vendredi 23 juin 2017

S A M L A N D l'histoire au complet!



21 Juin 2017

Je ne me classe pas dans la catégorie des peureux ou des «héros»; je suis plutôt quelque chose entre les deux, quelqu’un qui ne supporte ni l’injustice ni la pleutrerie.

Ce que nous vivons, au 29e étage du building Samland de Saïgon, ne doit pas être interprété comme une situation habituelle en terre vietnamienne. Un escroc demeure ce qu’il est d’où qu’il provienne.

Le tout a débuté il y a maintenant moins d’une semaine. Par une interruption de courant en fin d’après-midi. Cela peut se produire assez souvent ici surtout en raison des travaux de construction d’un autre building tout juste à côté du nôtre. On se disait que le tout allait se régulariser dans les heures qui suivent.

Le lendemain et le surlendemain, comme la situation ne revenait pas à la normale, l’inquiétude et l’inconfort s’implantaient chez mes amis locataires d’appartements ou de chambres autour. Plusieurs sont venus me demander si je connaissais la source du problème. Pas de réponse à leur question.

À leur mine pantoise, j’ai rapidement réalisé que ma relation avec le manager du 29e, qui se détériorait depuis un certain temps, allait prendre une nouvelle tangente. Tous avaient réglé leur dû, tous vivaient des problématiques personnelles avec lui mais qui se ressemblaient : lavabo bouché, internet qui coupe régulièrement, beaucoup de bruit provenant de l’appartement que la manager occupe, des visites nocturnes fort désagréables… et j’en passe. Le rejoindre, afin de signaler des situations chaotiques, relevait de l’impossible. La procrastination est sa règle de gestion.

Depuis quelques jours, en raison de la présence à Saïgon d’amis en provenance de Ha Giang dans le nord du Vietnam, je suis irrégulièrement présent dans mon appartement. Je constatais, alors que les autres le subissaient toute la journée, que la coupure, car il faut parler de coupure, de ces services essentiels devenaient pour le moins intolérable. Mes tentatives d’entrer en contact avec celui que je surnomme maintenant «l’escroc» furent vaines. Plus personne ne pouvait m’informer sur l’endroit où il pouvait se trouver.

Les femmes de ménage et les employés proches avaient quitté le navire, l’espace qu’il occupe – situé tout juste à l’étage au-dessous duquel je vis – vide et obscur.

À la troisième journée sans électricité et sans eau, une fois avoir vu avec les agents de sécurité du building que nous nous dirigions vers une certaine permanence de la situation… j’ai décidé d’agir.

J’ai avisé quelques locataires que j’allais rencontrer le manager général du building et que je souhaitais qu’ils puissent se tenir prêts pour une action collective. Fort de l’accord de tous, je me rends au bureau dudit manager. Un type charmant mais tout à fait sous la botte des propriétaires du building qui se foutent éperduement du confort minimal des locataires.

Il est 17 heures 45. Nous sommes le mercredi 21 juin. La secrétaire me dit, dans un anglais approximatif, qu’elle allait l’appeler. Elle me tend l’appareil que je refuse, lui signifiant vouloir le rencontrer personnellement. Surprise, elle lui transmet le message. Il arrivera dix minutes plus tard. Dans le bureau qui sert de local répondant à la clientèle, si je m’exclus, trois femmes et un homme y travaillent. Je remarque, et cela depuis mon entrée, leurs sourires complices saupoudrés d’une espèce de lassitude que la présence de leur patron allait rapidement dissiper.

J’expose le problème que nous vivons au 29e. Il écoute. Me répond que le manager du 29e doit 200 millions de dongs à la compagnie propriétaire du building. Comme il n’a pas payé son dû, on a coupé l’électricité et l’eau. Je lui réponds ne pas comprendre pourquoi nous devons être punis en raison des mauvais agirs de ce type. Il sourit. Il y a parfois dans le sourire asiatique une invitation à le lui faire avaler. Mais je me retiens. J’avance plutôt cette solution : courez après lui mais d’abord rebrancher le tout. Il dit ne pas avoir ce pouvoir. Les sourires des employés m’incitent à changer de stratégie…

On m’explique, pour une dixième fois, que tant et aussi longtemps que le manager du 29e n’aura pas réglé sa dette envers Samland, le courant ne sera pas rétabli. Dans ma tête, je revois la famille avec un bébé, mes amis qui habitent tout à côté et qui ont décidé de louer une chambre d’hôtel, les employés qui doivent maintenant cesser de travailler ainsi que tous les autres qui se sont réfugiés dans un mutisme déplorable ne sachant trop à qui se plaindre.

C’est alors que je me suis placé devant l’unique porte du bureau et leur ai dit : si le courant n’est pas rétabli maintenant, personne ne sortira de ce local. Nous allons passer la soirée, la nuit s’il le faut à attendre que tout se régularise. On sourit… collectivement. Sauf que je suis plutôt sérieux.

Une secrétaire, s’excusant, me dit qu’elle doit sortir afin de se rendre aux toilettes. Désolé… je suis vraiment désolé, mais il n’y a pas d’eau, alors vous demeurez avec nous. Rassise sur sa chaise, elle ne la trouve pas drôle du tout. On sourit… un peu moins.

Dix minutes de silence que je qualifierais d’insupportables. Le manager général me propose de rétablir le courant de 6h PM à 8h PM. Refus total de ma part. La jeune secrétaire qui a de plus en plus besoin de se rendre aux toilettes commence à… jaunir. Désolé, lui dis-je, mais nous ça fait trois jours que l’on n’a pas d’eau, vous pouvez bien attendre. De toute façon, ici dans ce bureau on a la climatisation et la lumière, ce que l’on ne bénéficie pas au 29e alors on attend… on attendra toute la nuit s’il le faut… deux ou trois jours même, ça ne me pose aucun problème.

