jeudi 17 mai 2007

Le cent soixante-quatrième saut de crapaud (13)




Chapitre 32



- Avant que Mario raconte sa légende, j'aimerais dire une chose importante. Nous sommes en plein dans le grand projet. Il faut en profiter au maximum. Je sais qu'on a eu des petits problèmes aujourd'hui. Ce soir, on décompresse tout en se rappelant qu'il ne faut pas laisser notre imagination nous nuire. Dans le bois, loin comme nous le sommes maintenant, à des kilomètres et des kilomètres du village le plus proche, il est normal que l'on se sente seul, peut-être même d'avoir peur. Regardons cette nature, la paix dont nous profitons et reposons-nous. Demain sera une autre journée.
- Cé très très reposant, en effet, mon cher Bob. ma seule paire de runnings pue l'maudit, toutes mes affaires sont mouillées pis moé, j'ai pas pensé amener d'sécheuse... J'adore totalement ce marveilleux bois calme et silencieux pis j'arrête pas d'me dire, chef, que j'me r'pose, dit Joe en faisant sécher ses souliers.
- C'est un peu différent de la ville, ajouta Mario.
- Pas tell'ment. Rajoute deux trois chars pis cé pareil.

Annie se mit à rire tellement fort et de façon si nerveuse que tous les autres, instinctivement, l'imitèrent. Ce fut le fou rire général. Bob dut enlever ses lunettes pour les esuuyer, tellement il riait.

Entre les rires, on entendait craquer le bois qui brûlait en laissant monter dans le ciel une longue fumée blanche.

- C'est le temps de ma légende.
- J'espère qu'elle n'est pas épeurante, Mario, dit Annie se retournant vers Caro pour qu'elle aussi mit son grain de sel.
- Bien non. De toute façon, c'est juste une légende.
- J'te gage qu'y a des loups dans les parages, dit Joe tournant la tête de tous les côtés en même temps.
- Non, non, mon petit chaperon rouge, se moqua Mario.
- Je crois pas ça,reprit Rock. C'est certain que dans une forêt comme celle-ci, les animaux sont nombreux.
- Le feu les éloigne, rassura Mario.
- Pas Raccoon en tout cas, dit un Joe heureux comme un pape.
- C'est peut-être pas un aniumal alors... Annie plongea dans le mystère, un peu surprise elle-même des paroles qu'elle venait de lancer.
- Est-ce que je la raconte ma légende ou pas? insista Mario.

Les Six + un s'installèrent confortablement comme si on allait leur raconter une belle histoire avant de se coucher. Aux premiers mots de Mario, Caro se colla sur son frère.

- Il était une fois, il y a bien longtemps de cela, près d'une immense forêt... Avant, je veux dire que c'est mon père qui me l'a racontée...
- Coup don, vas-tu la conter ou tu vas mourir avec, s'impatienta Joe. Mes runnings sècheront pas, y vont cuire.
- ... près d'une immense forêt tellement reculée dans l'arrière-pays que personne, jamais, ne s'y était aventuré. Des gens prétendaient qu'une maison s'y trouvait et que tous ceux et toutes celles qui s'y étaient rendu, en étaient revenus complètement changés. Transformés. Chaque fois que quelqu'un s'informait sur la forêt ou encore la maison hantée, il se faisait décrire tout ça de manière tellement bizarre qu'il en oubliait l'idée de s'y rendre.
- Est-ce que la forêt de ta légende ressemble à la nôtre? demanda Annie.
- Écoute, pis tu vas l'savoir, répondit Joe surveillant Raccoon, et ses souliers.
- Un beau jour, entra dans le village situé à l'orée de cette forêt, un très vieil homme auquel personne n'aurait pu donner un âge. Il boitait. Pour mieux se déplacer, il s'appuyait sur une canne. Personne dans le village ne le connaissait. Personne, avant ce jour-là, ne l'avait vu. Il demanda aux habitants s'il pouvait traverser la forêt sans problème. On lui raconta toutes les histoires circulant à propos de la forêt et de la supposée maison hantée. Il remercia les gens et continua sa route, vers la forêt. Tout le monde regarda partir le boiteux se tenant sur sa canne.
- Lâche les détails, pis fa nous peur, Ti-Cote.
- Veux-tu bien écouter, dit Caro bien absorbée par l'histoire que Mario racontait d'un ton grave, pesant chacun de ses mots.
- Le vieux marcha dans la forêt, des heures et des heures. Puis, arrivant à une très grande clairière, il y découvrit une maison qui lui sembla inhabitée. Il s'en approcha, s'arrêta face à la porte d'entrée, entrebaillée. Les fenêtres étaient cassées. De sa canne, il poussa la porte qui grinça. Le vieillard entendit, alors, le bruit d'objets se déplaçant dans la maison sans qu'il puisse les voir. S'avançant lentement dans la pièce - un peu comme une cusisine - il remarqua une trappe, par terre. L'anneau qui allait lui permettre de l'ouvrir était affreusement rouillé. Il se pencha et au moment même où sa main allait y toucher, tous les objets de la maison, qu'il ne voyait pas mais entendait, lui apparurent... et il devint comme sourd: plus un seul son.
- Cé focké son affaire. Joe alluma sa cigarette.

