lundi 18 janvier 2021

De " Projet Écriture " à O T I U M...

 L'otium est un terme latin qui recouvre une variété de formes et de significations dans le champ du temps libre. C'est le temps durant lequel une personne profite du repos pour s'adonner à la méditation, au loisir studieux.

Désormais, notre " Projet Écriture " entrepris à trois (Claire, ma belle-soeur, mon frère Pierre et moi-même) s'intitulera ainsi : OTIUM.

Le troisième (3e) est parti d'une proposition de Claire qui a suggéré trois photos parmi lesquelles nous avions à choisir. 

Voici le résultat.


Promenade après la pluie

L’orage avait cessé. Le vent chassait les derniers nuages. Des parfums moites montaient de la terre et les oiseaux recommençaient à pépier. Une des amies proposa d’aller marcher pour s’immerger de la paix après la pluie. Elles étaient quatre. Elles avaient coutume, tous les étés, de se retrouver à l’occasion d’une retraite amicale dans le chalet que possédait l’une d’entre elles. « Oui, sortons ! » avaient approuvé les trois autres à l’unisson.

Elles s’engagèrent à la queue leu leu dans l’étroit sentier forestier qui descendait vers le lac. Des gouttes de pluie étaient suspendues aux aiguilles des épinettes, et de timides rayons de soleil, perlaient leur transparence. L’humus de la terre saturait l’air d’un suave parfum. L’atmosphère était encore gorgée d’humidité. La nature semblait se détendre en absorbant le surplus d’eau déversé par l’abondante ondée.

Elles atteignirent un terreplein au centre duquel une mare s’était formée, en réceptacle des eaux affluant des sommets. S’y jouait un spectacle, fait de reflets, d’ombres et de mouvements. Il avait capté l’attention d’une d’entre elles. 
« Arrêtons-nous, suggéra-t-elle enthousiaste. Et plaçons-nous autour de cette grande flaque pour que chacune dise ce qu’elle y voit ! »



Toujours complices, les trois autres ne se firent pas prier.
Alors, commence, intima l’une d’entre elles à l’initiatrice de l’idée.
D’accord, dit-elle, en posant son regard sur l’étendue d’eau. Je vois la création d’un univers et l’extinction d’un autre peut-être, suggéra-t-elle après un moment. J’ai l’impression d’assister à la formation d’un monde : une voie lactée naissante qui s’organise dans un vaste dynamisme giratoire. Et au centre, en arrière-plan, j’aperçois dans un état gazeux, ce qui pourrait représenter l’explosion d’une super nova ou la pépinière d’un tout nouveau système. C’est fabuleux et mystérieux.
J’imagine l’émergence d’une création sans bornes, entrainée dans un mouvement
majestueux, sur laquelle agit une force insubstantielle.

Le groupe fixait le plan d’eau avec l’émerveillement que commandait cette vision
des origines. Puis l’amie passa la parole à sa compagne de droite pour qu’elle
témoigne de ce qu’elle discernait dans ce miroir. 

- Oh mon Dieu ! Je suis si loin de percevoir ce que tu vois! Je n’arrive pas à me détacher les yeux d’une horrible silhouette qui prend forme dans ce nuage. C’est une paréidolie dont j’aimerais bien me dispenser. Malheureusement, ce n’est que le profil de ce visage haï qui s’impose à mon cerveau. Je reconnais la fameuse houppe d’un jaune douteux, le menton en galoche et j’entends presque la voix grossière professer ses insanités mensongères, ses incitations aux débordements et à la haine. Je me console en imaginant que ce visage est balayé dans la nuit des temps : des vagues de lumières l’encerclent et l’enserrent. Elles finiront par noyer le souvenir de cette tache immonde.



L’image était devenue très claire dans l’esprit des amies qui avaient été horripilées par les déplorables évènements survenus au Capitole de Washington, fomentés par la langue de vipère de cette silhouette.

