samedi 2 juin 2007

Le cent soixante-quatrième saut de crapaud (26)


Chapitre 61



Personne n'osa parler suite au départ du personnage, préférant se retirer en lui-même... en elle-même... en soi-même... repassant sur son écran intérieur les images des événements s'étant abattus sur eux depuis la légendaire traversée de l'étang. Chacun saisissait mieux maintenant le sens de ce qui s'était produit: être prisonnier d'un champ magnétique alors que l'on était parti en vacances, en camp sauvage! La suite, que leur réservera-t-elle?


Devant eux, six jeunes punks furent tués, sans doute après avoir été drogués et aveuglément utilisés pour servir les ambitions des représentants du Triangle d'Or! Froidement tués puis évacués... voilà ce qui attendait Mario, Bob, ses deux soeurs, Rock et Joe de même que Raccoon? Sans oublier les deux représentants de la police de Montréal. Très évident que ces vies ne pesaient pas lourds pour cette organisation.


Comment s'en sortir? La pression du moment retombait sur les épaules de Mario, celui qui avait su s'adresser au personnage et peut-être même l'impressionner avec ses déductions, un peu comme Bob avec monsieur Gagnon, le propriétaire du camping le Domaine du Rêve où tous souhaiteraient se retrouver actuellement; davantage que sur cet inspecteur Jackson complètement perdu dans l'histoire, et son chien qui avait opté depuis un bon moment de s'amuser avec le bébé raton laveur.


- Toute une affaire, dit ce Jakson dans un soupir long comme l'attente dans laquelle le personnage les faisait mijoter.


Rien de bougeait dans la pièce. Dans la maison, rien. Sur l'écran, du noir.


- Il ne reste plus qu'à attendre et espérer une fin heureuse, dit Mario semblant parier sur l'avenir.
- Jamais de toute ma vie, je n'aurais cru vivre une telle affaire, soupira Annie.
- Ça n'arrive que dans les livres!
- Y m'sembe que ça fa bin dé fois qu'tu dis ça, Rock.
- Ça ne te dérange pas te mourrir, toi?
- Chu sûr qu'on mourra pas. L'optimisme de Joe en plus de ne pas faire effet, n'était pas du tout contagieux.


Mario s'approcha de l'écran géant y cherchant quelque chose qui pourrait accélérer la suite des événements. Démarche inutile.


- Je voudrais m'excuser auprès de tout le monde, dit Bob. Je me sens responsable de ce qui arrive et coupable de vous avoir embarqué dans une telle galère. Il enleva ses lunettes qu'il essuyait avec son foulard rouge.


Tous virent les larmes couler des yeux de ce chef intrépide, du moins le croyait-il, mais qui venait de s'écrouler lamentablement devant une réalité plus forte que lui. Mario, la main tendue, s'approcha de lui:
- Tous, nous avons accepté ce projet. Tous, nous en sommes solidaires. Dans le même bateau du début jusqu'à la fin, il n'est absolument pas question que tu prennes, seul, le blâme pour ce qui arrive. Nous sommes une groupe, une gang et nous le resterons quoi qu'il advienne. Je pense que la fin ne sera pas ...


Les pas qui se faisaient entendre dans l'escalier prirent le dessus sur les belles paroles senties de Mario; les yeux se pointèrent vers le personnage qui revenait vers eux. Il n'était pas seul. L'accompagnait une autre personne qui, au premier coup d'oeil, semblait plus âgée mais à l'allure aussi jeune. Tous les deux adoptant une démarche fort lente, se dirigèrent vers la table en cuivre. Le personnage tira le fauteuil afin que le nouveau venu puisse s'asseoir.


- Je vous présente un des trois chefs de l'organisation du Triangle d'Or. Vous vous adresserez à lui, seulement mais alors seulement s'il vous adresse la parole et en l'appelant Maître.


Le Maître en question promenait son air hautain sur chacun. Ses yeux d'un bleu tellement clair qu'on avait l'inconfortable impression de ne percevoir à travers ce regard froid comme de l'acier aucun sentiment, aucune émotion. Un mort sortant de sa tombe, les fixant avec étonnement.
- Lequel se nomme Joe?
Joe, surpris de s'entendre interpeler par le Maître, bafouilla que c'était lui.


