mardi 16 décembre 2014

Les chroniques de Saïgon ( 2 )





Ça y est, je crois bien avoir trouvé ce café qui remplacera le Riverside. Son nom: Song Trang - ce qui pourrait signifier en français, morceau de page - Situé dans le District 7 à quelques coups de pédales de l’appartement, il a pignon sur les berges de la rivière Saïgon, ce qui lui donne une longueur d’avance sur ceux visités auparavant. Détail fascinant, le café Song Trang possède un mobilier similaire à celui qui meublait le Riverside. Les propriétaires l’ont-ils acheté là suite à la fermeture de mon bon vieux café habituel devenu un parking grande surface?

Silencieux, il se cache tout au fond d’une rue secondaire, pas tout à fait ruelle. Son charme réside dans le fait qu’on y entend, de ce côté de l’embranchement de la rivière, jaser les oiseaux et de l’autre, chanter les coqs. Deux cages retiennent captives des tourterelles qui roucoulent à chaque tintement répété des mobiles en bambou. Les tables disposées tout près d’une longue série de hamacs offerts pour une sieste, allongent l’espace qu’une bâche deux teintes recouvre. Plus en longueur qu'en largeur, le café a laissé intacts quelques arbres dont le pied s’enfonce dans un ciment gris humide.

Le café froid (cà phê sữa đá) y est excellent et la tenancière, tout à fait sympathique, ne sait dire en anglais que bonjour, encore faille-t-il le deviner. Un petit chien la suit constamment; un chat nerveux, de la même couleur que le chien ne se laisse pas approcher.

Il s’agit de ma seconde visite au café Song Trang, l’ayant découvert auparavant alors que je me rendais au bureau de la poste du District 7. Tôt le matin, celui-ci n’était pas encore ouvert, je me suis alors promené dans ce coin que je ne connaissais pas encore. Après un café et une inspection superficielle des lieux, j’avais dit à la dame que je reviendrais. Cette fois c’est vraiment pour mesurer mon intérêt à bloguer que je vérifie. Positif, pour le moment.

 

C’est mi-décembre et suite à trois semaines plein régime avec les amis français, je me permets quelques jours de repos. Les préparatifs pour le Myanmar sont achevés : premier arrêt à Bangkok du 30 au 2 janvier, le temps de vivre la folie du premier de l’an. Puis, Rangoun et Bagan avant de rentrer à Saïgon le 10 janvier.

Au sujet du premier de l’année, Lisa – la cousine de YoYo et mon organisatrice de voyages à l’intérieur du Vietnam – me dit que ça doit se vivre à l’extérieur de son pays; il faut être ailleurs pour entreprendre une autre année puis revenir chez soi. Pour moi, pas besoin de bouger, la condition ne s’appliquant pas.

Ce fut quand même au Cambodge que j’ai franchi 2012 pour entrer dans 2013 puis Bangkok l’an dernier. Ne pouvant arriver directement à Rangoun pour le 1er janvier 2015, la Thaïlande servira de nouveau de terre d'accueil pour ouvrir la brèche sur l’année de la Chèvre.


Il y a quelques mois, on me demandait les raisons qui m’amènent au Vietnam année après année. Cette question revient souvent, périodiquement. Parfois je réponds par une série d’automatismes mais cette fois-ci, j’ai l’impression qu’elle m’oblige à une réflexion plus profonde. En raison sans doute du fait que ce voyage porte le numéro quatre et qu’après quatre, ça devient plus sérieux, plus ancré; ça mérite donc de s’éloigner des clichés, des lieux communs.

Je ne suis ni anthropologue ni sociologue. Hédoniste plutôt. Wouèreux serait certainement le qualificatif me définissant le mieux. Ne possédant suffisamment pas assez d’informations historiques et culturelles, celles qui ont façonné ce Vietnam aux multiples contrastes, je me suis rapidement résigné à mettre dans chacun des ''il'' ou ''elle'' que je prononçais ou écrivais, la signification suivante : ces pronoms personnels employés au singulier ou au pluriel définiront strictement des individus, des comportements, des situations que j’aurai vus, vécus. Éviter surtout les généralisations faciles. 