- Oh !, amène-nous vite ailleurs, supplia celle dont les neurones étaient saturés par la détestable vision, en s’adressant à l’amie postée à sa droite. 
La jeune fille soupira pour se donner le temps de chasser le personnage de sa rétine, en attente d’une nouvelle représentation.
Elle se concentrait sur les serpentins d’écume qui bordaient l’étang du lieu où elle se trouvait.

- Je vois quelque chose de très doux, comme une frange de dentelle, un rideau de mousseline peut-être qui frémit au vent, par un soir de pleine lune. Je sens la brise sur ma peau et je suis captivée par le mouvement de la voile qui ondule dans le souffle de la nuit. Tout est délicatesse. Et dans le ciel noir, constellé de quelques étoiles clairsemées, un fantôme prend forme : le fantôme d’un songe, l’embryon d’un ange, peut-être, qui aura toute la nuit pour affirmer sa silhouette et déployer ses ailes.

Elle espérait que sa vision avait effacé l’infâme portrait de l’esprit de ses amies.
Puis connaissant le souffle imaginatif de la compagne à son flanc, elle l’invita à prendre la parole, certaine que son intervention imposerait une nouvelle configuration.

Dans un geste théâtral, cette dernière, après avoir plongé son regard dans la flaque, redressa fièrement la poitrine, inspira profondément et déclama :

Eau
Je dis eau
Eau germinale
Eau origine de vie
Fontaines des fleurs, fruits, forêts
Nectar clair et cristallin
Soif étanchée

Eau
Je dis eau
Métamorphoses de l’eau
Flocons virevoltants, fleuves de cristal
Neige craquante sous les pas
Brumes d’aubes, crachin d’automne
Cirrus, altocumulus, nimbostratus

Eau,
Je dis eau
Eau destructrice
Crues, inondations
Trombes diluviennes, torrents, tsunamis
Avalanches, fracas d’iceberg
Engloutissement, dévastation, putréfaction

Eau
Je dis encore eau
Eau symbolique, eaux dormantes
Reposoir de nos inconscients
Reflets de nos cœurs…

Un grand éclat de rire mit abruptement fin à son élan oratoire. 




- « Oui les amies, cette flaque nous reflète bien toutes. Elle agit comme un tain qui nous renvoie notre personnalité. Je nous ai reconnues chacune dans nos propos respectifs : toi, la scientifique et ta création du monde, toi la conseillère média et le profil de ce politicien véreux, toi la jardinière d’enfants et l’univers délicat des songes et moi l’artiste fantasque qui se plait à improviser ! Quelle belle collection d’âmes réunie autour de ce miroir naturel, n’est-ce pas ? Merci pour
cette pause créative !... On descend au lac maintenant ? »

(Claire, janvier 2021)


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Eau vive

L’eau vive, c’est d’abord ce trou de verdure de Rimbaud…

où chante une rivière accrochant follement aux herbes

des haillons d’argent

 

L’eau vive, c’est aussi la vie qui chemine, recouvrant par immersion de son trop plein les obstacles, incompressible, éternelle présence.

L’eau vive, c’est ce ruisseau qui murmure, se laissant emporter inéluctablement dans le courant qu’il génère lui-même.

L’eau vive, c’est ce qui couve et coure sous la glace : c’est l’être au sein l’existence, par-delà le Temps.

L’eau vive, c’est l’eau en action, imprévisible source d’infinis possibles.

L’eau vive, tu es comme la flamme d’une chandelle : tu hypnotises et nous projette dans l’âme.

Eau vive, être de changement, tantôt cristal, bientôt éther.

L’eau vive, c’est l’enfant qui commence à se mouvoir et qui veut explorer.

Merci à toi, eau vive, par toi, voilà que la vie peut être : à l’infini.

 

 

Pierre, janvier 2021


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Au bout du chemin, le miroir des songes

 

Au bout du chemin, le marcheur découvre un ruisseau qu’il n’avait jamais surpris auparavant. Pourtant, il y passe tous les jours et cela depuis que son médecin lui a prescrit l’exercice physique quotidien.