- Avance vers le Maître, lui ordonna le personnage du ton sec de celui qui s'attend à ce qu'on lui obéisse sur le champ.


Un coup d'oeil vers Mario... un arrêt d'une fraction de seconde... un second coup d'oeil vers Raccoon celui-là... Joe devenu une boule de malaise, tremblant de la tête aux pieds... se voulant ailleurs, au parc à fumer avec ses anciens amis... fit un pas vers la table cuivrée.


- Sans le savoir, Joe, tu as sauvé ton groupe, dit le Maître.
- Est-ce que... je puis-je... tu... savoir comment... Son bégaiement le rendait à la fois vulnérable et profondément vrai.
Le personnage lui rappela qu'en s'adressant au Maître, il devait utiliser ce mot.
- Maître, coupa Joe.


Le Maître, dignement, se leva, traversa de l'autre côté de la table, s'approcha de Joe qui, instinctivement, recula.
- Tu n'as aucune crainte à avoir, lui dit le Maître soulevant très doucement son bras vers le grand qui paraissait aussi petit et aussi inquiet que Rock l'aurait été si les rôles furent interchangés.
Joe esquiva ce qu'il crut être soit un coup de poing ou une taloche, cachant la figure de son avant-bras.
- Plus jamais personne ne lèvera la main sur toi, Joe.
- Cé sûr, si chu mort, euh! ... Maître.


Le personnage vint se placer tout à côté du Maître. Tous remarquèrent que les deux n'étaient pas armés. L'écran géant démarra faisant apparaître des images vieilles de plusieurs années. En noir et blanc. On y voyait des soldats, sans doute étions-nous dans les années 1920.


- Joe, je te demande de fixer l'écran sans jamais le quitter des yeux.
- Comment ça toutl'monde y sé mon nom?


Les yeux se rivèrent à l'écran où les images de guerre défilaient à une vitesse inouïe. À quelques occasions, la caméra s'immobilisait sur une personne que l'on voyait de dos, parfois de côté mais chose certaine, jamais de face. Il devenait de plus en plus clair qu'il s'agissait de la même, vêtue d'un habit militaire vert kaki.


- Suis l'écran, Joe, insista le Maître.


Les scènes de guerre firent place à d'autres, plus récentes. Les images, au début, pouvaient provenir de l'époque de la Première Grande Guerre Mondiale, les suivantes, de la Deuxième. Ces films dataient d'entre 1914 et 1945.


- C't'une vue de guerre, mon Maître.
- De deux guerres, Joe. Celles que j'ai faites avec l'habit militaire que tu portes présentement, celui que je t'ai fait parvenir par la poste.
- Mon... grand-père... Pepère?


Les autres qui assistaient à la scène nageaient dans l'incroyable. Celui que Joe appelait son grand-père devait normalement avoir plus que de quatre-vingt-dix ans... mais n'en paraissait à peine trente...


- Pepère... Maître...
- C'est ainsi que ton père m'appelait.
- Cé quoi l'affaire? J'comprends pu rien!


Le Maître et Joe quittèrent la pièce en traversant l'écran géant comme s'ils étaient passés à travers une pièce de tissu noir.


Le personnage, seul avec les autres encore plus estomaqués que Joe le fut en apprenant la nouvelle, leur indiqua que la conversation entre le Maître et Joe allait durer quelques minutes, qu'ensuite ils sauraient ce qui adviendra d'eux.





Chapitre 62





Le Maître fit s'asseoir Joe dans un grand fauteuil au beau milieu d'une pièce comme jamais auparavant le grand n'avait vue et sans doute n'en reverra-t-il plus jamais. « Un salon de millionnaire! » comme il le dira aux autres, lorsque la conversation revint sur le sujet. Au sol, des fourrures sur lesquels reposaient des sofas en cuir luisant; aux murs, de magnifiques tableaux alors que des fenêtres panoramiques donnaient sur le parc national qui, de ce point de vue, apparaissait beaucoup calme et attrayant aux yeux de Joe. Un foyer installé dans un des coins au-dessus duquel une gigantesque tête de guépard présentait ses crocs aiguisés. Il y avait sur une table superbe fabriquée en bois d'acajou un plat de fruits.


- Joe, enlève ton veston et donne-le moi.