Mario, remarquant l'effet de son histoire sur le groupe, décida de faire plus théâtral encore:
- Le vieux regarda par la trappe qui s'était ouverte: des rats couraient dans la cave, des araignées au garde-à-vous au milieu de leur toile... mais, aucun bruit. Il referma la trappe: les sons lui revinrent en même temps qu'il perdit de vue les objets. Pris de panique, il se dirigea le plus rapidement qu'il le put vers un escalier installé tout au fond de la pièce qui, maintenant, dégageait une odeur insupportable. Il se boucha le nez et mit le pied sur la première marche qui craqua avant de s'effondrer. Un trou apparut sous son pied et de nouveau c'était la cave où les objets se firent entendre tout en étant invisibles. Il s'aventura sur la deuxième marche, puis l'autre pour finalement se retrouver en haut, dans une sorte de grenier barricadé derrière une porte en chêne massif. Il poussa. Poussa encore. De toutes ses forces de vieillard sans âge. Lorsqu'il réussit enfin à ouvrir cette porte, devant lui, placés en ordre sur les murs, une quantité innombrable d'outils. La pièce, d'une propreté n'ayant rien à voir avec tout le délabrement de la cave et de la cuisine, respirait la fraîcheur et la clarté. Le vieil homme, ébloui, ne cessait pas d'examiner tous ces outils très anciens mais neufs comme s'ils venaient à peine de sortir de la fabrique. Encore installé sur la dernière marche, il laissa la porte qui, en se refermant derrière lui, fit un bruit d'enfer: comme un coup de tonnerre. Au même instant, automatiquement, le grenier chavira, les outils se déplacèrent, tombèrent par terre... Impossible de décrire le désordre qui s'ensuivit. Tout à fait l'inverse d'il y avait quelques secondes. Des toiles d'araignées apparurent aux fenêtres à moitié cassées; le sol se remplit de poussière et de sciure de bois; les tentures qui tout à l'heure ornaient si bien se déchirèrent, tombèrent en lambeaux; les meubles devinrent des antiquités sans valeur. Apeuré, le vieil homme recula, se questionnant sur ce qui avait bien pu se passer. Surtout, si rapidement. Examinant autour de lui, il remarqua par terre dans un des trois coins du grenier, une forme... recouverte de sciure de bois... rouge. Avec beaucoup de précaution, il s'en approcha . De sa canne, il donna quelques petits coups sur ce qui lui sembla être... un cadavre. C'était mou. Flasque. Y touchant, une oduer fétide s'en dégagea. Il s'approcha un peu plus. S'agenouilla péniblement. De sa main libre, enleva la sciure de bois et découvrit...
- Quoi? Qu'est-ce qu'il voit? demanda Rock entièrement envoûté par la légende au point qu'il ne remarqua pas que son bâton venait de tomber dans les flammes.
- ... un cadavre. Un cadavre dans un état de décomposition avancée. Le vieil homme, pris de peur, paralysé, vit sous la gorge du macchabée un médaillon. Intrigué et tremblant de peur, approchant sa main, ce fut d'un coup sec qu'il l'arracha. Au même instant... spontanément... le vieil homme fut projeté... debout... tout jeune et en pleine forme. Examinant de plus près le médaillon que l'usure du temps lui empêchait de pouvoir y distinguer une forme ou encore une série de lettres ou peut-être même une phrase. Après s'être bien concentré, le jeune vieillard qui avait laissé tomber sa canne décrypta ceci: « s t r y l i n g v o l i n p o u f». Lorsqu'il se mit à prononcer ces syllabes à voix haute, une force extraordinaire le projeta en-dehors de la maison hantée...
- Cé toute, demanda Joe.
- C'est assez, dit Caro, j'ai les dents gelées.
- ... la légende dit que dans le village, jamais personne n'entendit parler du vieillard boiteux s'étant aventuré dans la forêt mais qu'un beau matin, quelques jours plus tard, un jeune homme traversa le village comme provenant de la forêt. Bizarrement, il portait au cou une chaîne avec un médaillon et dans la main, une canne.

