Je vis à Saigon depuis bientôt sept (7) ans. Il me fut donné à maintes
reprises de voir des défilés funéraires parcourir les rues ainsi que des
maisons de noces remplies de convives ; jamais assisté comme invité que
soit à l’un ou l’autre.
Hier, le dimanche 12 novembre 2017, j’ai pu vivre les deux, le même
jour : les funérailles du père de Lisa que je considère comme ma fille
vietnamienne et le mariage de mon ami Trung et sa charmante nouvelle épouse.
Les rites funéraires de type bouddhiste diffèrent énormément de ceux que
l’on connaît au Québec. D’abord, la couleur qui prévaut est le blanc. Les
membres de la famille se revêtent, selon leur préséance dans la famille, de
costumes de cette couleur, ce qui permet de les distinguer des autres
participants aux funérailles. Le fils aîné, celui à qui traditionnellement
revient la charge de leader familial, a revêtu un bonnet blanc différent des
autres membres de la famille qui abhorreront un ruban leur ceignant le front.
On se présente à la cérémonie qui durera deux jours, en n’oubliant pas
de porter des pantalons longs. Quelques moines bouddhistes officieront, multipliant
des gestes principalement composés de longues tirades chantées qu’accompagnent
une musique redondante s’étouffant dans la fumée de l’encens. On brûlera aussi
des votifs, lancera par terre des poignées de riz et quelques lampées de vin en
présence d’un des membres de la famille du défunt.
L’atmosphère n'est pas triste, mais réservée. Les recueillements
auprès du catafalque permettent d’y allumer un bâtonnet d’encens, certains y
laissant quelques dongs. L'imposant cercueil est très lourd. Celui du
père de Lisa qu’on allait, au deuxième jour, poser en terre, était jaune, gravé
de quelques émaux rouges.
La douleur de la famille se console dans cette certitude que maintenant
le défunt ne souffre plus et en route vers un autre lieu où l’attend de bien
meilleures choses.
Le père de Lisa était amateur de jazz. À chacune des occasions qui me
fut donnée de me trouver en sa présence, nous nous régalions tous les deux de
vieux morceaux de jazz. Il se faisait une joie de les écouter avec moi, le seul
de la maison à apprécier cette musique. J’en garderai un souvenir permanent et
chaleureux.
Je n’ai pas assisté à l’enterrement, des noces m’attendaient. Toutefois,
les obligations familiales, en raison de l’état de santé du père, ayant exigé
une présence continuelle auprès de lui à la maison ou à l’hôpital, nous
pourrons maintenant reprendre nos rencontres régulières.
J’ai suivi, sur quelques kilomètres, le défilé en route vers le
cimetière avant de me retrouver chez ADORA, une des plus prestigieuses maisons
de noces de Saigon. Trung (il est policier) et sa nouvelle épouse Nga y
donnaient la deuxième réception suivant leur mariage; la première s’étant tenue
dans le village du marié, à l’extérieur cette fois.
Le mariage est privé mais la noce est publique. On y est invité ou on
s’y invite moyennant la remise d’une enveloppe contenant le coût du repas et le
cadeau de noces.
La réception se veut princière. Tout y est organisé afin que le couple
en soit le centre. On y met le paquet : musique, karaoké, boisson à
volonté, fleurs, mille et une prises de photos… sans oublier le beau linge. Je
suis toujours un peu surpris de constater que le port du áo dài ne fasse
pas partie de la coutume.
Il devait y avoir plus de 300 cents convives assistant à la noce de
Trung et Nga. Y avoir été invité, avoir reçu un faire-part personnellement
adressé représente beaucoup pour moi. Je peux maintenant me considérer comme un
ami personnel du nouveau couple.
Comme je ne peux m’arrêter d’y aller parfois de facéties, j’ai emprunté
le bébé d’une des invités afin de l’offrir aux nouveaux mariés, leur disant
qu’ainsi ils n’auraient pas besoin d’en faire un puisqu'on avait déjà fait le
travail pour eux. On a ri… je crois.
J’ai posté sur Facebook quelques photos des deux événements. Le premier
commentaire reçu - d'un Vietnamien bien sûr - allait dans le sens
suivant : pourquoi poster les photos de deux rencontres aux antipodes
l’une de l’autre ? Ma réponse fut celle-ci : la vie est composée à la
fois de bons et beaux moments ainsi que de tristes, mais les deux se rejoignent
finalement.
Une nouvelle vie débute maintenant pour chacun d’eux. J’aurai eu le
privilège d’assister à sa transformation.