Jeune encore, et surtout avec mon frère Pierre, principalement
les samedis et dimanches de pluie, tous les deux nous échangions le dernier Bob
Morane qu’avidement on achevait de lire. Ces romans d’aventures de Henri Vernes
nous captivaient, surtout en raison des personnages principaux devenus pour
nous deux, des héros.
Lorsque parurent les titres mettant en conflit permanent Bob
Morane et l’Ombre jaune – il y eut, publiés chez Marabout Junior, je ne sais
trop combien d’épisodes – nous avions déjà croisé ce personnage énigmatique,
intriguant, despote et fort intelligent, dans LA COURONNE DE GOLCONDE. La
suite, je devrais plutôt dire les multiples suites, mit en action ces
personnages complètement hallucinants, parfaitement calqués pour l’imaginaire des
adolescents que nous étions : Bob Morane et son colosse de compagnon
qu’était Bill Ballantine.
Me rappelle que l’on ne voulait absolument pas que le premier
lecteur d’un titre n’annonce quoi que ce soit des intrigues à l’autre qui souhaitait les découvrir par lui-même.
Ce fut une époque où tout semblait se passer à l’autre bout du
monde. Inatteignable parce que tellement lointain. Une ère de tremblements de
l’âme, je ne puis dire pour mon frère Pierre, mais pour moi oui. Voulais-je
plutôt être Bob ou Bill? Certainement pas Mr Ming, le véritable nom de l’Ombre
jaune.
Je suis certain que si nous les relisions maintenant nous y découvririons autre chose, mais à ce moment-là, une seule idée
nous préoccupait : Bob Morane s’avérerait-il gagnant?
Nous étions persuadés que Bob Morane existait en chair et en
os. Je me suis même mis à la recherche de son appartement parisien lors de mon
premier voyage en France; c’était à l’occasion d’un stage organisé par l’Office
franco-québécois pour la jeunesse réunissant treize (13) chefs scouts québécois, en 1972.
Un soir d’activités libres à Paris, je me suis rendu Quai
Voltaire dans le 7e arrondissement afin d’imaginer dans quel hôtel
particulier aurait pu se trouver l’appartement de Bob Morane. À ce moment, j’ai
vraiment réalisé que les personnages de romans (romans de toute sortes) n’existent
que dans l’imagination des auteurs qui les transposent dans les lieux réels.
Pourquoi parler de Bob Morane ?
J’aurais également pu citer Michel Strogoff, héros de Jules Verne (Verne sans «
s » toutefois)? Ou encore d’Augustin Meaulnes du roman de
d’Alain-Fournier?
La lecture nous fait; et cela dès le plus jeune âge. Qui ne s’est
pas endormi aux sons de la voix d’une grande personne lui racontant des
histoires qu’elle puisait dans un livre? Puis les premiers pas dans le monde
intriguant des mots qui s’habillent de sens, se connectent en eux, s’interpellent,
se mettent en grappe pour dégager… le fantastique du monde. Que ce monde soit
réel ou irréel, peu importe. Nos yeux deviennent d’infatigables explorateurs.
Toute cette magie gravite autour d’une langue. Celle que l’on
reçoit, celles que par la suite on s’approprie.
Puis on choisit ce que l’on aime, on évite ce qui nous ennuie.
Notre imagination se colore à partir d’univers variés, souvent hétéroclites
mais toujours chargés d’affectif.
J’ai toujours lu. Il y eut ce cycle scolaire qui m’amenait à
lire dans les bouquins des textes choisis afin d’illustrer un thème qu’il soit
grammatical ou un genre littéraire. Au secondaire, ce fut principalement la
poésie qui m’attirait. J’aimais pouvoir donner moi-même une signification aux
métaphores que les poètes utilisaient.
Quel fut le premier poème dont je me rappelle avoir lu? LE CAP
ÉTERNITÉ de Charles Gill. Ce livre devenu poussiéreux dans la bibliothèque paternelle
alimenta pendant de longs mois les courts poèmes que je rédigeais sans jamais
les présenter à personne d’autre que cette cousine éloignée (en fait elle était
la cousine-germaine de ma grand-mère Bergeron) qui les annotait, me suppliant
de ne jamais les détruire. Le mot « trace » prit alors une toute autre
signification. C’est elle qui m’offrit l’œuvre complète de Marie Noël à
laquelle je préférais Federico Garcia Lorca.
