jeudi 3 mai 2007

Le cent soixante-quatrième saut de crapaud (2)



Robert «Bob» Poulin


Chapitre 4




Après s'être raconté leur journée, Bob, solennel, prit la parole:
- Qu'est-ce que le monde penserait d'organiser une grosse activité pour fêter le début des vacances?
- J'espère que mes parents n'ont pas prévu quelque chose, dit Rock, l'air inquiet.
- Cé toujours comme ça avec le petit Rock à mouman, reprit Joe, le sourire fendu jusqu'aux oreilles.
Annie se tord. Une seule parole de Joe, un seul de ses sourires l'excitent. Bob la regarde avec un air de dire qu'elle ferait mieux de se calmer.


- Quand je parle d'une grosse activité, je parle de quelque chose d'important. Je pense que notre fonds de gang pourrait nous amener asez loin.
- Saint-Citron, dit Mario.
- Depuis le début de l'année on a fait pas mal de choses ensemble mais à chaque fois c'était des affaires ordinaires. Avec l'été, puis la fin de l'école, on devrait donner la claque.


Quand Bob parle, on sent réagir Joe par en-dedans:
- Pas une affaire de scout, j'espère. J'ai pas le goût de courailler des guernouilles, moé.
Annie se meurt. Caro la dévisage. À chaque fois que cela arrive, Annie prend son air bête puis allume une cigarette.


- Pourquoi ne pas aller à la pêche aux écluses? propose Mario.
- Ça fait longtemps qu'on parle d'aller sur l'île, on pourrait peut-être s'y rendre maintenant qu'on a le temps, continua Caro.
- Moé, j'aimera qu'on aille flâner dans Montréal, coucher sué bancs de parc pis rire un peu du monde, dit Joe avec l'air le plus sérieux du monde.
- Tu pourrais peut-être essayer du nouveau stock, lança Mario.
- O.K. les gars, soyons un peu sérieux, reprit Bob qui se promenait devant les balançoires.


À le voir aller et venir comme cela, chacun se doutait qu'il avait déjà une idée toute faite et se demandait comment la faire adopter par les autres. Ceux-là mêmes qui n'en reviennent pas à chaque fois de voir un gars de 13 ans, capable de mener la gang sans trop se faire haïr, à part de Joe, mais lui il chiale tout le temps et souvent c'est juste des farces.

- Je vous propose un camp sauvage. On pourrait partir tout de suite cette semaine. Il s'agirait d'avoir la permission des parents, de régler quelques petits problèmes d'organisation et hop!, on part.
- Et où monsieur Bob pense nous amener gentiment par la main? demande Joe, allumant sa cigarette à celle d'Annie.
- J'ai lu dans un livre scout... o.k. vous pouvez bien rire de mes affaires scoutes, mais c'est quand même que j'ai lu ça, qu'au nord de Montréal dans le parc national sur la route de Mont-Laurier, il est encore possible d'y faire du camping sauvage. Pas besoin de faire mille kilomètres pour se perdre en forêt.
- Faudra pas que j'oublie ma pompe...
- Ben non, sinon tu vas mourir, Rock, se moqua Joe.
- J'espère qu'il ne faudra pas trop marcher dans l'eau, grimper et toutes sortes d'affaires comme ça, pensa Caro qui n'est pas super sportive mais aime bien être avec la gang.
- Première chose, reprit Bob, sommes-nous tous d'accord avec l'idée?


On entendit un murmure parmi les autres. L'enthousiasme ne brisait pas des records mais, partir ensemble, camper loin dans le bois, se reposer en ce début de vacances, tout cela les poussait à être en faveur du projet. Annie semblait toute heureuse de se voir loin de la maison et proche de Joe.


Mario fit savoir que tous devront obtenir la permission de leurs parents. Joe riait dans sa barbe.
- On se donne rendez-vous ici, après souper. Il faut que chacun sache s'il vient ou pas, continua-t-il, proposant aux filles de les reconduire.




Chapitre 5




Dans la gang, tout le monde aime bien Mario. Sûrement parce qu'il blague tout le temps au point que parfois on ne sait plus trop s'il s'agit de farces ou du sérieux. Pour sa part, Mario s'entend à merveille avec les soeurs de Bob et cela depuis ce soir de septembre où ils se sont rencontrés. Parfois, il est mal pris entre ses goûts: il adore s'amuser avec des affaires de jeune et aussi avec des affaires de vieux, comme sa collection de vieil argent qui lui prend beaucoup de temps. On dirait, lorsqu'il en parle, que les autres soupirent car cela ne les intéresse pas vraiment. Il ne se prive toutefois pas de leur montrer une vieille pièce du temps dont on ne sait trop quel roi des vieux pays et cela lui fait plaisir...