Depuis l’annonce fatidique - il souffre d’un cancer incurable - sa décision, devenue aussi inflexible que le verdict médical, en plus de s’être mis à la marche, il s’est invité à créer un jeu original, celui de façonner de nouveaux mots qu’il appliquerait à ce qu’il voit.

Ce ruisseau provient d’on ne sait trop , probablement d’une source plus ou moins distante du sentier habituel qu’il emprunte. Il s’achève ici, se transforme en un étang que notre marcheur appellera désormais... le miroir des songes.

La branche qui plonge dans le verre pellucide deviendra... le bâton du pèlerin excitant des “ frémissures “ sur l’onde calme.

Le bleu du ciel, pourquoi pas le nommer ... une cellulose s’écroulant dans le gris qui hésite entre la verticale et l’horizontale.

Tout frémit, “ frimousse “ sous ses yeux qui tentent de rendre immortels les feuilles devenues... papier translucide.

Notre marcheur s’amuse, ajoute à cet exercice quelques incongruités semblables aux errements de langage d’un enfant qui apprend à parler.

La forêt, ce lieu parfait pour l’abandon, pour la recherche du silence, sous sa baguette magique qui transforme les mots, se métamorphose en... “ ofrêt “ collectant les ombres et la lumière.

De jour en jour son vocabulaire s’enrichit de nouveaux mots qu’aucun dictionnaire ne contient : “ bérar “ pour l’arbre... “ brechan “ pour dire la branche... l’ombre devient “ bermo “ dans sa nouvelle langue... la lumière s’appellera désormais “ mièlure “... l’étang devenu “ ganté “... et ainsi de suite pour tout ce que ses yeux repèrent.

À la suite de plusieurs escapades, utilisant la nouvelle terminologie de son glossaire personnel, lui, le marcheur répond maintenant au vocable... “ charmeur “.

Eh bien il s’en lasse ! Cela ne le pousse pas hors du sentier vers un lieu inconnu que son jeu de scrabble cherche à circonscrire. Il se dit que le fait de seulement bouger les différentes lettres de chaque mot ne suffit plus.

Quelques randonnées plus tard, il s’invita à dépasser cet endroit au bout du chemin, là  peut-être se dissimule un autre “ ganté “ moulé dans la “ mièlure “ et le “ bermo “... La marche acquiert la capricieuse idée de toujours vouloir se dépasser.

Sur un bout de papier, il nota, au-delà des mots réformés, une nouvelle sémiologie pour composer un poème.

Au bout du chemin,

la rare clarté dormant sur les “ bérars “

repus de la “ mièlure “ du jour

tombe dans le miroir des songes

y cherche la lucidité de l’eau

que brouille un gris “ brechan “...


Au bout du chemin,

la réalité des “ brémos “ de “ l’ofrêt “

écarte nos regards

de l’essentielle couleur...

 

Tu marches, essoufflé toujours

d’avoir tant avancé

devant l’irrémédiable destin

qui se mire dans le “ ganté “...

 

Tu peux,

oui tu peux, et sans misère,

déplacer les cellules des choses

mais resteront,

immortellement vivantes,

les couleurs de la mort...

 

Le marcheur, insatisfait de ses strophes, perçut entre les branches se mirant dans l’eau de l’étang et la “ faufileuse “ lumière , l’image de qui il est...

un homme mortel pour qui le glas n’attend que l’heure pour carillonner ses derniers instants...

celui qui, encore un peu, savoure la magie de jouer avec les mots, bien que bouleversés dans leur état primitif, continuent et continueront encore à bredouiller le réel.

On peut s’amuser à remuer des syllabes, ébranler leur arrangement, mais on restera continuellement troublé par leur sens initial, immuable reflet stationnaire des choses ; il n’y a que notre regard qui puisse les enchevêtrer...

L’histoire ne dit pas combien de temps encore le marcheur s’est rendu au bout de ce chemin, sauf qu’une fois franchi l’étang-miroir et la lumière bleue entre les branches des arbres de cette forêt, il aura, peut-être, à inventer un nouveau lexique.

Jean (janvier 2021)


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