien des choses féminines ne lui échappait. À combien de nouvelles épouses avaient-elles suggéré des méthodes infaillibles pour passer à travers les craintes que leurs mères avaient inscrites dans leur imaginaire ? À celles dont les maternités successives avaient grugé toute leur énergie, elle savait leur offrir un breuvage qu’elle concoctait à partir de certaines plantes dont elle était la seule à en connaître la recette ? Aux femmes plus âgées chez qui les menstruations se faisaient plus abondantes et moins régulières, madame Synnott avait aussi une formule magique.
Élisabeth partit vers l’accoucheuse, Herménégilde bien emmailloté et installé dans un petit traîneau. Ce printemps tardait à réchauffer le jour et ressemblait, le soir, à des fins d’automne. Les nuages gris, immobiles au-dessus de sa tête, se faisaient menaçants. À chaque dix pas, elle se tournait vers son fils pour vérifier si tout était parfait.
Elle arriva complètement essoufflée. Ramassa le poupon, gravit les marches où la vieille dame la reçut avec un regard pénétrant, de ceux qui savent avant même que la parole se délie.
Madame Synnott habitait seule. Sa maison était située près de la route nationale que le père de Joseph, pendant de nombreuses années, s’esquintait à entretenir. Il y voyait une veine centrale infiltrant la région afin de mettre en communication une grande partie de la côte gaspésienne.
- Tu prendras bien une tasse de thé, ma belle Élisabeth ?
- Ce ne sera pas de refus, répondit la jeune mère, les bras remplis d’un Herménégilde endormi.
La naissance d’Herménégilde, son premier fils, transforma Élisabeth. En profondeur. Elle devint davantage une mère qu’une épouse. La grande majorité de ses attentions se tournèrent vers son rejeton et Joseph, le mari ténébreux, devint de plus en plus un accessoire dans sa vie. S’étant rapidement aperçue que celui-ci ne comblerait pas ses besoins affectifs, Élisabeth donna à cet enfant tout ce qu’elle avait. Ne resterait pour Joseph, qui ne s’en plaindra jamais, que les ordres, les commandes et, dans la noirceur de leurs nuits, quelques élans retenus de l’amour.
Elle saigna beaucoup après son accouchement, au point qu’elle jugea utile de se rendre chez madame Synnott, la sage-femme, afin de se faire conseiller. La vieille dame regorgeait de santé et sa jovialité était proverbiale. Rien des choses féminines ne lui échappait. À combien de nouvelles épouses avaient-elles suggéré des méthodes infaillibles pour passer à travers les craintes que leurs mères avaient inscrites dans leur imaginaire ? À celles dont les maternités successives avaient grugé toute leur énergie, elle savait leur offrir un breuvage qu’elle concoctait à partir de certaines plantes dont elle était la seule à en connaître la recette ? Aux femmes plus âgées chez qui les menstruations se faisaient plus abondantes et moins régulières, madame Synnott avait aussi une formule magique.
Élisabeth partit vers l’accoucheuse, Herménégilde bien emmailloté et installé dans un petit traîneau. Ce printemps tardait à réchauffer le jour et ressemblait, le soir, à des fins d’automne. Les nuages gris, immobiles au-dessus de sa tête, se faisaient menaçants. À chaque dix pas, elle se tournait vers son fils pour vérifier si tout était parfait.
Elle arriva complètement essoufflée. Ramassa le poupon, gravit les marches où la vieille dame la reçut avec un regard pénétrant, de ceux qui savent avant même que la parole se délie.
Madame Synnott habitait seule. Sa maison était située près de la route nationale que le père de Joseph, pendant de nombreuses années, s’esquintait à entretenir. Il y voyait une veine centrale infiltrant la région afin de mettre en communication une grande partie de la côte gaspésienne.
- Tu prendras bien une tasse de thé, ma belle Élisabeth ?
- Ce ne sera pas de refus, répondit la jeune mère, les bras remplis d’un Herménégilde endormi.
À l’intérieur ça sentait bon le thé chaud mêlé à l’odeur du feu qui ronflait dans le poêle occupant presque tout l’espace de la cuisine. Un morceau de viande, du gibier, cuisait avec une lenteur étouffée. Rien sur les murs. Pas même un crucifix. De longs rideaux d’une couleur difficile à identifier, à cause de l’âge sans doute, s’écrasaient jusqu'au sol. Une lampe à huile sur la table où une assiette bleue et blanche reposait tout près d’une tasse à moitié vide.
- J’arrive sur votre heure de dîner, s’excusa Élisabeth.
- Tu ne me déranges absolument pas.
Madame Synnott enleva le bébé des bras d’Élisabeth et se mit à le dévisager avec un sérieux inhabituel.
- Tu as un bel enfant.
Élisabeth se défit de son manteau et comme à son habitude, ne passant jamais par quatre chemins, exposa l’objet de sa visite.
- Depuis son arrivée, je ne cesse pas de saigner. Ça commence à beaucoup m’inquiéter.
- J’ai l’impression qu’il n’y a pas que cela qui t’inquiète, ma belle fille.
- Vous avez raison.
Madame Synnott, après avoir déposé l’enfant sur un fauteuil adossé près de la fenêtre, servit le thé.
- Je vais te donner une tisane qui devrait alléger les saignements. Tu sais, les petites personnes sont comme du concentré. Tout est plus compact que chez les autres. Mais dis-moi ce qui te tracasse ?
Élisabeth jeta un coup d’œil vers son fils puis, dévisageant cette femme qui semblait tellement au-dessus de tout, dont rien ne paraissait surprendre, lui ouvrit son cœur.
- J’ai un bon mari. Il est travaillant…
… Madame Synnott lui coupa la parole :
- Toutes les femmes disent cela mais dans le fond de leur cœur elles ne le pensent pas. Elles essaient plutôt de se convaincre. Nous portons toutes un poids si lourd qu’il écrase qui nous sommes vraiment. Tu sais, Élisabeth, nous ne vivons pas dans un temps de femmes.
Élisabeth se mit à pleurer.
… à suivre …