En quittant le parc pour reconduire les filles, Mario, rarement nerveux, leur avoua:
- Je sais que Rock aura de la misère à voir sa permission.
- Pourquoi, demanda Annie en écrasant sa cigarette par terre.
- Tu fumes trop, dit Caro. Tu sais que papa n'aime pas cela.
- C'est sûr, il aime juste tes affaires. Moi, tout lui passe par-dessus la tête.
- C'est ce que tu crois.
- De quoi vous parlez, les filles, dit Mario comme pour rappeler sa présence.
- Des maudites affaires de famille, reprit Annie qui se rallumait une autre cigarette.
- Pour revenir à Rock, vous ne pouvez pas imaginer comment sa mère le couve. C'est incroyable! Il ne peut rien faire sans qu'elle craigne qu'il ne se fasse mal ou se salisse. On dirait qu'elle le traite comme un petit garçon de 5 ans. Toutes les enquêtes qu'elle a faites avant de lui permettre de passer les journaux avec moi, c'est incroyable! Pire, la première fois elle les a passés avec nous.
- Pas possible!, s'étonna Caro.
- Ça ne ressemble pas à Joe, lança Annie entre deux bouffées. Lui, il est libre; il fait tout ce qu'il veut, quand il veut, à l'heure qu'il veut. On croirait qu'il est ses propres parents.
- Peut-être, renchérit Mario, mais je ne sais pas s'il aime ça.
- Qui n'aimerait pas ça d'avoir des parents qui ne surveillent jamais? osa Annie.
- C'est peut-être pas juste ça le rôle des parents ou... ça devrait être juste cela, acheva Caro, les yeux baissés vers le trottoir.
- Toi, Caro, tu parles toujours bizarre, ajouta Mario, comme une autruche qui vient de se sortir la tête du sable.

Pendant que les trois se dirigeaient vers la maison des Poulin, que Joe perd son temps avant le souper qu'il prendra on ne sait pas où, Rock, la tête penchée, l'air essoufflé, entrait chez lui. Mario dit souvent de son meilleur ami qu'il est si petit qu'il pourrait passer n'importe où sans se faire voir. Des fois, Rock aurait le goût qu'on ne le voit pas, qu'on ne l'entende pas, qu'on ne le sente pas, qu'on ne lui parle pas... comme s'il souhaitait devenir une ombre, un être invisible.

- Salut mon tout-petit.
- Je ne suis pas tout-petit, maman, je suis simplement trop petit.
- Voyons ma puce, quand ses parents sont petits il ne faut pas s'attendre à être un géant.
- J'ai quelque chose d'important à te demander.
- Tu n'as pas fait de crise d'asthme à l'école, j'espère? Tes examens se sont bien pasés? Tu as bien dîné?
- Maman, s'il te plaît, j'ai quelque chose à te demander.
- Tu sais que tu peux tout me dire, mon chaton.
- La gang organise un camp et j'aimerais y aller.
- Mais tu n'y penses pas, mon tout-petit. L'asthme te fera mourir si je n'interviens pas rapidement. Y as-tu songé une seconde?
- J'apporterai ma pompe, mes médicaments et tout ce qu'il faut.
- Mon petit Rock d'amour, loin de la maison... et ton pipi au lit? C'est à quel endroit? Combien de temps?
- On ne sait pas exactement.
- Tu ne sais pas, c'est bizarre...
- Bob a dit que c'est dans un parc national au nord de Montréal.
- Comment allez-vous vous y rendre?
- Peut-être les parents Poulin.
- Il me semble que ce n'est pas tellement organisé, mon tout-petit. Qui ira avec vous? Pas ce Joe Belleau, j'espère!
- Il est correct.
- Tu trouves ça correct, la drogue, mon minou?
- Maman, Joe ne prend plus de drogue. Avant peut-être, mais depuis qu'il est dans la gang, c'est fini.
- Ça vous coûtera combien cette histoire?
- Avec le fonds de la gang, on a moins à payer.

Alors que le fils et la mère jasaient, monsieur Béliveau arriva. Il a toujours pensé, sans pouvoir le dire, que sa femme couvait trop son fils et n'aimait pas voir son garçon se promener avec des bijoux et sentir qu'à l'occasion, il se parfumait. Combien de fois en avait-il voulu en discuter avec sa femme mais elle défendait Rock, et le père au lieu de lancer une interminable discussion,capitulait. Cette fois-ci, il prit la parole.


On sentait dans sa voix qu'aucun commentaire ne serait toléré:
- J'ai entendu votre conversation. Moi, je te donne la permission, Rock. Je ne pourrai pas aller vous reconduire ou vous chercher, mais la chose que je souhaite, c'est que tu en profites et que tu viennes quand même avec vous en vacances, le mois prochain.
- Oui papa, merci.


