…la suite...
La maison blanche, sise à quelques pas de la grave et à plusieurs du village, fut montée rapidement. Marcelin, avec l’acharnement que tous lui connaissaient et sans l’aide de personne, refusa froidement le coup de main de son père. Ce serait sa maison, celle qu’il avait dessinée dans sa tête et la réaliserait en un temps record afin de pouvoir y installer sa Madeleine, témoin silencieuse d’un ouvrage qu’elle jugeait de loin et devait, aux dires de son mari, apprécier les mérites avant l’automne.
Ils s’y installèrent un peu avant les grandes marées d’août. Rien de particulier ne fut organisé pour célébrer l’entrée du couple. Au fil des années, Marcelin avait construit les meubles de ses propres mains et là, il achevait de défricher la route amenant Madeleine dans ce qui allait devenir son enfer.
Dire que cet homme était craint par tous les habitants du village ne relève pas de la légende. On connaissait ses talents de pêcheur mais on ne retenait que le peu de respect qu’il vouait aux traditions séculaires entourant la pratique autant commerciale que récréative de la pêche. Pour lui, c’était un gagne-pain mais surtout une chasse aux poissons qu’il s’obligeait à remporter peu importait le prix à payer, les règles à suivre et les précautions à prendre. Il se moquait allègrement des prévisions ou des prédictions, se fiant uniquement à son instinct de prédateur. Faire équipe c’était partager, cela n’entrait pas dans sa conception de la vie.
Madeleine entra dans la maison de son mari. Un soir, revenant de bûcher le bois de l’hiver, Marcelin fit une colère noire. Ayant aperçu aux fenêtres de petites étoffes carrelées rouges et blancs, il les arracha, les piétina devant elle, lui ordonnant de ne plus jamais toucher à quoi que ce soit dans sa maison sans lui en avoir parlé. Elle n’eut pas le temps d’esquiver la gifle qui suivit l’avertissement, se retrouvant par terre, humiliée et la bouche ensanglantée. Derrière le rideau de larmes qui bruissait dans ses yeux, c’est un homme au regard de requin qu’elle vit. Déjà, elle apprenait que le silence serait son lot et la prudence son alliée.
- Que je ne te vois plus jamais toucher à autre chose dans ma maison, sinon …
La menace était claire, précise, ne lui laissant d’autre choix qu’une aveugle obéissance. Dans l’aquarium paisible où elle croyait s’être plongée, le requin nageait, yeux froids sur elle, la guettant, la traquant continuellement, lui présentant une mâchoire inquiétante.
Elle ne faisait jamais rien de convenable au goût de son mari. La réponse à toute parole ou geste qu’elle risquait, lui parvenait avec la même férocité, la même brutalité. De sorte qu’en très peu de temps, elle fut littéralement coupée de sa famille et de la communauté. On se doutait des traitements subis par la jeune épouse, mais personne n’osait défier Marcelin de crainte que la situation n’empire. Les parents des deux familles ne se parlaient plus, évitant ainsi un sujet dont l’horreur ne faisait plus de doute. Même le curé, recevant de chacun et chacune des allusions parfois feutrées mais allant toutes dans la même direction, jugea plus confortable d’attendre que la principale intéressée ne se manifesta. Ce qu’elle ne put faire car il lui était désormais formellement interdit de sortir de la maison blanche, de fréquenter qui que ce soit et même d’y inviter ses parents.
L’été et d’automne filèrent cette année-là plus lentement qu’à l’accoutumée. Dans le malheur et la souffrance, le temps a la mauvaise habitude de ralentir paresseusement. Les journées de Madeleine lui courbaient les épaules, les nuits l’épouvantaient. Comme gestes d’amour, elle ne connut que les viols répétés d’un homme qui semait en elle l’épouvante et la répulsion. Dans la noirceur de cette maison blanche régnait une atmosphère de lourdeur pesant de plus en plus sur une Madeleine désillusionnée et affreusement mutilée au cœur et à l’âme.
Combien de prières fit-elle pour que son souhait de ne pas tomber enceinte soit exaucé? On ne l’entendit pas. Ses cris et ses déchirements provenaient de trop loin pour qu’aucune oreille même attentive ne reçoive ses appels désespérés. Et c’est une femme engrossée qui vit partir pour la mer un homme qui sema autour de son antre un tel climat de terreur évitant ainsi qu’en son absence on s’y approche. Il n’avait pas besoin de beaucoup parler pour que s’éloigne l’idée de s’y aventurer. Marcelin avait bâti une maison blanche, y avait cadenassé Madeleine et entouré leur isolement mystérieux d’une telle intimidation, que cette maison était devenue un lieu maudit.
C’est à cette époque que l’imprudent capitaine fit la rencontre de Carbonneau, nouvellement arrivé à l’Anse-au-Griffon, et lui suggéra de se lancer dans la crevette. Pendant quelques jours, les deux bateaux, LA DOUCE BRISE et le sans nom, voguèrent côte à côte, lancèrent leurs filets dans des baies que seul Marcelin connaissait et fréquentait les mêmes ports. Le jeune Carbonneau apprit beaucoup de ce fougueux pêcheur mais ne sut rien de sa vie personnelle. Il y avait là rien à dire, lui répétait un Marcelin qui ne se doutait pas qu’à son retour, sa femme offrirait un corps que la grossesse déjà modifiait.
Cette deuxième saison de pêche et de mariage fut celle où Madeleine cessa d’attendre, tenta de s’arracher à une peur maligne l’enfermant et caressait son ventre où la vie tristement s’agrippait.