L’atmosphère est pour le moins…tendue. C’est fou comme je réalise que ce genre de chose, eh bien je ne déteste pas.

On vit par coups de dix minutes. Deux collègues du 29e arrivent et je les invite à bloquer la porte à partir de l’extérieur. Cela a pour effet de mettre encore plus de sérieux à la démarche. Je ne vous dis pas comment peut se sentir la jeune dame qui souhaite se rendre aux WC!

Bloqués par l’intérieur et l’extérieur, j’utilise une autre argument… genre massue. Pourquoi ne pas appeler la police? D’ailleurs, je me demande pour quelle raison vous ne l’avez pas encore mis à la recherche cet escroc. Le mot «police» a un effet de dynamite. Non, non me répond le manager général. On ne veut surtout pas que les autorités se mêlent de cette affaire. Je considère cela comme un bon point.
C’est alors qu’il propose de rétablir le courant jusqu’à 10 heures PM. Nouveau refus de ma part. Vous nous rebranchez jusqu’à la fin du mois ou nous continuons de vivre enfermés ici comme des huîtres. L’envie de la secrétaire ne va pas du tout en s’amenuisant et le regard de feu qu’elle dirige vers son patron parle de lui-même.

Alors, surprise chez tous et chacun, le manager du 29e appelle. On discute en vietnamien. On me traduit. Il dit qu’il allait se présenter vers 8h PM. Même si je n’y crois pas du tout – ce que je tais – le manager général y voit une porte de sortie. D’accord, on allait rebrancher le 29e. Je demande à mes deux collègues d’accompagner le manager général vers la salle d’alimentation et d’ensuite se rendre à notre étage afin de vérifier si tout était revenu à la normale.

La jeune secrétaire n’en peut tout simplement plus. Désolé que je lui répète, mais on attend le retour de nos amis et d’ici là, personne ne sort du bureau. Ses yeux ne me manifestent aucune marque d’affection.

Comme on semble avoir opté pour des tranches de dix minutes, les émissaires reviennent en compagnie d’un manager général qui semble en avoir plein ses culottes. Tout est correct. La jeune fille se précipite vers la sortie. Nous quittons le bureau. Je dois dire que les visages des uns et des autres n’exsudaient pas le même sentiment.


22 Juin 2017

Comme une traînée de poudre, toute cette histoire fit le tour du building. Je devenais un «héros» recevant roses et chocolat, chacun regagnait son appartement, mais je sentais une certaine fragilité quant à l’étendue de la résolution du problème. Je me suis donc invité, à nouveau, chez le manager général du building.  J’apprends, sans surprise, que le manager du 29e ne s’est pas présenté la veille comme il l’avait promis. Afin de conserver les acquis, c’est-à-dire le rétablissement de l’électricité et de l’eau, je lui ai rappelé que le contentieux entre Samland et le manager du 29e ne nous regardait pas. De plus, je lui ai annoncé que les locataires qui avaient loué une chambre à l’hôtel au cours des trois derniers jours devaient être remboursé. Consternation de sa part alors qu’il pouvait lire dans mon visage que cela m’apparaissait tout à fait normal et que la dernière chose qu’il souhaitait n’était certainement pas de lire sur Facebook que Samland était une compagnie de broche à foin. J’avoue que traduire cela en anglais me fut plutôt pénible. Il a bien saisi et dit qu’il allait attendre les factures des locataires. Je n’ai pas osé lui demander si la jeune secrétaire qui jaunissait à vue d’œil avait pris une journée de congé.



23 Juin 2017

L’affaire se corse!

À la surprise générale – moi, le premier -  le manager du 29e qui avait disparu laissant ses trois enfants seuls et sans aucune personne pour s’en occuper, réapparaît. Il a sans doute, je ne puis le certifier, rencontré les dirigeants de Samland puisque mon réseau d’informations m’a fait savoir qu’on lui aurait donné 60 jours pour régulariser la situation. En fait, j’ai appris qu’il loue des appartements à Samland pour ensuite les relouer. Comment une compagnie comme celle-ci peut accepter des retards aussi importants dans les paiements? 200 millions… ce n’est pas des bagatelles! (20 000 dongs = 1$ US)

Depuis quelques semaines, je l’avais aussi remarqué, un homme d’un certain âge pataugeait dans les lieux. J’ai su qu’il s’agissait d’un membre influent de la mafia du District 8, ami du manager du 29e. Il a purgé 20 ans de prison pour je ne sais trop quels délits. Sorti de prison, il fut stupéfait de voir comment la société avait changé : la politique, le social, l’internet, le cellulaire, etc. En prison, il continuait à gérer certaines activités illicites, dont le trafic de drogue. On m’a dit, sous le couvert de l’anonymat, que la manager du 29e lui devrait plusieurs millions de dongs.

Si je fais rapidement le calcul, j’arrive à beaucoup beaucoup de millions… Mes gougounnes sont plus confortables que les siennes.

Donc, la mafia du District 8 entre dans le dossier et, par personne interposée, on m’a fait savoir que le manager du 29e avait assez de troubles pour le moment sans en rajouter d’autres. Sans que cela puisse être interprété comme une menace, je dois comprendre que m’éloigner un tantinet soit peu serait préférable.
Le manager du 29e m’a fait savoir qu’il s’attendait à ce que je remette sur les murs que j’ai peints en turquoise et orange, leur couleur originelle. Feinte de non-recevoir de ma part. Je lui ai fait savoir que l’appartement me semblait dans un meilleur état que lors de mon arrivée.

Personnellement, je crois avoir respecté le contrat qui nous a liés pour un peu plus de dix-huit mois et je quitte en direction du District 1, l’âme en paix.


À la prochaine

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