... la suite …
Madame Synnott prit place tout à côté d’Élisabeth. Dans ses yeux d’une si grande douceur, on aurait lu facilement que les paroles à venir, elle les connaissait déjà sans les avoir entendues. Les paroles de femmes vont directement au cœur des choses. Et les choses de femmes sont celles du cœur.
- Je suis heureuse, me semble-t-il, avança une Élisabeth qui se calmait au contact de la sage-femme.
Herménégilde ouvrit les yeux ayant entendu la voix de sa mère.
- Je suis heureuse et en même temps j’ai l’impression de ne pas l’être comme je le souhaiterais.
- Que veux-tu dire exactement ?
- Joseph est tellement secret, tellement distant.
Élisabeth but un peu de son thé, ce qui la remplit d’une rassurante chaleur. Elle sembla se calmer et cessa de pleurer.
- Les hommes n’ont pas l’habitude des femmes, dit madame Synnott qui venait de prendre la main d’Élisabeth, la caressant tout doucement.
- Il ne me parle jamais d’autres choses que des travaux de la ferme, de ce qu’il y a à faire et attend que je lui dise comment je veux que cela soit. Il est incapable de décider par lui-même.
- Tu sais, ils ne sont pas tous ainsi. Plusieurs et je suis conscient que les femmes qui viennent chez toi pour la couture ou autre chose t’en parlent différemment.
- Vous avez raison. Elles sont soumises. Quand ce n’est pas à leur mari ou leur famille, c’est aux affaires du curé.
Rapidement et cela depuis qu’Élisabeth avait quitté la maison paternelle pour s’installer chez son mari et monsieur Lacasse, elle recevait des femmes mariées, ou en voie de l’être, qui lui donnaient à confectionner des vêtements pour la saison ou pour des occasions spéciales, les écoutait et se sentait choyée de ne pas à subir l’autorité parfois intransigeante des hommes. Elle était une exception à la règle en vigueur et tout à la fois, cela la rendait particulière.
Ces femmes vivaient parfois l’enfer. Juste de pouvoir sortir de chez elles, de venir passer quelques minutes chez la couturière, cela exigeait d’elle des permissions longuement négociées. Élisabeth était devenue une sorte de conseillère sur plusieurs aspects de leur existence. Sa manière de voir la vie et beaucoup comment elle l’organisait, lui valait un statut hors du commun. Élisabeth n’usait pas de ce pouvoir qu’on lui octroyait, cherchant davantage à comprendre les malheurs de ces femmes, leur offrant parfois des conseils dont elle savait pertinemment qu’ils devenaient des papillons lancés dans le vent au large de la mer.
- Tu ne dois pas te sentir responsable des autres. Les femmes qui te parlent, Élisabeth, trouvent chez toi un lieu où déposer leurs souffrances. Sache les recevoir et leur faire saisir que tu les accueilles sans les juger.
- Mais monsieur le curé s’inquiète de cela.
- Toi aussi, si je comprends bien.
- Ce n’est pas ce qu’en pense le curé qui m’effraie…
Élisabeth déposa sa tasse de thé sur le coin de la table. Jeta un coup d’œil vers son fils qui bougeait, l’appelant à la tétée. Elle se leva, prit l’enfant et lui offrit le sein. Madame Synnott aimait voir cette communion de la mère et l’enfant.
- … c’est ce que je pense, moi, du curé.
Un vague sourire s’esquissait sur le visage de l’accoucheuse. Un peu comme si cette jeune mère, cette femme si petite de taille, se présentait à elle comme une géante. De celles qui n’existent pas assez. De celles que l’on écrase au berceau. De celles qui devront survenir afin que change le monde. Elle savait, de toutes les fibres de son âme, que c’est par les femmes, une fois debout et bien installées dans leur corps, bien libérées de la soumission qui écrasait leur liberté d’être humain, c’est à partir de ce geste en soit anodin mais tellement difficile à entreprendre que demain pourrait cesser de ressembler à hier.
Elle savait, cette femme sage, cette fomenteuse de vies, que tant et aussi longtemps que ses sœurs demeuraient isolées dans leur cuisine, dans leur lit, incapables de prendre la parole autrement que pour approuver leurs hommes qu’ils soient avec ou sans soutane, elles se condamnaient à subir l’oppression de ces maîtres que servilement, pour faire leurs devoirs, elles s’obligeaient lamentablement au malheur. Est-ce que cette Élisabeth aurait déjà su dans le fond de son cœur et de son intelligence, sans pour autant se charger d’une mission salvatrice, qu’elle pourrait entre deux fils à coudre, entre deux recettes, dire que la vie est transformable ?