Joe s'exécuta et le Maître vérifia l'ourlet à l'intérieur du collet du vêtement militaire, s'assurant que les informations qu'on lui avait transmises étaient exactes.


- C'est bien toi, Joe.
- Cé sûr qu'cé moé. J'pourrais tu rejoinde les autres? Alles-vous tous nous tuer ou jusse moi? Pis Raccoon? Quand vous allez nous tuer? Pis Raccoon?


Le Maître écouta l'angoisse de Joe, un léger sourire lui traversant le visage:
- Tais-toi et tu m'écoutes.
Joe, surpris par l'attitude du Maître, retrouva son calme.


- Je vais te raconter, seulement à toi, l'histoire du Triangle d'Or. Ensuite vous partirez, ton groupe et toi. Vous repasserez l'étang pour vous retrouver à l'entrée du parc national. Cette histoire vous habitera, surtout toi, mais vous ne pourrez en parler qu'entre vous, jamais à personne d'autre.
- J'vous jure qu'on va faire c'que vous dites, mon Maître.
- Tu peux m'appeler Pepère.
- Oui mon Maître Pepère... euh! Maître... j'veux dire... Pepère.


Le Maître prit place confortablement dans un immense fauteuil, garda un profond silence quelques secondes puis:
- J'ai fait les deux grandes guerres. Pour tous, je suis mort en 1944, le 9 juin, mais en fait, je fus enrôlé dans une brigade spéciale qui se nomme Le Triangle d'Or. Il y a des membres sur les cinq continents et ...


Le Maître raconta toute l'histoire de cette organisation internationale à un Joe inhabituellement attentif et intéressé. Il acheva ainsi:
-... tu sais, les êtres humains sont souvent pris entre la réalité qu'ils prennent pour du fantastique et le fantastique qu'ils souhaiteraient voir comme étant la réalité. Ton groupe et toi, venez de vivre une expérience de cette nature et à partir de maintenant et pour le reste de votre vie, ce que verrez vous semblera faire partie de l'une ou de l'autre de ces entités. Vous êtes devenus conscients de leur existence parce que vos sens ont été interpelés par l'un et l'autre. L'énergie du triangle vous suivra désormais et vous pourrez l'utiliser correctement ou incorrectement. Vous pourrez en faire de bonnes ou de mauvaises choses. Notre organisation fait les deux. Lorsqu'elle procure des armes sous forme d'outils à Saddam Hussein avec lesquels il tue des gens, nous faisons de mauvaises choses. Lorsqu'elle permet à des personnes de demeurer jeunes, de ne jamais plus être malades et possiblement ne pas mourir, nous faisons de bonnes choses. Cela m'est arrivé, en 1944... Je suis le résultat d'une expérience de cette sorte... et qui a réussi. Ce n'est pas la même chose pour tous... Vous avez pu le constater.


Joe écoutait son grand-père qui semblait aussi jeune que lui, avec une attention soutenue. Ses oreilles n'en revenaient pas autant qu'il ne croyait pas ses yeux.


- Vous porterez, désormais, un grand secret. Il sera en vous jusqu'à la fin de vos jours. Et toi, Joe, sache que tes jours ne s'achèveront jamais puisque nous avons réussi à glisser à l'intérieur de Raccoon un sérum d'immortalité. Lorsqu'il t'a griffé voulant se jeter par terre pour affronter les rats, ce sérum thérapeuthique est entré en toi. Il y aura toujours un Joe sur la terre. Un Raccoon aussi.


Joe était éberlué... Il entendit son grand-père achever ses paroles sur: « Va maintenant rejoindre les autres. Les ordres sont donnés pour que vous soyez à l'étang et qu'ensuite vous quittiez le parc.»
- De quel côté de l'étang on va être?


Le Maître se leva, s'approchant de Joe il le prit dans ses bras. Le grand, mal à l'aise, ne put s'empêcher lui aussi de le serrer à son tour.


- Adieu, Joe. Bonne et longue vie! N'oublie pas que tu pourras profiter de toutes ces choses spéciales que tu as vécues depuis trois jours en en faisant ce que bon te semble... ce que tu choisiras d'en faire pour toi et les autres...
- Adieu, mon Maître Pepère.


Le Maître lui fit retraverser l'écran. À son retour, les autres, soulagés, n'osèrent rien dire à cause de la présence du personnage qui dit:
- Suivez moi.