Rock sortit de la cuisine et se retournant vers sa mère, vit qu'elle reniflait tout en séchant une larme dans le coin de l'oeil.
- Tout va bien se passer, lança-t-il vers sa mère.


Elle ne dit rien mais ça se sentait que le mari venait de lui imposer une cruelle défaite et cela devant son fils. Dans la famille Béliveau, un camp sauvage venait de troubler la quiétude habituelle...



Chapitre 6




Joe tournait en rond autour du parc. Il ne voulait pas être ni le premier ni le dernier à y revenir, mais il n'avait pas le goût de rentrer chez lui. D'ailleurs, chez lui, sans doute n'y avait-il personne, comme d'habitude! Son père part toute la semaine et ne devait pas revenir aujourd'hui alors que sa mère, ni Joe ni personne ne la connaît vraiment. Il faut dire que ce n'est pas toujours la même mère qui vit avec son père et Joe ne s'entend pas très bien avec les amies du paternel.

Joe venait de décider qu'il se donnait la permission de partir avec la gang et cherchait les mots pour le dire sans éveiller quelque soupçon que ce soit auprès des autres. Il n'aime pas qu'on en sache trop sur ses affaires de famille préférant laisser croire qu'aucun problème n'existe.

Alors que Joe allait et venait, Mario quitta les filles. Bob était arrivé depuis longtemps, avait jasé du projet à sa mère qui accepta immédiatement mais avoua hésiter pour Caro et Annie. Dans le fond d'elle-même, c'est surtout la présence de Joe qui l'inquiétait. Caro, ça pouvait aller mais elle trouve Annie tellement étourdie... Elle avait beau se dire que Bob veillerait sur elles, le grand Joe qui venait régulièrement faire ses devoirs à la maison ne quittait pas ses pensées et ses préoccupations. Monsieur et madame Poulin appréciaient Mario et Rock sans doute à cause qu'ils allaient à la même école que Bob et que celui-ci, en bon scout, celui qui dirigeait la gang avec un sens des responsabilités que les adultes reconnaissaient.

Au moment où ils filles entrèrent dans la maison, monsieur Poulin s'assoyait au salon. Bob partit vers sa chambre, sans doute pour regarder ses cartes et tracer quelques plans en prévision du camp.

Madame Poulin, une fois les filles dans la cuisine, dit:
- Robert m'a parlé du projet et je lui ai tout de suite accordé ma permission. Vous connaissez votre frère; votre père et moi aussi, de sorte que cela ne nous cause aucun problème. Je lui ai même dit que j'étais disponible pour aller le reconduire avec la camionnette.
- Comment, le reconduire? dit Annie réalisant ce que sa mère venait de dire.
- Je ne crois pas, et là-dessus je n'en ai pas encore discuté avec votre père, qu'il soit acceptable que vous soyez du camp. Nous pourrons examiner un endroit plus approprié pour vous. Vous n'y avez pas pensé tout de même: dans la forêt avec trois garçons dont on ne peut garantir l'honnêteté, du moins pas chez tous.
- Tu veux certainement parler de Joe, rétorqua Annie montée sur ses grands chevaux.
- Je parle de ce qui est bon pour mes enfants.

Le père froissait son journal, l'oreille attentive.
- Bob a la permission, lui? cria Annie.
- Ton frère Robert a la permission d'aller camper avec ses mais, en effet.
- C'est pas juste, hurla Annie. On est ensemble depuis le début de l'année, on fait les mêmes activités, on va aux mêmes endroits, on court ensemble tous les matins, on prend le même autobus et maintenant qu'on veut partir camper, c'est plus pareil!
- Rien n'empêche de vous inscrire au camp organisé par le Collège. Vous y retrouveriez des amies et tout serait en fonction des jeunes filles. Le camp de Robert, c'est un peu comme un camp scout.
- Ce n'est pas un camp scout, coupa Annie, c'est une activité de gang.

Pendant qu'Annie vociférait, le père sortit du salon, plia son journal puis se plaça entre sa fille rouge de colère et madame Poulin. Caro le regarda une seconde avant de baisser les yeux.

- Je crois que votre mère a raison. Pourquoi ne pas vous inscrire au camp du Collège?
Dans la voix de leur père, on ne le sentait pas aussi catégorique que sa femme.

