Paul-Marie Lapointe vient tout juste de mourir. Un souvenir fugace a traversé ma mémoire alors que je lisais la nouvelle de son décès dans LE DEVOIR. Je suis chez Gaston Miron, Carré Saint-Louis. Le téléphone sonne, Miron répond. S'en suit une assez longue conversation avec un interlocuteur qui s'avéra être Paul-Marie Lapointe. À la fin de l'appel, Miron me demande si j'ai lu LA VIERGE INCENDIÉE. Devant mon ignorance crasse, Gaston Miron me dit que je ne suis pas le seul, que je devrais m'y mettre. L'image qui m'en reste, la même que lors de mon premier contact avec Rimbaud.
Paul-Marie Lapointe vient tout juste de mourir. Il me semble qu'avec ce départ, si la poésie québécoise contemporaine pouvait se comparer à une table, eh! bien (oui, je le sais) c'est la quatrième patte qui s'écroule. La première étant Miron, la seconde Roland Giguère, une troisième Saint-Denys-Garneau.
Je vous offre en hommage à Lapointe ceci, tiré de LA VIERGE INCENDIÉE.
Je suis une main qui pense à des murs de fleurs
à des fleurs de murs
à des fleurs mûres.
C'est pour regarder la vie que je lis interminablement
le cristal du futur de cristal
Le réservoir du cendrier
pourquoi des villes de café y surgir?
des plantations de pauvres gens
soleils de fagots fertiles
violoncelles senteur de mauves
C'est en songeant à construire un verger de frères
que pour pleurer je descends mon bras
que je mets ma vie dans mes larmes
Les grands châteaux poires pourries
avec quoi des vieillards à femmes mutuelles
lapident leurs vacheries
les églises de faux sentiments
l'écroulement des cadavres les haines dans les schistes séculaires.
Quand le marteau se lève
quand les bûchers vont flamber noir
sur le peuple déterminé
Les cadavres purifiés par le feu
et le fracassement des crânes de béton
L'horizon que je vois libéré
par l'amour et pour l'amour.
Et ce deuxième.
J'ai des frères à l'infini
J'ai des soeurs à l'infini
et je suis mon père et ma mère
J'ai des arbres et des poissons
des fleurs et des oiseaux
Le baiser le plus rude
et l'acte déconcerté
l'assassin sans lame
se perce de lumière
Mais la corrosion n'atteindra jamais
mon royaume de fer
où les mains sont tellement sèches
qu'elles perdent leurs feuilles
Les faïences éclatent de rire dans le stuc
le ciel de glace
le soleil multiple qui n'apparaît plus
Frères et soeurs
mes milliers d'astres durs
Et ce dernier ÉPITAPHE POUR UN JEUNE RÉVOLTÉ est tiré de Pour les âmes.
tu ne mourras pas un oiseau portera tes cendres
dans l'aile d'une fourrure plus étale et plus chaude que l'été
aussi blonde aussi folle que l'invention de la lumière
entre les mondes voyagent des tendresses et des coeurs
des hystéries cajolantes comme la fusion des corps
en eux plus lancinants
comme le lever et le coucher des astres
comme l'apparition d'une vierge dans la cervelle des miracles
tu ne mourras pas un oiseau
nidifie ton coeur
plus intense que la brûlée d'un été quelque part
plus chaud qu'une savane parcourue par l'oracle
plus grave que le peau-rouge et l'incandescence
(les âmes miroitent
particulièrement le soir
entre chien et loup
dans la pâleur des lanternes
dans l'attisement des fanaux
dans l'éblouissement d'une ombre au midi du sommeil)
tu ne mourra pas
quelque part une ville gelée hélera ses cabs
une infanterie pacifique pour mûrir les récoltes
et le sang circulera
au même titre que les automobiles
dans le béton et la verdure
tu ne mourras ton amour est éternel
Salut Paul-Marie Lapointe!
Au prochain saut