Rapidement, ils se retrouvèrent à l'extérieur de la maison. Rien n'avait changé.


- Vous suivrez ce chemin, celui devant le garage. Vous marcherez sans jamais vous retourner. Ne vous surprenez de rien et vous serez à l'étang dans quelques minutes.
- Notre stock? s'inquiéta Rock.
- Il vous attend. Vous et le chien, vous demeurez ici.


Les Six + un partirent difficilement car Roger Ninja ne voulait pas laisser Raccoon. Mais son devoir l'appelait auprès de son patron. Leur séparation fut brève. Le petit raton laveur jeta un dernier coup d'oeil derrière lui et courut rejoindre son maître, sa mère ou son frère...


En silence, la gang s'avança sur le chemin. Effectivement, quelques courtes minutes plus tard, les revoilà devant l'étang.






Pendant ce temps-là...




Le personnage ordonna au chow chow de se coucher, ce qu'il fit sans rouspéter. Il rejoignit l'inspecteur Jackson pour le conduire dans une autre pièce que personne n'avait remarquée, lui demanda de prendre place sur une toute petite chaise. On lui plaça un casque d'écoute sur les oreilles. Les sons projetés l'étourdirent à un point tel que tout son cerveau en oublia les quarante-huit dernières heures... Un flash noir passa devant ses yeux, rapide comme l'éclair et le voilà au volant de sa Renault 5 à l'entrée du parc national, Roger Ninja assis à côté de lui.


- Enfin les vacances! Veux-tu me dire, Roger Ninja, c'est quoi l'idée de venir dans ce parc perdu?
Le chow chow l'écoutait n'en revenant tout simplement pas de cette dernière question.


Alors qu'il tentait d'y trouver une réponse, l'inspecteur Jackson vit six jeunes sortir du parc, équipés pour le camping et semblant passablement fatigués.
- Bon camping, les jeunes?
- Il y a beaucoup trop de bibittes, répondit Bob à la tête du groupe.
- C'est en plein la saison pour ça, lui renvoya Jackson en démarrant sa voiture au moment même où un camion s'arrêtait de l'autre côté de la route, faisant monter six jeunes et un raton laveur que Roger Ninja fixait de manière interrogative.


L'Inspecteur fit demi-tour, direction Montréal. Le camion sur les portières duquel on pouvait lire TRANSPORTS McCRIMMON le doublera neuf kilomètres plus loin.


Bob et Caro, assis à l'intérieur, entretenaient la conversation avec monsieur McCrimmon alors que les autres, dans la boîte du dix-roues, regardaient fléchir un merveilleux soleil de fin d'après-midi. Ils seront au Domaine du Rêve dans moins d'une heure.


- Jamais j'oublierai l'parc national, dit Joe en caressant son raton laveur.
- T'as raison, répondit Rock.
- Veux-tu une cigarette, demanda Annie.
- Jamais non aux bonnes choses d'la vie.


Le mastodonte s'arrêta devant la porte d'arche du camping chromé, laissa descendre les jeunes remerciant à tour de rôle le chauffeur qui les saluait tout en s'ouvrant une canette de bière.


Monsieur Gagnon parut surpris de les voir revenir si tôt, ne les attendant que le mardi suivant.
- Revenez-vous pour la messe?
- Les moustiques ont eu raison de nous, répondit Bob ne voulant pas éterniser la conversation avec le propriétaire du camping.
- Il y a madame Béliveau qui a téléphoné hier et avant-hier. Je lui ai demandé si elle voulait laisser un message puisque vous étiez en excursion mais elle a dit non, qu'elle voulait tout simplement prendre des nouvelles.


Rock ne broncha pas, suivant les autres vers les emplacements où ils remontèrent rapidement les tentes puis s'installèrent pour le souper. On notait chez chacun un goût prononcé pour le silence... Joe regardait des stigmates imprimées sur son bras...


Le haut-parleur cria, à l'occasion, le nom de monsieur Gagnon alors que la soirée s'annonçait douce. Aucune activité spéciale n'était prévue en ce dimanche soir.


Les Six + un souhaitaient se coucher tôt...

Un être dépressif - 15 -

  Un être dépressif -  1 5   - Une transplantation, c’est extraire de la terre pour la planter ailleurs.   Je tarde à le publier ce dernier ...