mardi 11 mai 2010

Le trois cent cinquante-quatrième saut / Le trois-cent-cinquante-quatrième saut



La catastrophe écologique qui ravage actuellement les côtes du golfe du Mexique m’a rappelé la Prophétie de Léonard de Vinci que citait Jean Bédard dans son roman historique Nicolas de Cues. Je vous l’offre pour la réflexion.

. On verra sur terre une espèce animale qui sans répit se combattra elle-même avec grandes pertes et morts fréquentes. Elle n’assignera pas de limites à sa malice. Il arrivera donc un temps où elle ne tuera plus par milliers, mais par milliers de milliers. Elle éliminera la peste et le choléra de façon à se rendre maître de sa propre destruction. Elle arrachera à la nature ses droits sur la mort afin d’avoir plus de chairs à broyer dans ses guerres, ses déchirements et ses obsessions. Elle ruinera sa propre âme dans des machines infernales. Ô terre! que tardes-tu à t’ouvrir pour engloutir dans les crevasses profondes de tes abîmes cette monstruosité par trop cruelle! Tu l’as attachée par des liens qui échappent à son entendement. Tu as écrit tes instructions dans une langue qu’elle ne peut comprendre. Tu as fait planer au-dessus de sa tête des espérances inconcevables. Es-tu insensée, ô terre! de graver dans son cœur des aspirations inaccessibles? La voici folle de rage. Elle ronge ses membres comme un renard pris au piège. Elle ne peut tout simplement plus se comprendre elle-même et la voici tournoyant dans son propre chaos comme si elle était ivre de sa propre mort.



Dans son livre L’homme est-il en voie de disparition?, Jean-Claude Guillebaud propose cinq frontières qui délimitent l’humanité de l’homme :

. celle qui sépare l’homme de l’animal;
. celle qui sépare l’homme de la machine;
. celle qui nous sépare de la chose;
. l’homme ne se réduit pas à ses organes;
. la tentation à accepter que l’homme soit «en voie de disparition», le renonciation du sujet.

Et il ajoute :

. … s’il n’y a plus d’homme et s’il n’y a plus de sujet, comment pourrons-nous parler de droits de l’homme? Et si nous sommes convaincus que le cerveau de l’homme n’est rien de plus qu’un ordinateur, comment ferons-nous demain pour expliquer qu’il est plus grave de tuer un homme que d’éteindre un ordinateur?

Un peu dans le même ordre d’idée, cette phrase de Nikos Kazantzaki tirée de son roman Le Christ recrucifié :

. Alors la terre, les arbres et les bêtes avaient respiré librement, délivrés de la contrainte de l’éphémère bipède qui avait un instant bouleversé l’ordre éternel des choses.

Dans son magnifique Jusqu’au matin, Han Suyin écrit :

. Les hommes créent de belles théories et de beaux credos pour se convaincre de la justesse de leur dernier carnage.

La prochaine, de L’hiver de Mira Christophe de Pierre Nepveu :

. Nul ne peut prévoir si nous allons vers le désastre, et si le désastre sera une fin ou un recommencement. Rien ne sert de le précipiter, et je ne suis pas sûr qu’on puisse le retarder.

Et Kafka dans La colonie pénitenciaire :

. Regardez-moi cette machine… Jusqu’à présent il fallait la servir, maintenant elle fonctionne toute seule.

Maxime Gorki, dans La mère :

. Ils étaient nés avec cette maladie de l’âme qu’ils héritaient de leurs pères, qui les accompagnait comme une ombre noire jusqu’à la tombe, et leur faisait commettre des actes hideux d’inutile cruauté.

D’Atiq Rahimi, de son roman Terre et cendres :

. … la loi de la guerre c’est la loi du sacrifice. Dans le sacrifice, ou bien le sang est sur ta gorge, ou bien il est sur tes mains.

Ne trouvez-vous pas que ces citations ont en commun le souci de ne pas… ménager l’homme? Michel Houellebecq en rajoute. C’est tiré de La possibilité d’une île :

. Si l’homme rit, s’il est le seul, parmi le règne animal, à exhiber cette atroce déformation faciale, c’est également qu’il est le seul, dépassant l’égoïsme de la nature animale, à avoir atteint le stade infernal et suprême de la cruauté.

Et ces dernières, en vrac :

. Puisque nous sommes des hommes, il convient, non de rire des malheurs de l’humanité, mais de les déplorer.
Démocrite d’Abdère

. Il restera de l’homme juste assez de phosphore pour fabriquer une boîte d’allumettes et juste assez de feu pour forger le clou d’un pendu.
Carl Sandburg


Au prochain saut

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