vendredi 7 juillet 2017

CHRONIQUES VIETNAMIENNES



 Jeune encore, et surtout avec mon frère Pierre, principalement les samedis et dimanches de pluie, tous les deux nous échangions le dernier Bob Morane qu’avidement on achevait de lire. Ces romans d’aventures de Henri Vernes nous captivaient, surtout en raison des personnages principaux devenus pour nous deux, des héros.

Lorsque parurent les titres mettant en conflit permanent Bob Morane et l’Ombre jaune – il y eut, publiés chez Marabout Junior, je ne sais trop combien d’épisodes – nous avions déjà croisé ce personnage énigmatique, intriguant, despote et fort intelligent, dans LA COURONNE DE GOLCONDE. La suite, je devrais plutôt dire les multiples suites, mit en action ces personnages complètement hallucinants, parfaitement calqués pour l’imaginaire des adolescents que nous étions : Bob Morane et son colosse de compagnon qu’était Bill Ballantine.

Me rappelle que l’on ne voulait absolument pas que le premier lecteur d’un titre n’annonce quoi que ce soit des intrigues à l’autre qui souhaitait les découvrir par lui-même.

Ce fut une époque où tout semblait se passer à l’autre bout du monde. Inatteignable parce que tellement lointain. Une ère de tremblements de l’âme, je ne puis dire pour mon frère Pierre, mais pour moi oui. Voulais-je plutôt être Bob ou Bill? Certainement pas Mr Ming, le véritable nom de l’Ombre jaune.

Je suis certain que si nous les relisions maintenant nous y découvririons autre chose, mais à ce moment-là, une seule idée nous préoccupait : Bob Morane s’avérerait-il gagnant?

Nous étions persuadés que Bob Morane existait en chair et en os. Je me suis même mis à la recherche de son appartement parisien lors de mon premier voyage en France; c’était à l’occasion d’un stage organisé par l’Office franco-québécois pour la jeunesse réunissant treize (13) chefs scouts québécois, en 1972.

Un soir d’activités libres à Paris, je me suis rendu Quai Voltaire dans le 7e arrondissement afin d’imaginer dans quel hôtel particulier aurait pu se trouver l’appartement de Bob Morane. À ce moment, j’ai vraiment réalisé que les personnages de romans (romans de toute sortes) n’existent que dans l’imagination des auteurs qui les transposent dans les lieux réels.

Pourquoi parler de Bob Morane ? J’aurais également pu citer Michel Strogoff, héros de Jules Verne (Verne sans « s » toutefois)? Ou encore d’Augustin Meaulnes du roman de d’Alain-Fournier?

La lecture nous fait; et cela dès le plus jeune âge. Qui ne s’est pas endormi aux sons de la voix d’une grande personne lui racontant des histoires qu’elle puisait dans un livre? Puis les premiers pas dans le monde intriguant des mots qui s’habillent de sens, se connectent en eux, s’interpellent, se mettent en grappe pour dégager… le fantastique du monde. Que ce monde soit réel ou irréel, peu importe. Nos yeux deviennent d’infatigables explorateurs.

Toute cette magie gravite autour d’une langue. Celle que l’on reçoit, celles que par la suite on s’approprie.

Puis on choisit ce que l’on aime, on évite ce qui nous ennuie. Notre imagination se colore à partir d’univers variés, souvent hétéroclites mais toujours chargés d’affectif.

J’ai toujours lu. Il y eut ce cycle scolaire qui m’amenait à lire dans les bouquins des textes choisis afin d’illustrer un thème qu’il soit grammatical ou un genre littéraire. Au secondaire, ce fut principalement la poésie qui m’attirait. J’aimais pouvoir donner moi-même une signification aux métaphores que les poètes utilisaient.

Quel fut le premier poème dont je me rappelle avoir lu? LE CAP ÉTERNITÉ de Charles Gill. Ce livre devenu poussiéreux dans la bibliothèque paternelle alimenta pendant de longs mois les courts poèmes que je rédigeais sans jamais les présenter à personne d’autre que cette cousine éloignée (en fait elle était la cousine-germaine de ma grand-mère Bergeron) qui les annotait, me suppliant de ne jamais les détruire. Le mot « trace » prit alors une toute autre signification. C’est elle qui m’offrit l’œuvre complète de Marie Noël à laquelle je préférais Federico Garcia Lorca.