Madame Synnott prit place tout à côté d’Élisabeth. Dans ses yeux d’une si grande douceur, on aurait lu facilement que les paroles à venir, elle les connaissait déjà sans les avoir entendues. Les paroles de femmes vont directement au cœur des choses. Et les choses de femmes sont celles du cœur.
- Je suis heureuse, me semble-t-il, avança une Élisabeth qui se calmait au contact de la sage-femme.
Herménégilde ouvrit les yeux ayant entendu la voix de sa mère.
- Je suis heureuse et en même temps j’ai l’impression de ne pas l’être comme je le souhaiterais.
- Que veux-tu dire exactement ?
- Joseph est tellement secret, tellement distant.
Élisabeth but un peu de son thé, ce qui la remplit d’une rassurante chaleur. Elle sembla se calmer et cessa de pleurer.
- Les hommes n’ont pas l’habitude des femmes, dit madame Synnott qui venait de prendre la main d’Élisabeth, la caressant tout doucement.
- Il ne me parle jamais d’autres choses que des travaux de la ferme, de ce qu’il y a à faire et attend que je lui dise comment je veux que cela soit. Il est incapable de décider par lui-même.
- Tu sais, ils ne sont pas tous ainsi. Plusieurs et je suis conscient que les femmes qui viennent chez toi pour la couture ou autre chose t’en parlent différemment.
- Vous avez raison. Elles sont soumises. Quand ce n’est pas à leur mari ou leur famille, c’est aux affaires du curé.
Rapidement et cela depuis qu’Élisabeth avait quitté la maison paternelle pour s’installer chez son mari et monsieur Lacasse, elle recevait des femmes mariées, ou en voie de l’être, qui lui donnaient à confectionner des vêtements pour la saison ou pour des occasions spéciales, les écoutait et se sentait choyée de ne pas à subir l’autorité parfois intransigeante des hommes. Elle était une exception à la règle en vigueur et tout à la fois, cela la rendait particulière.
Ces femmes vivaient parfois l’enfer. Juste de pouvoir sortir de chez elles, de venir passer quelques minutes chez la couturière, cela exigeait d’elle des permissions longuement négociées. Élisabeth était devenue une sorte de conseillère sur plusieurs aspects de leur existence. Sa manière de voir la vie et beaucoup comment elle l’organisait, lui valait un statut hors du commun. Élisabeth n’usait pas de ce pouvoir qu’on lui octroyait, cherchant davantage à comprendre les malheurs de ces femmes, leur offrant parfois des conseils dont elle savait pertinemment qu’ils devenaient des papillons lancés dans le vent au large de la mer.
- Tu ne dois pas te sentir responsable des autres. Les femmes qui te parlent, Élisabeth, trouvent chez toi un lieu où déposer leurs souffrances. Sache les recevoir et leur faire saisir que tu les accueilles sans les juger.
- Mais monsieur le curé s’inquiète de cela.
- Toi aussi, si je comprends bien.
- Ce n’est pas ce qu’en pense le curé qui m’effraie…
Élisabeth déposa sa tasse de thé sur le coin de la table. Jeta un coup d’œil vers son fils qui bougeait, l’appelant à la tétée. Elle se leva, prit l’enfant et lui offrit le sein. Madame Synnott aimait voir cette communion de la mère et l’enfant.
- … c’est ce que je pense, moi, du curé.
Un vague sourire s’esquissait sur le visage de l’accoucheuse. Un peu comme si cette jeune mère, cette femme si petite de taille, se présentait à elle comme une géante. De celles qui n’existent pas assez. De celles que l’on écrase au berceau. De celles qui devront survenir afin que change le monde. Elle savait, de toutes les fibres de son âme, que c’est par les femmes, une fois debout et bien installées dans leur corps, bien libérées de la soumission qui écrasait leur liberté d’être humain, c’est à partir de ce geste en soit anodin mais tellement difficile à entreprendre que demain pourrait cesser de ressembler à hier.
Elle savait, cette femme sage, cette fomenteuse de vies, que tant et aussi longtemps que ses sœurs demeuraient isolées dans leur cuisine, dans leur lit, incapables de prendre la parole autrement que pour approuver leurs hommes qu’ils soient avec ou sans soutane, elles se condamnaient à subir l’oppression de ces maîtres que servilement, pour faire leurs devoirs, elles s’obligeaient lamentablement au malheur. Est-ce que cette Élisabeth aurait déjà su dans le fond de son cœur et de son intelligence, sans pour autant se charger d’une mission salvatrice, qu’elle pourrait entre deux fils à coudre, entre deux recettes, dire que la vie est transformable ?
Élisabeth venait d’achever de nourrir son fils.
… à suivre …