mercredi 30 décembre 2009

Le trois cent vingt-troisième saut / Le trois-cent-vingt-troisième saut


Odile, Éthan et Catherine
Comment mettre un terme à cette année, la deux-mille-neuvième (en orthographe nouvelle)? Les bilans, le crapaud s’y lance seulement lorsque le nombre de sauts franchit la centaine… et encore, il faudrait vérifier si au moins une occasion n’aurait pas été ratée… et de toute manière les bilans ça ne fait rien avancer, ça «banalise» parfois les évènements ou encore c’est si intime que cela ne signifie rien pour les autres.

Ça vous donnerait quoi exactement de savoir où en est mon tendon d’Achille et ses multiples complications? Un petit effort d’empathie et ensuite on tourne la page.

Ça changerait quoi dans votre vie et le roulement irréversible de l’univers connu d’apprendre que mon côlon se porte mieux? Un léger bravo échappé du bout des cils.

Ça voudrait dire quoi de précis dans votre capacité intrinsèque d’auto-analyse si je vous disais que l’année 2009 fut celle qui suivait une 2008 plutôt difficile au niveau des émotions et celle d’Éthan qui devrait, au moment où ses lignes seront publiées, faire ses premiers pas? À peine un «j’espère-que-ça-ira-mieux-et-que-la-grâce-ne-te-laisse-pas-d’une-semelle».

En fait, utiliser le «je» est toujours complexe. Je (vous voyez, il revient toujours au moment où on s’y attend le moins) disais à un bon ami que je le trouvais particulièrement patient d’écouter mes histoires de santé, d’examens à l’hôpital, de chirurgie… Ce à quoi il répondait qu’au moins ça évoluait. Évoluer c’est vieillir. Inévitablement.

J’ai fait la douce découverte (d’abord je tiens à mettre sur la table un élément important : je lis actuellement L’ART D’ÊTRE GRAND-PÈRE de Victor Hugo) alors que j’étais chez ma fille Odile (la mère d’Éthan), la douce découverte du vieillissement à partir de la présence d’un enfant de onze mois. Je m’explique.

Les enfants, lorsqu’ils ont maitrisé l’art du sommeil, c’est-à-dire franchir la nuit sans se réveiller, se rendent habituellement jusque vers six ou sept heures le matin (sept heures pouvant être considéré, pour les parents du moins, comme de la grasse matinée). Au réveil, le gazouillis qu’ils émettent et que j’ai entendu de la voix d’Éthan puis retrouvé dans mes souvenirs de père, ce gazouillis est d’une si merveilleuse pureté que cela ressemble presque à une prière. Ce gazouillis m’amène à la douce découverte.

Un gazouillis matinal de l’enfant s’avère un signal, celui de se retrouver; plus encore, celui de la certitude que nous sommes encore là. Là, dans une présence entière, complète, de celle qui se trouve directement au coeur de la sécurité. Un enfant en sécurité émet des sons qui chatouillent l’âme, des musiques intimes… ces sons deviennent des marques personnelles, des empreintes indélébiles.

Entendre gazouiller un enfant, le matin, alors que tout recommence, que tout pourrait être à la fois différent et identique, c’est se rendre compte que l’on vieillit. Au réveil, l’adulte tousse d’une voix rauque, âpre comme s’il tentait de chasser on ne sait trop quoi de coller en lui-même. Le début de sa vieillesse, peut-être. Ou, comme l’écrit le Dr Olivenstein, «la naissance de la vieillesse».

Éthan gazouillait et m’a fait prendre conscience de cette vieillesse qui est avec moi maintenant. D’ailleurs, et je ne veux surtout pas revenir là-dessus trop longtemps, mes dernières histoires de santé en sont de vibrants témoignages. Presque une année complète à faire vérifier ceci ou cela, chirurgie puis vivre avec ses collatéraux alors qu’il y a encore moins de dix ans, le tout aurait été classé parmi les banalités de la vie.

J’accepte de me dire vieux. J’accepte d’être ce que je suis en train de devenir. Un peu comme un enfant qui ne voyait presque pas il y a quelques mois à peine et à qui maintenant on ne peut rien cacher. Comme un enfant qui émet des sons puis des onomatopées et enfin des mots qui prennent du sens. Ensuite, il gazouille le matin. Se traine, se lève et se dirige vers les mains tendues, ces mains qui symbolisent la sécurité et l’encouragement à se déplacer de trois pas vers maman, trois pas vers papa. Après, il courra.

Comme la vie est bien faite, opiniâtre (c’est ma chère belle-sœur Claire qui me le répète souvent), résistante et parlante. Toute en messages, en signes que l’on décode… par après.


Comment mettre fin à l’année deux-mille-neuve? En ouvrant les bras pour la laisser partir et se tourner vers deux-mille-dix, celle qui sera là dans quelques poussières de neige.

Fred Pellerin met cet aphorisme dans la bouche d’un de ses personnages : «J’ai beaucoup de respect pour le passé parce qu’un jour il fut l’avenir.» Quelle belle façon de marquer le temps! De le situer entre enfant et vieillard, entre gazouillis du matin et toux rauque. Une prise de conscience, aussi : pour parler du passé il faut être conscient d’en avoir un. Avoir un passé c’est accepter que l’avenir aura été la somme des présents. Ce que chacun fit de ses présents est une autre question, mais chose certaine, évidente, les présents se sont déroulé en jours et en années qui se chargèrent de les remplir. Maintenant, un enfant reçoit avec la même charge, l’occasion de construire son passé avec les bouts de présent qui marchent vers l’avenir.

Le Dr Olivenstein écrit : «La naissance de la vieillesse, c’est l’entrée dans l’âge où la transmission peut s’accomplir.» Je crois qu’il a raison. Transmettre c’est avant tout reconnaitre ce que nous possédons, juger de sa pertinence et l’installer dans une certaine durabilité, une certaine permanence. On ne peut tout transmettre, que des atomes, des potentialités à charrier vers d’autres sphères qui se transformeront selon et au gré de l’intelligence de chacun en une vie personnelle. «… la vie est une succession d’équilibres instables.» comme le dit si bien Olivenstein.

À l’aube de 2010, à quelques heures de l’entrée dans la première année de la deuxième décennie de ce siècle, j’avoue que le gazouillis d’Éthan, en un merveilleux matin de Noël 2009, m’aura permis cette si douce découverte.


Je ne peux pas le promettre à cent pour cent, mais le crapaud aura peut-être terminé un conte pour le début de l’année et vous l’offrira aux premiers jours de l’année neuve.

Au prochain saut

- Ce saut est écrit en nouvelle orthographe. -

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