- L'école est finie et on n'a pas le goût de partir avec le même monde, reprit Annie que la présence de son père avait un peu calmée.
Le père aurait mieux aimé entendre Caro mais elle avait les yeux tournés vers la fenêtre donnant sur la cour arrière. Elle paraissait triste ou désarmée. À chaque fois que son père l'approchait, elle frissonnait, ses mains devenaient froides et son coeur battait la chamade. Elle prit tout son courage pour parler:
- Je crois que maintenant les vacances arrivées, on pourrait bien oublier l'école. D'ailleurs les inscriptions pour le camp sont terminées depuis un bon moment. N'oubliez pas que Bob...
- ... Robert, coupa sa mère.
- ... sera avec nous, que vous connaissez les autres et qu'à notre âge, si vous n'avez pas confiance, eh! bien vous ne l'aurez jamais. Pensez-vous que c'est juste d'avoir une manière de décider pour les garçons et une autre pour les filles?
- Tu sais, Caro, la confiance c'est autre chose que de donner une permission ou pas, plaça monsieur Poulin tout en regardant sa fille aînée directement dans les yeux.
On sentait chez lui qu'il cherchait un moyen de sortir de l'impasse au moment où Bob se pointa dans la cuisine avec son air de chef en mal de donner des ordres.

- Les filles ont raison, maman. Bob savait toujours à qui s'adresser. Je te jure que si elles viennent, je m'engage à assurer la surveillance adéquate.
- Je n'ai pas besoin d'être surveillée, dit Caro.
- Moi non plus, reprit Annie.

Les parents Poulin semblaient pris dans un dilemne. Madame Poulin, à bout d'arguments, aurait souhaité que son mari fasse un peu plus autoritaire. Bob venait de clouer le cercueil. Pour sortir sans trop de déshonneur, elle ajouta:
- Votre père et moi seront d'accord à la condition que votre camping se déroule dans un endroit bien organisé avec tous les services et surtout de la surveillance, n'est-ce pas Rodolphe?

Le père regarda autour de lui, s'arrêtant sur chacun de ses enfants mais il fixait Caro:
- Une semaine... acheva-t-il.


C'est dans la chambre d'Annie que Bob et Caro se retrouvèrent après cette discussion plutôt enflammée. Sur les murs de la chambre, des posters de James Dean et des comédiens de Lance et Compte placardés sans trop d'ordre.

- Comment fais-tu pour aimer un comédien mort depuis plus de 30 ans?
- Tu sais Bob, James Dean est le symbole de la jeunesse du XXième siècle. Il a vécu à toute vitesse et mort de la même manière. Regarde-le et tu verras qu'il ressemble bien plus à un adolescent d'aujourd'hui qu'à un acteur de 1950. Annie venait de dire ces mots avec engouement.
- Sans doute que Joe lui ressemble, ajouta Bob.
- Je n'y avais pas pensé mais puisque tu le dis, reprit Annie écrasée sur son lit, les yeux perdus dans ses rêves de jeune fille.

Caro regardait par la fenêtre de la chambre, les lèvres tremblantes. Elle venait de parler comme rarement elle le faisait dans cette famille devenue la sienne alors qu'elle avait 3 ans. Les parents Poulin l'avaient adoptée, croyant que jamais ils n'auraient d'enfants. Mais quelques semaines plus tard, madame Poulin tombait enceinte d'Annie. Plus les années passaient, moins les gens s'apercevaient de la différence entre Caro et ses deux frère et soeur. Sauf Caro, qui elle la voyait la différence, cette différence dont personne sauf Pamy ne savait ce qu'elle contenait.

- On se retrouve avec un beau problème, chef, dit Caro.
- Lequel, répondit Bob qui nettoyait ses lunettes avec un petit air vainqueur.
- Annie et moi sommes du voyage mais ton idée de camp sauvage vient de prendre une débarque en maudite vie.
- Comment ça?
- Maman est d'accord pour le camping mais sur un beau terrain organisé avec de la surveillance en plus, pas tes histoires perdues dans le fond des bois.
- Tu as bien raison, s'inquiétait Bob. Comment annoncer cela à la gang?
- Notre grand chef devra être convaincant pour que les autres acceptent de camper à côté des grosses roulottes de famille pis de toutes ces activités super organisées d'un beau terrain de camping, ajouta Annie qui se rappelait qu'elle ne pouvait pas fumer dans sa chambre mais qui sentait le goût devenir de plus en plus impérieux.
- Nous en parlerons aux autres, dit Bob pour qui le beau projet de camp sauvage prenait tout d'un coup une allure imprévue.
- Il me semble voir Joe dans un camping comme ça, dit Caro en pouffant de rire.
- Qu'est-ce qu'il a Joe? demanda une Annie au bord de l'insulte.
- Rien, mais c'est pas tellement son style il me semble, finit Caro en riant.

On entendit madame Poulin appeler tout le monde pour le souper.

- On en parlera à la gang puis on décidera ce qu'il faut faire, termina un Bob légèrement soucieux.

Un peu de politique à saveur batracienne... (19)

  Trudeau et Freeland Le CRAPAUD ne pouvait absolument pas laisser passer une telle occasion de crapahuter en pleine politique fédérale cana...