mercredi 17 janvier 2007

Le cent quarante-quatrième saut de crapaud

La maison est froide ce matin. Sans doute que la nuit le fut plus encore pour qu'un peu partout, de la cuisinette au bureau, on sente qu'une attaque a eu lieu. Au réveil, j'ai ressenti le besoin d'écrire. Tout de suite après avoir lu LE DEVOIR qui exhibait en première page le nombre impressionnant de morts chez les civils en Irak.

Les enfants emmitouflés du mieux qu'ils le peuvent s'en vont à l'école. Dans mon quartier, Hochelaga-Maisonneuve à Montréal, les enfants se rendent à pied apprendre à devenir des adultes. Les voyant marcher, collés les uns près des autres, dans des habits qui me semblent très peu appropriés pour la saison, je me demandais combien d'entre eux songent aux guerres qui sévissent dans le monde actuellement. Désirent-ils s'engager dans les forces armées? Prendront-ils, plutôt, l'étendard de la paix qu'ils brandiront à bout de bras afin de réclamer que cessent ces inutiles conflits? Sont-ils racistes? Je ne saurais le dire en remarquant que leur bouche servait plutôt à souffler dans leurs mains pour combattre les engelures.

Dans leurs classes au moment où j'écris ces mots, leurs enseignants/enseignantes abordent-ils avec eux les conflits qui empêchent d'autres enfants de leur âge de se rendre à pied à l'école? Nos jeunes sont plus intéressés, dit-on, aux jeux virtuels qui bien souvent consistent à faire la guerre, à tuer d'horribles bestioles ou des ennemis que d'entrée de jeu on identifie tout en leur rappelant que s'ils ne les abattent pas le risque que ce soit eux qui crèvent est très grand?

Leurs cache-oreilles sont des IPod desquels une musique "heavy metal" abrutissanteest crachée, risquant de les assourdir. Quelques fois, des fils les relient entre eux et leurs hanches bougent au même diapason. Comment peuvent-ils entendre autre chose alors qu'ils donnent l'impression d'offrir à leur cerveau toute la place à des mots puisés dans un réservoir où la violence règne en maîtresse absolue? Qu'est le monde pour eux? S'achève-t-il au bout du chemin refait mille fois matin/midi/soir, là où l'école se situe?

Ils ont froid, ce matin. Ne peuvent échapper à ce refroidissement éolien qui, tel un facteur pressé, les pousse dans le dos et allonge leurs pas. C'est par grappes inégales, de garçons et de filles que parfois on ne résussit pas à distinguer qu'ils avancent. Si, les filles me semblent beaucoup plus résistantes aux griffes de l'hiver. Elles sont vêtues plus courtement. Je vois une partie de leurs hanches s'offrant aux regards des gars et à la rougeur du vent. Souffrent-elles ou sont-elles purement insensibles au froid? Je me le demande. Leur poser la question serait une infamie. C'est ainsi semble-t-il et aucune mode ne peut changer la situation.

Et ils fument. Sans doute afin de pouvoir tester plus tard leur aptitude à arrêter. Je ne le sais pas. Les campagnes anti-tabac sont si nombreuses, si bien documentées que c'est à se demander s'il n'y a pas là une forme de bravade. Car il leur est interdit de se procurer des produits du tabac. Faut-il songer à une espèce de complicité parentale? Ils fument en marchant rapidement. Ça prend tout un système respiratoire pour réussir cela et en même temps goûter le picotement de la nicotine dans la gorge. Mais ils sont solides ou veulent le devenir.

Qu'y a-t-il de différent entre ces enfants/adolescents qui passent devant la fenêtre de mon bureau, sans jamais se retourner, et ceux qui en ce moment sont en Irak? En Afghanistan? Au Darfour? En Somalie? Ils ont le même âge? Ont-ils les mêmes rêves, les mêmes espoirs? Moins la froidure. Dans tous ces cas, l'école est-elle au bout de la rue? Du chemin? Ou bien, à la place du bruit cacophonique de la charrue qui pousse la neige afin que des gros camions la récupèrent, certains entendent-ils, les épaules remontées jusqu'au cou, la déflagration d'explosifs qui ne les pas empêchés, malgré tout, de partir vers l'école? Je ne le sais pas, mais je me dis que cela ne peut d'aucune manière les unir ou les souder. Ils sont trop loin et leurs préoccupations, aux antipodes. Je ne devrai pas me surprendre que le monde de demain puisse ressembler encore à celui d'aujourd'hui...

Mais il y a le soleil... Lorsqu'on le regarde sans tenir compte de l'endroit où sont posés nos pieds, les yeux dans les yeux, il est le même, ici et ailleurs. Là-bas où il n'y a pas de neige et de froid. Où je ne sais pas si les écoles sont au bout du chemin. Que des enfants qui vieillissent trop vite et nous rejoignent, nous ces adultes de janvier 2007 qui, maladroitement peut-être, tentons d'espérer que les chemins vers l'école ne soient pas semés de mines antipersonnel...

À bientôt

Un être dépressif - 14 -

  Un être dépressif - 14 - C’est à partir du poème de Jean DUGUAY, mon ami psychologue-poète, que je lance ce billet.                      ...