samedi 25 novembre 2017

CHRONIQUES VIETNAMIENNES


Étudiants du groupe WE ARE ONE

À chacune des fois qu’il m’est permis de le dire, la réaction est similaire. Quoi Toi ? On arrive difficilement à m’imaginer professeur d’anglais. Pourtant, je le suis. 

Actuellement, deux groupes d’étudiants se présentent dans cette classe improvisée que j’ai organisée sur le balcon. Un premier groupe, celui avec qui je travaille depuis le mois de mai dernier, s’est attribué un nom : WE ARE ONE. Composé d’ingénieurs travaillant au chantier du métro de Saigon. La compagnie Fecon (firme d’ingénieurs de Hanoi) associée à un  partenaire japonais y a délégué ses meilleurs éléments. Un immense contrat. À un point tel, que les deux sociétés, maintenant fusionnées, ne forment plus qu’une seule et même entité. Cela posait le problème du classement des employés afin d’établir une liste d’ancienneté et de compétence. Tenant compte des multiples différences dans la formation de leurs ingénieurs, un seul critère fut retenu : la compétence à s’exprimer en anglais. Les ingénieurs vietnamiens se sont vus relégués aux derniers rangs de la nouvelle structure. Cela implique, conséquemment, une perte de revenus et des chances restreintes d’avancement. C’est alors qu’ils se sont retournés vers moi afin de leur enseigner les rudiments de la langue de Shakespeare.

Ils sont motivés et sérieux, conscients que je ne suis pas un bilingue averti mais, je l’avoue humblement, un assez bon pédagogue. Alors qu’au début des cours, on devait souvent s’arrêter afin de consulter GOOGLE TRANSLATE pour qu’on me suive dans mes envolées, maintenant, près de six mois plus tard et un arrêt de deux mois lors de ma venue au Québec, plus besoin de traducteur. Tout à leur honneur !

Le deuxième groupe, trois étudiants, comprend un banquier, un employé d’une agence de tourisme et un étudiant en théâtre. Plus disparate comme composition, mais tout aussi assidu et engagé dans leur démarche d’apprentissage. Leur carrière future dépend, pour eux aussi, une connaissance suffisante de la langue ainsi qu’une certaine fluidité à converser. Ce qui fait qu’un des objectifs que je leur propose, c’est une bonne prononciation. La langue vietnamienne n’a rien, mais absolument rien à voir avec l’anglais de sorte qu’il en résulte souvent, chez ceux qui se déclarent parfaitement bilingues, une connaissance adéquate de la grammaire anglaise, un riche vocabulaire, une excellente facilité à manier les structures linguistiques. Sauf que… on ne les comprend pas avec leur accent vietnamien. C’est ici que le bât blesse.

Je rencontre chacun des groupes à raison de deux heures par leçon, une fois la semaine. On dit souvent que la meilleure façon d’apprendre quelque chose c’est de l’enseigner. Cela s’avère vrai dans mon cas.

Une chose sur laquelle j’insiste beaucoup c’est de les inciter à ne jamais perdre leur langue maternelle, de voir l’anglais comme une langue utilitaire. La langue et la culture vietnamiennes ne doivent jamais, tout comme le français pour nous Québécois, s’aplaventrir devant celle qui semble être devenue la langue du commerce, du tourisme et combien d’autres secteurs. Il en va de leur survie comme entité nationale, comme une marque de respect envers ceux et celles qui, des siècles durant, l’auront utilisée pour communiquer et fait perdurer leurs pensées. 
Lorsque le linguiste et jésuite Alexandre de Rhodes,au XVIIe siècle, a transcrit phonétiquement (à partir de l’alphabet roman) le vietnamien et en faire le Ch Quc ng, remplaçant le Ch nôm puis le ch Hán, jamais il n’a dénaturé la langue, il l’a rendue ouverte au monde.


Les Vietnamiens forment, pour utiliser un terme de la psychanalyse, une société orale. On aime manger, on adore parler. Combien de fois un contrat oral n’a-t-il pas plus de valeur qu’un document écrit signé et contresigné ? Lorsque l’on donne sa parole, on peut certain que ce qui a été prononcé prend force de loi.

Enseigner l’anglais c’est d’abord pour moi revenir à ma passion première. Mon père fut enseignant, mon frère Pierre vient tout juste de prendre sa retraite de l’enseignement universitaire et mon frère Jacques a été un pédagogue hors pair. Je me rappelle très bien les paroles de mon paternel alors que je lui présentais mon baccalauréat en pédagogie : ‘’ Un bon enseignant est celui dont les élèves n’ont plus besoin.’’ Je le réalise encore aujourd’hui.

Préparer un cours, imaginer des stratégies variées selon chacun des étudiants qui possèdent des talents multiples et différents, les intéresser deux heures d’affilée en les tenant toujours sur le qui-vive, les faire rire et surtout les aimer. Il faut aimer ses étudiants, voir ce qu’ils deviendront lorsqu’ils ne seront plus auprès de toi, qu’ils n’auront plus besoin de tes services car ils sauront, par eux-mêmes, continuer à apprendre de façon continue. Telle est la tâche de celui, de celle qui embrasse cette carrière. Carrière ou profession ou vocation ? Un peu de tout, je crois.

Difficile de m’imaginer enseignant l’anglais, j’en conviens, mais je crois qu’il est facile de m’imaginer donner à mes étudiants les outils indispensables à l’apprentissage tout en leur rappelant qu’ils doivent remplir eux-mêmes leur coffre à outils.






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