…la suite...
- Comme j’aimerais que Clémence soit encore dans les parages, se disait Madeleine assise sur une petite chaise, scrutant dans les eaux de la mer qui bougeaient langoureusement devant elle, se demandant anxieusement si les heures qu’elle passait seule dans la maison de son mari avaient encore de l’avenir.
Elle voulait accrocher le temps sur une ligne interminable, consciente qu’au retour de Marcelin sa vie allait redevenir un tissu ininterrompu d’horreurs et de souffrances. Son ventre enflait tout comme sa peur. Comment allait-elle pouvoir supporter les coups devenus de plus en plus fréquents au moment de son départ et qui, désormais, en frapperaient deux : la femme et l’enfant qu’elle portait?
Le matin de l’arrivée des marins, en cette fin de juin torride, fut marqué comme la tradition le voulait par une envolée de cloches à l’église. Pour certains, cet heureux événement ouvrait la porte à des retrouvailles émouvantes, des histoires de pêche et pour une autre, représentait le tocsin.
Marcelin entra et remarqua immédiatement la situation nouvelle dans laquelle se retrouvait son épouse. Il allait être père. Durant quelques jours, Madeleine vécut des instants d’un calme qu’elle n’avait jamais connus auparavant. Cela annonçait-il le début d’une nouvelle vie? Devait-elle s’enquérir des heures en mer que son mari avait connues? Continuellement sur le qui-vive, évitant tout sujet ou toute conversation pouvant bien malgré elle provoquer l’ire de son homme, elle résolut de se terrer dans un mutisme prudent. Il le lui reprocha. Mille et une questions tournant toujours autour du même sujet, avait-elle eu de la visite? ses parents étaient-ils venus? connaissait-on son état dans le village? avait-elle fait des changements dans sa maison?, pour toutes ses interrogations il ne voulait pas de réponses, l’attitude de sa femme lui suffisait.
L’épouse de plus en plus soumise et domptée n’espérait qu’une chose, ne rien dire, ne rien faire pouvant allumer la rage et la furie de cet homme renfrogné passant ses journées dans le bois ou alentour de la maison à repeindre son bateau sans nom. Une ambiance de méfiance succédait à de très longues périodes au cours desquelles ni l’une ni l’autre ne s’adressaient la parole. Le bruit des vagues, les mugissements du vent et les hurlements des coyotes rappelaient amèrement que leur solitude devenue de l’isolement allait durer jusqu’à la prochaine saison de pêche.
Juillet ne changea rien à la situation.
Aux aoûtements, les contractions annoncèrent la venue de l’enfant. Madeleine savait qu’elle aurait à accoucher seule. Cela ne la préoccupait pas outre mesure, mais allait-elle pouvoir faire baptiser celui ou celle qui bientôt lui permettrait de penser à autre chose que sa misère et l’obligerait à s’armer de défenses afin de lui éviter les affres d’un père colérique et violent?
Marcel naquit de nuit. Elle souffrit dans le plus complet et le plus entier secret. Au matin, à la fenêtre de la cuisine, fatiguée, épuisée, elle allaitait ce garçon dont elle ne savait pas si elle devait l’appeler mon fils… son fils… ou notre fils, mais par l’énergie féroce que cette présence lui donnait, dans toute la subtilité de la communication d’une mère à son enfant, elle l’avait invité à ne pas pleurer, ne pas manifester quoi que ce soit qui puisse faire rugir l’impétueuse bête humaine fragilement déchaînable qu’était son géniteur.
- C’est quoi? demanda Marcelin, les deux mains dans les poches et déjà près à quitter la maison.
- Un garçon.
- Tu vas l’appeler Marcel.
À deux pas de la porte, la question timide de son épouse le fit s’arrêter et répondre avec une telle fureur dans la voix que Madeleine, dans un réflexe protecteur, plaqua son fils contre elle.
- Pas question de baptême. Assez clair?
- Je te prépare à déjeuner.
Il ne prit pas le temps de répondre et, claquant la porte, sortit de la maison dans une rage qui, pour une rare fois, ne fut pas dirigée contre elle mais plutôt sur le chien qui se retrouva au bas des marches, piteux.
Madeleine savait que si elle tentait par quelque moyen que ce soit d’aviser ses parents de la naissance de l’enfant, elle aurait à en subir les contrecoups. Combien de temps allait-il se passer avant qu’à son tour il soit frappé? Que serait leur vie maintenant? Que pouvait-elle encore oser espérer? Réussirait-elle à faire survivre un enfant dans ce climat malsain?
- Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, je te baptise. Tu porteras le nom de Marcel, comme ton père le veut. Je te souhaite longue vie.
Elle le prit dans ses bras. Le mena à la fenêtre pour lui présenter la mer. Et dans le plus vaste dénuement, Madeleine lui noua un drapeau blanc autour du corps.
- Tu es et tu seras mon éternel appel à l’aide.
Marcel s’endormit.
