mardi 6 décembre 2005

Le cinquantième saut de crapaud



… la suite…

Une fois le sous-entendu lâché, Arthur quitta le magasin général et regagna sa maison. Il monta à l’étage s’asseoir sur sa chaise berçante. Elle donnait sur une fenêtre, à l’est. Le soleil à son meilleur. Lui chauffait le dos, le jour, y laissait passer des rayons de lune, la nuit. Il pouvait, des heures et des heures, seul, silencieux, une tasse de thé à la main, écouter les craquements de la structure de sa demeure à partir de la pièce qu’il préférait entre toutes.

Jamais personne n’y était entré. D’ailleurs, le bedeau n’invitait aucune âme qui vive. On ne saurait dire, toutefois, pour les âmes mortes, en autant que l’on accepte qu’une âme puisse mourir. Selon lui, les âmes des défunts prenaient un malin plaisir à s’arrêter chez-lui. En faisait-il une collection, on ne le sait pas? Chose certaine, les insinuations d’Arthur alimentaient la croyance.

Il avait surpris tout le village en n’assistant pas aux funérailles du chanoine Boudreau même si c’est lui qui, trop rapidement selon les dames de Sainte-Anne, avait ouvert les portes de l’église et préparé le nécessaire pour la cérémonie. L’évêque de Gaspé, en grandes pompes funèbres, célébra la messe, accompagné de tout le gratin ecclésiastique régional. Il y avait tellement d’invités que plusieurs paroissiens ne purent trouver un banc disponible. Les chanceux, les acheteurs de places privilégiées, racontèrent par la suite que l’homélie de Monseigneur Granger fut touchant. Les bonnes sœurs de la Charité pleurèrent le départ d’un curé dévoué, disponible sans ménager tous les épithètes inimaginables saluant les mérites de cette âme qui dès lors les regardait du ciel, les aspergeant déjà d’indulgences, pour l’occasion entièrement plénières.

Léo, le maire, lut péniblement une épître. Et pour le reste de la liturgie, on s’en remit à l’abbé-ci et l’abbé-ça. Quelqu’un s’en offusqua? Aucunement.

Sauf qu’une fois rendu à l’offertoire, surprise puis consternation générale, on a le général facile à l’Anse-au-Griffon, les cloches se mirent à se balancer le grelot comme ce n’était pas possible. L’évêque fut décontenancé. Les diacres, sous-diacres et autres soutanes ne comprenaient pas que le bedeau puisse errer à ce point, surtout en une occasion aussi rarissime. Sauf que le bedeau, eh! bien il n’y était pas. Il ne brillait pas par son absence, il se faisait chauffer la couenne bien installé dans sa berceuse, en haut de sa maison, en haut de la côte. Fait encore plus étrange, personne de la paroisse n’entendait le tintamarre des folles envolées du clocher. Le spectacle ahurissant ne semblait être offert qu’aux gens de passage.

L’évêque, replaçant candidement sa mitre et voulant ne pas trop se faire remarquer, de son doigt bagué signifia à un enfant de chœur qu’il souhaitait lui parler. Le jeune, retenant sa trop longue robe d’apparat, évidemment rouge pour la circonstance, se dirigea vers le prélat.

- Mon fils, allez demander au bedeau de cesser immédiatement ce vacarme.
- Mais lequel, Monseigneur?
- Les cloches.
- Mais on ne les entend pas, mon père, dit le jeunot qui ne cessait d’examiner les atours dorés brillant sous l’éclat des cierges allumés.
- Tu n’entends pas que les cloches sonnent à tout rompre?
- Non, Monseigneur.

Et l’enfant de chœur reprit sa place aux pieds de l’autel après avoir bien regardé l’évêque, se demandant si tout allait rondement dans sa tête.

Ça chuchotait à plusieurs endroits de la nef, mais uniquement du côté où s’étaient installés les invités venus de l’extérieur de la paroisse. On se lançait des regards obliques remplis de points d’interrogations. Pendant ce temps-là, le clocher s’exclamait tellement qu’il devait être rouge de rage car les bruits qui en ressortaient, laissaient vraiment à penser que l’hystérie s’était emparée de lui.

Une fois le service achevé, l’évêque Granger, pressé de se départir de tout son attirail vestimentaire de circonstance, négligeant de saluer les paroissiens, s’engouffra dans sa limousine pour disparaître dans une nuée de monoxyde de carbone étouffant les officiels encore sous le choc des cloches, puis d’un départ ressemblant davantage à une fuite.

Au loin, dans le haut d’une maison délabrée, sur le visage d’un Arthur aux yeux fixes et impavides, se traçait un rictus circonflexe…

…à suivre…

Un peu de politique à saveur batracienne... (19)

  Trudeau et Freeland Le CRAPAUD ne pouvait absolument pas laisser passer une telle occasion de crapahuter en pleine politique fédérale cana...