À l’Université de Sherbrooke, j’eus le privilège d’avoir comme
professeure de français, une enseignante belge. Personne, je crois, ne sut son
prénom, nous l’appelions madame Doutreloux. Elle se culpabilisait de ne pas
bien connaître les poètes québécois, celle qui me fit connaître Maurice Maeterlink,
Émile Verhaeren et, celui qui devint mon préféré, Max Elskamp.
Je vivais dans un tout petit appartement de la rue Montréal à
Sherbrooke, ennuyeux comme la pluie. C’est alors que je me suis mis à une sorte de
gymnastique : lire trois livres à la fois, trois livres différents l’un de
l’autre. Un roman, un recueil de poèmes et une lecture en lien avec la
pédagogie. Ciel! Que cela me plaisait.
Confrères et consoeurs, beaucoup plus sérieux que moi
dans le domaine des études, me reprochaient de perdre mon temps avec des poètes
et des romanciers. Les résultats scolaires devaient primer sur tout… Je ne les
ai jamais bien écoutés, et grand bien m’en fut!
Les oeuvres des poètes belges, d’abord, puis des Rimbaud,
Verlaine, Baudelaire, Mallarmé par la suite, confortablement déposées sur ma
table de chevet, combien de fois les préférant aux manuels scolaires, je alors connus
un sévère épisode d’insomnie. Ils furent ma meilleure et efficace médication. À
toute heure de la nuit, marchant de long en large dans cette minuscule chambre,
je récitais leurs poèmes.
Puis… Cette rencontre inoubliable avec Gaston Miron. C’était
en 1969. J’écrivais dans le journal maskoutain LE CLAIRON (le même journal où
Yves Michaud fut directeur et auquel René Lévesque participa) une chronique
littéraire. La première fut une critique du roman L’OISEAU BARIOLÉ de l’écrivain
polonais Jerzy Kosinsky. Publié en 1965, il fut réédité cette année-là.
Quelques semaines plus tard, je reçus de l’auteur une lettre magnifiquement
écrite en français, me remerciant des commentaires que j’avais eu l’amabilité
de publier.
Cette rencontre avec Miron se situe dans le cadre de cette
chronique littéraire. Ami personnel de mon paternel, celui-ci organisa un
souper au Club canadien sur la rue Sherbrooke à Montréal. Pour la première fois
de ma vie je me retrouvais face à un poète... vivant. Il n’avait pas encore «
rapaillé » ses textes pour en faire une édition. Il me donna un papier (terme
journalistique) fort pertinent et qui, à mon humble avis, fut un déclencheur
important dans le travail qui mit au monde L’HOMME RAPAILLÉ.
Nous nous sommes rencontrés à plusieurs reprises. Musique à
bouche dans la poche de son vieux complet délavé, hurlant sur la rue, il me fit
découvrir Montréal. Ainsi que d’autres poètes qui publiaient à l’Hexagone.
Un poète pouvait donc être une personne comme les autres ? Non.
Absolument pas. Je pense ici à Gilbert Langevin, cette espèce de cadavre
ambulant qui me rappelait Antonin Artaud. Josée Yvon, vue une seule fois. Et
Roland Giguère, celui de L’ÂGE DE LA PAROLE, un livre culte selon moi.
Mes activités professionnelles m’éloignèrent de ce monde
fabuleux que j’aurais pu, je pense, fréquenter régulièrement et me nourrir de
chacun des mots qui sortaient de leur bouche.
Vint par la suite une quête, celle de Saint-Denys-Garneau.
Poète troublant s’il en fut un. On l’a malheureusement trop associé à un seul
poème du recueil qu’il publia et récupéra par la suite les copies
toujours en circulation. Je ne veux pas m’étendre sur la thématique spirituelle
dans laquelle on le drapa, à mon point de vue trop souvent, mais dire qu’à mon
humble avis il est le poète le plus marquant de sa génération, n’en déplaise à
Nelligan.
Bon voilà! Cette chronique vietnamienne, qui n’en aura
que le titre, ne devait pas aborder ce qu’elle prit comme tangente. Je
voulais parler de la mousson qui sévit crûment au Vietnam. Pluie, pluie et
pluie encore…
Je me suis donc souvenu des lectures lors des samedi et dimanche
de pluie.
On reparlera une autre fois de mousson.