- Comme j’aimerais que Clémence soit encore dans les parages, se disait Madeleine assise sur une petite chaise, scrutant dans les eaux de la mer qui bougeaient langoureusement devant elle, se demandant anxieusement si les heures qu’elle passait seule dans la maison de son mari avaient encore de l’avenir.
Elle voulait accrocher le temps sur une ligne interminable, consciente qu’au retour de Marcelin sa vie allait redevenir un tissu ininterrompu d’horreurs et de souffrances. Son ventre enflait tout comme sa peur. Comment allait-elle pouvoir supporter les coups devenus de plus en plus fréquents au moment de son départ et qui, désormais, en frapperaient deux : la femme et l’enfant qu’elle portait?
Le matin de l’arrivée des marins, en cette fin de juin torride, fut marqué comme la tradition le voulait par une envolée de cloches à l’église. Pour certains, cet heureux événement ouvrait la porte à des retrouvailles émouvantes, des histoires de pêche et pour une autre, représentait le tocsin.
Marcelin entra et remarqua immédiatement la situation nouvelle dans laquelle se retrouvait son épouse. Il allait être père. Durant quelques jours, Madeleine vécut des instants d’un calme qu’elle n’avait jamais connus auparavant. Cela annonçait-il le début d’une nouvelle vie? Devait-elle s’enquérir des heures en mer que son mari avait connues? Continuellement sur le qui-vive, évitant tout sujet ou toute conversation pouvant bien malgré elle provoquer l’ire de son homme, elle résolut de se terrer dans un mutisme prudent. Il le lui reprocha. Mille et une questions tournant toujours autour du même sujet, avait-elle eu de la visite? ses parents étaient-ils venus? connaissait-on son état dans le village? avait-elle fait des changements dans sa maison?, pour toutes ses interrogations il ne voulait pas de réponses, l’attitude de sa femme lui suffisait.
L’épouse de plus en plus soumise et domptée n’espérait qu’une chose, ne rien dire, ne rien faire pouvant allumer la rage et la furie de cet homme renfrogné passant ses journées dans le bois ou alentour de la maison à repeindre son bateau sans nom. Une ambiance de méfiance succédait à de très longues périodes au cours desquelles ni l’une ni l’autre ne s’adressaient la parole. Le bruit des vagues, les mugissements du vent et les hurlements des coyotes rappelaient amèrement que leur solitude devenue de l’isolement allait durer jusqu’à la prochaine saison de pêche.
Juillet ne changea rien à la situation.
Aux aoûtements, les contractions annoncèrent la venue de l’enfant. Madeleine savait qu’elle aurait à accoucher seule. Cela ne la préoccupait pas outre mesure, mais allait-elle pouvoir faire baptiser celui ou celle qui bientôt lui permettrait de penser à autre chose que sa misère et l’obligerait à s’armer de défenses afin de lui éviter les affres d’un père colérique et violent?
Marcel naquit de nuit. Elle souffrit dans le plus complet et le plus entier secret. Au matin, à la fenêtre de la cuisine, fatiguée, épuisée, elle allaitait ce garçon dont elle ne savait pas si elle devait l’appeler mon fils… son fils… ou notre fils, mais par l’énergie féroce que cette présence lui donnait, dans toute la subtilité de la communication d’une mère à son enfant, elle l’avait invité à ne pas pleurer, ne pas manifester quoi que ce soit qui puisse faire rugir l’impétueuse bête humaine fragilement déchaînable qu’était son géniteur.
- C’est quoi? demanda Marcelin, les deux mains dans les poches et déjà près à quitter la maison.
- Un garçon.
- Tu vas l’appeler Marcel.
À deux pas de la porte, la question timide de son épouse le fit s’arrêter et répondre avec une telle fureur dans la voix que Madeleine, dans un réflexe protecteur, plaqua son fils contre elle.
- Pas question de baptême. Assez clair?
- Je te prépare à déjeuner.
Il ne prit pas le temps de répondre et, claquant la porte, sortit de la maison dans une rage qui, pour une rare fois, ne fut pas dirigée contre elle mais plutôt sur le chien qui se retrouva au bas des marches, piteux.
Madeleine savait que si elle tentait par quelque moyen que ce soit d’aviser ses parents de la naissance de l’enfant, elle aurait à en subir les contrecoups. Combien de temps allait-il se passer avant qu’à son tour il soit frappé? Que serait leur vie maintenant? Que pouvait-elle encore oser espérer? Réussirait-elle à faire survivre un enfant dans ce climat malsain?
- Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, je te baptise. Tu porteras le nom de Marcel, comme ton père le veut. Je te souhaite longue vie.
Elle le prit dans ses bras. Le mena à la fenêtre pour lui présenter la mer. Et dans le plus vaste dénuement, Madeleine lui noua un drapeau blanc autour du corps.
- Tu es et tu seras mon éternel appel à l’aide.
Marcel s’endormit.
...à suivre...