Deux concepts me sont utiles afin de mieux circonscrire la question et y répondre avec davantage de précision : la gestalt et la coalescence. Je m’explique un peu sur ces deux grands mots.

La gestalt (on présente souvent cette psychologie à partir de l’illustration en noir et blanc de deux profils se faisant face et d’une coupe; on peut très bien voir les deux ou encore l’une ou l’autre des deux composantes de l’illustration) c’est le domaine de la perception.

En voyage, percevoir ce qui accroche notre regard ou notre conscience est quasi un réflexe. On tente par l’intermédiaire de nos sens de saisir ce qui se passe. On s’en fait rapidement une idée, on l’intériorise et ça sert pour expliquer la nouvelle ou les nouvelles réalités s’offrant à nous.

Dans mon cas, c’est évident que la première venue en territoire vietnamien fut teintée par cette approche perceptive. Je réalise, après quatre fois, que l’on peut regarder la même chose et y voir autre chose. Ça bouscule les impressions qui étaient, nous semblait-il, acquises et classées comme des références, des ponts entre divers éléments de la réalité.

Je ne vois plus Saïgon comme je la voyais – oui, Saïgon je la définis au féminin; c’est une ville féminine dans tout ce qu’elle offre ou déploie -  Dans un billet datant de janvier 2012 je crois, j’écrivais que la première nuit ici j’avais l’impression, plus même, je croyais entendre des hélicoptères circuler dans le ciel, des hélicoptères à la Coppola. J’aurais juré que cela était réel.

Maintenant, Saïgon est devenue pour moi une femme chaude, froufroutante, indépendante dans ses allures à la fois asiatiques, européennes et américaines. Ses odeurs m’enivrent; le matin - je roule en vélo dans mon quartier, je salue les gens qui semblent habitués à me voir circuler - les effluves se mêlent les unes aux autres; le midi alors que le soleil brûle tout ce qui reste du matin, des odeurs plastiques, mécaniques prennent le relais; le soir, un peu avant la nuit, un vent typique, venu du nord, cet acrobate sémillant a cueilli au-dessus de la rivière des exhalaisons vives combinant poissons et pétrole, algues et rayons de lune, soupirs des amoureux et pétarades des motos. Ses odeurs m’enivrent.

Je pourrais écrire sur les Vietnamiens, ceux que je connais, ceux que l’on me présente, ceux que je croise et dire combien ma vision s’est modifiée, voire transformée. Et elle continuera de changer car tout change, à partir de nos perceptions, mais également de notre engagement à mieux saisir les motivations et les rêves des gens.


Le deuxième concept, la coalescence, m’est apparu alors que bien installé sur ma terrasse dans la campagne de Saint-Pie, j’y allais de cette interrogation : à l’âge que tu as, mon cher ami, où souhaiterais-tu finir tes jours? Ici ou là-bas?

De la coalescence, la meilleure définition que j’ai trouvée est la suivante :

- Réunion, dans une unité nouvelle, d'éléments compatibles quoique de soi disjoints.

Il me semble que cela spécifie assez fidèlement le fait que je sois la moitié de l’année en terre québécoise et l’autre en terre vietnamienne. Que j’y aie une famille québécoise, la mienne, celle de ma chair et mon amour et une autre, d’adoption, vietnamienne celle-là. Que, pendant six mois, à Saint-Pie, je ne songe pas à regretter Saïgon et pour l’autre six mois, vivre entièrement, complètement ici.

Cette unité nouvelle, je l’appelle le meilleur de deux mondes.


Une amie du CRAPAUD me qualifiait de snowbird asiatique. Cette perception vient sans doute du fait que je quitte l’hiver et reviens au printemps. Comme tous ceux qui ont choisi ailleurs pour y vivre ou choisi de s’éloigner de leur hantise pour la saison froide, que ce soit vers la Floride ou toute autre destination tropicale, je crois que ce choix permet certaines réflexions, une certaine distance également. Les yeux s’éloignent et tout devient plus relatif. Ne reste qu’à répondre à l’angoissante question : où mourir?


À la prochaine


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