À l’Université de Sherbrooke, j’eus le privilège d’avoir comme professeure de français, une enseignante belge. Personne, je crois, ne sut son prénom, nous l’appelions madame Doutreloux. Elle se culpabilisait de ne pas bien connaître les poètes québécois, celle qui me fit connaître Maurice Maeterlink, Émile Verhaeren et, celui qui devint mon préféré, Max Elskamp.

Je vivais dans un tout petit appartement de la rue Montréal à Sherbrooke, ennuyeux comme la pluie. C’est alors que je me suis mis à une sorte de gymnastique : lire trois livres à la fois, trois livres différents l’un de l’autre. Un roman, un recueil de poèmes et une lecture en lien avec la pédagogie. Ciel! Que cela me plaisait.

Confrères et consoeurs, beaucoup plus sérieux que moi dans le domaine des études, me reprochaient de perdre mon temps avec des poètes et des romanciers. Les résultats scolaires devaient primer sur tout… Je ne les ai jamais bien écoutés, et grand bien m’en fut!

Les oeuvres des poètes belges, d’abord, puis des Rimbaud, Verlaine, Baudelaire, Mallarmé par la suite, confortablement déposées sur ma table de chevet, combien de fois les préférant aux manuels scolaires, je alors connus un sévère épisode d’insomnie. Ils furent ma meilleure et efficace médication. À toute heure de la nuit, marchant de long en large dans cette minuscule chambre, je récitais leurs poèmes.

Puis… Cette rencontre inoubliable avec Gaston Miron. C’était en 1969. J’écrivais dans le journal maskoutain LE CLAIRON (le même journal où Yves Michaud fut directeur et auquel René Lévesque participa) une chronique littéraire. La première fut une critique du roman L’OISEAU BARIOLÉ de l’écrivain polonais Jerzy Kosinsky. Publié en 1965, il fut réédité cette année-là. Quelques semaines plus tard, je reçus de l’auteur une lettre magnifiquement écrite en français, me remerciant des commentaires que j’avais eu l’amabilité de publier.

Cette rencontre avec Miron se situe dans le cadre de cette chronique littéraire. Ami personnel de mon paternel, celui-ci organisa un souper au Club canadien sur la rue Sherbrooke à Montréal. Pour la première fois de ma vie je me retrouvais face à un poète... vivant. Il n’avait pas encore « rapaillé » ses textes pour en faire une édition. Il me donna un papier (terme journalistique) fort pertinent et qui, à mon humble avis, fut un déclencheur important dans le travail qui mit au monde L’HOMME RAPAILLÉ.

Nous nous sommes rencontrés à plusieurs reprises. Musique à bouche dans la poche de son vieux complet délavé, hurlant sur la rue, il me fit découvrir Montréal. Ainsi que d’autres poètes qui publiaient à l’Hexagone.

Un poète pouvait donc être une personne comme les autres ? Non. Absolument pas. Je pense ici à Gilbert Langevin, cette espèce de cadavre ambulant qui me rappelait Antonin Artaud. Josée Yvon, vue une seule fois. Et Roland Giguère, celui de L’ÂGE DE LA PAROLE, un livre culte selon moi.

Mes activités professionnelles m’éloignèrent de ce monde fabuleux que j’aurais pu, je pense, fréquenter régulièrement et me nourrir de chacun des mots qui sortaient de leur bouche.

Vint par la suite une quête, celle de Saint-Denys-Garneau. Poète troublant s’il en fut un. On l’a malheureusement trop associé à un seul poème du recueil qu’il publia et récupéra par la suite les copies toujours en circulation. Je ne veux pas m’étendre sur la thématique spirituelle dans laquelle on le drapa, à mon point de vue trop souvent, mais dire qu’à mon humble avis il est le poète le plus marquant de sa génération, n’en déplaise à Nelligan.



Bon voilà! Cette chronique vietnamienne, qui n’en aura que le titre, ne devait pas aborder ce qu’elle prit comme tangente. Je voulais parler de la mousson qui sévit crûment au Vietnam. Pluie, pluie et pluie encore… 
Je me suis donc souvenu des lectures lors des samedi et dimanche de pluie.

On reparlera une autre fois de mousson.

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