mercredi 23 février 2011

Le trois cent quatre-vingt-dix-huitième saut / Le trois-cent-quatre-vingt-dix-huitième saut


Khadaf
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Comment illustrer ce qui arrive actuellement au Proche-Orient - je pense principalement à la Libye - sans risquer de frôler le cliché et le lieu commun? Je crois très honnêtement que cela ne s'explique pas; d'un côté ça se vit et ça se vit jusqu'à la mort, et de l'autre ça se voit jusqu'à l'épuisement. Nous assistons de façon passive, ce qui pourrait cacher une certaine crainte, au démembrement d'une forme oligarchique de régimes figés dans les bottes de dictateurs ou - je pense principalement à la Libye - d'êtres qui se sont confondus avec leur loi, leur vérité et leur pouvoir.

L'ONU condamne ce qui se déroule actuellement en Libye mais n'agit pas malgré les paroles menaçantes de monsieur Khadafi de procéder littéralement à un génocide. Cette organisation est formidable pour condamner mais tout à fait impuissante à prévenir encore moins intervenir. Entenderons-nous dans quelques mois - ça va si vite actuellement dans cette partie du monde, que l'on pourrait dire dans quelques jours - qu'il eut fallu empêcher de tels actes, protéger les gens contre un dictateur fou et halluciné par sa propre personnalité? Et l'on se demandera ce qu'il faudra faire pour éviter que ne se reproduisent de tels événements inhumains. On ressortira les discours écrits pour parler des massacres au Rwanda, et ailleurs.

Je me suis réfugié, ce matin, chez certains de mes penseurs favoris et voici l'enseignement que j'en retiens.

JEAN BÉDARD

Il y a ceux qui se révoltent contre le visible et se réfugient dans l'invisible, on les appelle croyants parce qu'ils croient à leurs visions. Il y a ceux qui se révoltent contre l'invisible et se réfugient dans le visible. On les appelle incroyants parce qu'ils croient à leur vue. Croyance et incroyance ne sont rien d'autre que des manières de lutter contre ces deux inacceptables que sont le visible et l'invisible. La politique consiste à tenter de tisser la paix en croisant l'un sur l'autre le croyant et l'incroyant, car, en fait, qui peut dire la différence entre la vision et la vue?

Si l'on n'arrive pas à croire assez au bien pour le faire, fait-il croire uniquement au mal qui gagne le terrain qu'on lui laisse!

... il y a dans chaque histoire un événement qui enveloppe tout et dont tout est le développement.

Qu'est-ce qu'une institution sourde à ses contradictions les plus sincères? C'est une masse qui s'appesantit chaque jour un peu plus jusqu'à ce qu'elle écrase tout ce qu'il y a de vivant chez les hommes, ne laissant plus circuler, tel un venin, que l'abstraction de ses normes.


FERNANDO SAVATER

Car la vérité, c'est toujours une vérité ici et maintenant, à propos de quelque chose: c'est une position et donc elle ne peut pas devenir un absolu sans se saborder elle-même.


Dr CLAUDE OLIVENSTEIN

La violence, chez le fou, se tourne d'abord contre lui-même et avec la plus extrême véhémence. Mais elle se dirige tout autant contre l'extérieur, elle fait partie intégrante de la relation qu'il entretient avec son environnement: c'est le rapport mère-fils du schizophrène, plus largement, celui qui lie le malade à tous ceux qui sont censés l'aider et l'aimer. Car le statut de ces derniers est fort ambigu: ils guettent et redoutent celui qu'ils entourent, ils souffrent de son malheur. Mais cette souffrance est aussi leur plaisir, ils jouissent d'être concernés par la maladie et la mort, ils jouissent d'avoir à «s'occuper de» et d'être motivés par cette occupation, car toute compassion est sous-tendue par une nostalgie de pouvoir. Ainsi entre le malade mental, le suicidant, le toxicomane d'une part, et son entourage de l'autre, s'établit, pourrait-on dire, une sorte de jeu pervers où les personnages se trouvent toujours en situation réciproque, n'était la réalité - intolérable, mais jouissive elle aussi - de l'angoisse.


JONATHAN LITTLE

C'est certainement l'immense avantage sur les faibles de ceux qu'on appelle les forts: les uns comme les autres sont minés par l'angoisse, la peur, le doute, mais ceux-là le savent et en pâtissent, tandis que ceux-ci ne le voient pas et, afin d'étayer encore le mur qui les protège de ce vide sans fond, se retournent contre les premiers, dont la fragilité trop visible menace leur fragile assurance. C'est ainsi que les faibles menacent les forts et invitent la violence et le meurtre qui les frappent sans pitié. Et ce n'est que lorsque la violence aveugle et irrésistible frappe à son tour les plus forts que le mur de leur certitude se lézarde: alors seulement ils aperçoivent ce qui les attend, et voient qu'ils sont finis.

YVON RIVARD

... l'impossible est ce qui ne peut pas être et qui pourtant est.


NIKOS KAZANTZAKI

Le vieux monde est palpable, solide, nous le vivons et luttons avec lui à chaque instant, il existe. Le monde de l'avenir n'est pas encore né, il est insaisissable, fluide, fait de la lumière dont sont tissés les rêves, c'est un nuage battu par des vents violents - l'amour, la haine, l'imagination, le hasard, Dieu... Le plus grand prophète ne peut donner aux hommes qu'un mot d'ordre et, plus ce mot d'ordre sera imprécis, plus ce prophète sera grand.


YASMINA KHADRA

L'existence m'a appris qu'on peut vivre d'amour et d'eau fraîche, de miettes et de promesses, mais qu'on ne survit jamais aux affronts.


MAXIME GORKI

C'est de la peur que nous crevons tous! Et ceux qui nous commandent profitent de cette peur et nous effrayent encore plus.


ATIQ RAHIMI

Cette voix qui émerge de ma gorge, c'est la voix enfouie depuis des milliers d'années.


BOHUMIL HRABAL

... ce n'est qu'une fois broyés que nous tirons le meilleur de nous-mêmes.


HERMANN HESSE

Tout ne convient pas à tous, c'est vrai, mais la vérité, elle, convient à tous.


MICHEL HOUELLEBECQ

L'avantage de tenir un discours moral, c'est que ce type de propos a été soumis à une censure si forte, et depuis tant d'années, qu'il provoque un effet d'incongruité et attire aussitôt l'attention de l'interlocuteur; l'inconvénient, c'est que celui-ci ne parvient jamais à vous prendre tout à fait au sérieux.



En terminant je me dis... et si j'étais, aujourd'hui même, en Libye... qu'est-ce que je ferais?



Au prochain saut

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