Un être dépressif
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Entrer dans l'indéfinissable
Nous sommes revenus à Saigon en provenance de l'Île de Phu Quoc , Phuoc et moi, avec dans nos bagages notre lot de mauvaises nouvelles. De son côté, les démarches entreprises n'ont pas donné les résultats escomptés, alors que du mien, la fatigue due au manque de sommeil s'accompagne de surcroît d'une perte d'appétit, ce qui ne me ressemble pas tellement. Un seul point positif, LES ANCIENS COLONELS, mon deuxième roman est terminé et j'entreprends le prochain qui s'intitulera MARCHER À L'OMBRES DES FANTÔMES,
Aux symptômes facilement identifiables, j'arrive mal à cerner ces indéfinissables maux de tête qui, plus tard, seront évoqués comme étant du "brouillard cérébral", accompagnés d'une surprenante perte de concentration, minime mais constament présente alors que je remarque - dramatiquement - une certaine redondance dans ce que j'écris, allant à réécrire - transcrire - les mêmes phrases tirées de mes deux premiers romans.
Ces indéfinissables, je n'en parle à personne et ne fais aucun lien entre le neuroleptique que je continue à prendre quotidiennement ; je ne suis pas médecin et me fis entièrement à ceux dont c'est la tâche. Le rapprochement que je me propose d'examiner, le vin rouge de tous les jours ne pouvant absolument pas être éliminé, est le suivant : les deux premiers projets d'écriture ont été réalisés ici à Saigon - même si DEP naquit à Hanoï et achevé dans un petit café de la capitale vietnamienne - alors que je travaille sur le troisième au même endroit ; idéalement, il faudrait que je change de lieu. Me rapprocher de la mer, entrer en contact avec d'autres gens, apprendre d'une ville inconnue et inexplorée.
Sans trop s'en apercevoir, les astres ont l'ingénieuse tendance à s'aligner. C'est un peu ce qui s'est produit lorsque Phuoc, déçu par l'échec de son projet sur l'Île de Phu Quoc, envisage de quitter Saigon, direction... ailleurs. On s'en parle et ça semble être une solution envisageable pour relancer mutuellement nos desseins.
À l'aube de l'année 2021, la situation du Vietnam en lien avec la covid-19 qui devient pandémie mondiale est loin d'être critique, dans les faits on ne recense que quelques cas isolés. Cela n'allait pas durer alors qu'en février le premier ministre du pays ordonne à tous les responsables des régions administratives d'élaborer un plan pour se protéger contre ce virus qui, sans crier gare, s'abat sur Hanoï et sa région, risquant de s'étendre à la grandeur du territoire. Comme dans tout drame, toute tragédie, il faut un bouc émissaire et à la limte un coupable, eh bien ! le couperet tombe sur les étrangers ; on ferme les aéroports.
Phuoc et moi, sans trop mesurer l'ampleur des impacts à venir, sans trop réaliser - tout comme une majorité de Vietnamiens - qu'une certaine paralysie pourrait s'abattre sur la quasi totalité des activités de l'ensemble de la population, optons pour le Centre du Vietnam, Da Nang. Les appartements que nous louons sont voisins l'un en face de l'autre, sur le dernier palier d'un building s'étirant sur trois étages situé à cinq minutes à pied de la mer Méridionale.
Le fait que cette ville jeune et dynamique soit sujette à de violents ouragans, parfois dévastateurs lors de la saison des pluies, qu'elle n'offre pas encore tous les services spécialisés que l'on retrouve à Saigon, cela n'atténue aucunement notre volonté de s'y installer à la mi-février afin de poursuivre notre marche en avant.
Phuoc voyait son avenir professionnel avec des lunettes roses, alors que moi je misais sur un nouveau départ qui chasserait les symptômes omniprésents, au mieux à la restitution de ma santé, ce qui signifiait le retour du sommeil et de l'appétit, mais principalement la concentration permettant de mieux plonger dans l'ouvrage sur lequel je piochais.
Il y a trois (3) grandes étapes à franchir avant qu'un roman prenne son envol: un (1) les recherches, deux (2) l'écriture/correction et trois (3) l'édition. DEP a franchi les trois paliers ; LES ANCIENS COLONELS a nécessité un nombre incalculable d'heures de recherches avant de s'arrêter après le deuxième stade puisque les Éditions THÉ GIOI ne souhaitait pas le publier pour des raisons politiques ; MARCHER À L'OMBRE DES FANTÔMES s'est construit jumelant recherches et écriture simultanément. Il demeure et restera... inachevé.
C'est le 15 février 2021 que je pose mon attirail dans cet appartement style loft (un et demi) qui allait devenir lieu de vie, de travail, d'isolement et ... de dépression.
À la prochaine