La maison blanche, sise à quelques pas de la grave et à plusieurs du village, fut montée rapidement. Marcelin, avec l’acharnement que tous lui connaissaient et sans l’aide de personne, refusa froidement le coup de main de son père. Ce serait sa maison, celle qu’il avait dessinée dans sa tête et la réaliserait en un temps record afin de pouvoir y installer sa Madeleine, témoin silencieuse d’un ouvrage qu’elle jugeait de loin et devait, aux dires de son mari, apprécier les mérites avant l’automne.
Ils s’y installèrent un peu avant les grandes marées d’août. Rien de particulier ne fut organisé pour célébrer l’entrée du couple. Au fil des années, Marcelin avait construit les meubles de ses propres mains et là, il achevait de défricher la route amenant Madeleine dans ce qui allait devenir son enfer.
Dire que cet homme était craint par tous les habitants du village ne relève pas de la légende. On connaissait ses talents de pêcheur mais on ne retenait que le peu de respect qu’il vouait aux traditions séculaires entourant la pratique autant commerciale que récréative de la pêche. Pour lui, c’était un gagne-pain mais surtout une chasse aux poissons qu’il s’obligeait à remporter peu importait le prix à payer, les règles à suivre et les précautions à prendre. Il se moquait allègrement des prévisions ou des prédictions, se fiant uniquement à son instinct de prédateur. Faire équipe c’était partager, cela n’entrait pas dans sa conception de la vie.
Madeleine entra dans la maison de son mari. Un soir, revenant de bûcher le bois de l’hiver, Marcelin fit une colère noire. Ayant aperçu aux fenêtres de petites étoffes carrelées rouges et blancs, il les arracha, les piétina devant elle, lui ordonnant de ne plus jamais toucher à quoi que ce soit dans sa maison sans lui en avoir parlé. Elle n’eut pas le temps d’esquiver la gifle qui suivit l’avertissement, se retrouvant par terre, humiliée et la bouche ensanglantée. Derrière le rideau de larmes qui bruissait dans ses yeux, c’est un homme au regard de requin qu’elle vit. Déjà, elle apprenait que le silence serait son lot et la prudence son alliée.
- Que je ne te vois plus jamais toucher à autre chose dans ma maison, sinon …
La menace était claire, précise, ne lui laissant d’autre choix qu’une aveugle obéissance. Dans l’aquarium paisible où elle croyait s’être plongée, le requin nageait, yeux froids sur elle, la guettant, la traquant continuellement, lui présentant une mâchoire inquiétante.
Elle ne faisait jamais rien de convenable au goût de son mari. La réponse à toute parole ou geste qu’elle risquait, lui parvenait avec la même férocité, la même brutalité. De sorte qu’en très peu de temps, elle fut littéralement coupée de sa famille et de la communauté. On se doutait des traitements subis par la jeune épouse, mais personne n’osait défier Marcelin de crainte que la situation n’empire. Les parents des deux familles ne se parlaient plus, évitant ainsi un sujet dont l’horreur ne faisait plus de doute. Même le curé, recevant de chacun et chacune des allusions parfois feutrées mais allant toutes dans la même direction, jugea plus confortable d’attendre que la principale intéressée ne se manifesta. Ce qu’elle ne put faire car il lui était désormais formellement interdit de sortir de la maison blanche, de fréquenter qui que ce soit et même d’y inviter ses parents.
L’été et d’automne filèrent cette année-là plus lentement qu’à l’accoutumée. Dans le malheur et la souffrance, le temps a la mauvaise habitude de ralentir paresseusement. Les journées de Madeleine lui courbaient les épaules, les nuits l’épouvantaient. Comme gestes d’amour, elle ne connut que les viols répétés d’un homme qui semait en elle l’épouvante et la répulsion. Dans la noirceur de cette maison blanche régnait une atmosphère de lourdeur pesant de plus en plus sur une Madeleine désillusionnée et affreusement mutilée au cœur et à l’âme.
Combien de prières fit-elle pour que son souhait de ne pas tomber enceinte soit exaucé? On ne l’entendit pas. Ses cris et ses déchirements provenaient de trop loin pour qu’aucune oreille même attentive ne reçoive ses appels désespérés. Et c’est une femme engrossée qui vit partir pour la mer un homme qui sema autour de son antre un tel climat de terreur évitant ainsi qu’en son absence on s’y approche. Il n’avait pas besoin de beaucoup parler pour que s’éloigne l’idée de s’y aventurer. Marcelin avait bâti une maison blanche, y avait cadenassé Madeleine et entouré leur isolement mystérieux d’une telle intimidation, que cette maison était devenue un lieu maudit.
C’est à cette époque que l’imprudent capitaine fit la rencontre de Carbonneau, nouvellement arrivé à l’Anse-au-Griffon, et lui suggéra de se lancer dans la crevette. Pendant quelques jours, les deux bateaux, LA DOUCE BRISE et le sans nom, voguèrent côte à côte, lancèrent leurs filets dans des baies que seul Marcelin connaissait et fréquentait les mêmes ports. Le jeune Carbonneau apprit beaucoup de ce fougueux pêcheur mais ne sut rien de sa vie personnelle. Il y avait là rien à dire, lui répétait un Marcelin qui ne se doutait pas qu’à son retour, sa femme offrirait un corps que la grossesse déjà modifiait.
Cette deuxième saison de pêche et de mariage fut celle où Madeleine cessa d’attendre, tenta de s’arracher à une peur maligne l’enfermant et caressait son ventre où la vie tristement s’agrippait.
...à suivre...