Le silence s'étendit autour du feu de camp. La légende de Mario venait de jeter un frisson parmi les membres de la gang. Caro ne regrettait pas son sac de couchage qu'elle partageait maintenant avec Bob et, surprise, avec sa soeur Annie.

- Sûr que mes runnings sont secs.

Rock se leva pour chercher des bûches de bois quand Bob lui dit:
- Apportes-en plusieurs si on veut de la braise pour le déjeuner de demain.
- Avez-vous vu?, dit Annie se levant pour fixer autour des charbons qui brûlaient.
- C'est quoi, la prochaine? demanda Bob un peu énervé par toutes ces choses apparaissant au moment même où tout semblait se calmer.
- Regarde, Bob. Dans le fond. Annie se nettoyait les yeux pour en être bien certaine.
- Qu'est-ce qu'il y a? Il manque de bûches, questionna Rock, les bras chargés.
- Regarde au fond, sous la braise... on dirait...
- C'est vrai, renchérit Caro. On croirait une plaque...
- Avec quelque chose gravée, continua Mario.
- C'est à croire que la légende vous a sonnés, dit Bob, s'éloignant vers la tente des Poulin.

Même si le chef, incrédule, avait quitté l'emplacement du feu de camp, les cinq autres, penchés au-dessus de l'endroit où ils avaient l'impression qu'une plaque ayant la même dimension que le cercle du feu de camp était apparue.

La fumée les empêchait de bien voir, mais il leur paraissait indéniable qu'une forme, étrange, se dessinait sous la braise. Personne ne saurait dire avec précision ce que cela représentait, mais tous pouvaient jurer voir sur la fameuse plaque au moins deux formes... peut-être semblables... difficile d'être infaillible à cause des charbons, de la fumée et aussi, sans doute, de la fatigue.
Cherchant chacun de son côté à découvrir des indices, un formidable coup de tonnerre se fit entendre, crevant les nuages qui laissèrent les gouttes de pluie enfumer l'emplacement du feu de camp.

- La pluie commence, dit Rock.
- Gages-tu que ça va se changer en orage! Moi qui meurt chaque fois.
- Ça fra une fois de plus, Annie. Raccoon et moi, on va dormir dans la tente.
- Sérieux, Joe? Je suis pas capable d'endurer le poil des animaux. Tu veux que je meurs? Mario semblait ahuri et près à éternuer.
- Vas-tu mourir pour vra, mon Ti-Cote?
- Raccoon, va falloir qu'il s'habitue à dormir dehors un jour, précisa Mario.
- Oui, mais pas sous l'orage, cé pas humain.
- O.K. Joe. C'est moi qui couchera dehors. Mario partit en direction de la tente récupérer son sac de couchage.
- Ça n'a pas d'allure, Mario, pesta Rock.
- Y a comme des problèmes qui n'ont pas de solutions, acheva Mario, entrant dans sa tente.
- Joe? Je voudrais te parler.
- Pas besoin, Caro. J'ai compris. Cé moé qui va rester dehors avec Raccoon.
- Deux vraies têtes de cochon ces deux-là, enchaîna Annie qui vit que la pluie commençait à se faire de plus en plus forte. Penses-tu, Joe, qu'on a vraiment vu quelque chose sous la braise?
- C'était comme une forme. Je dira comme un aigle à deux têtes pis des grosses griffes avec des affaires dedans.
- Moi aussi, c'est un peu ça que j'ai vu, finit Annie, jetant un coup d'oeil vers le feu de camp qui s'achevait de mourir dans un nuage blanc et rond. Tu vas pas coucher dehors?
- Tu sé ben qu'oui. Sous la toile du stock... de toute façon, ma place ça toujours été dehors.




Chapitre 33



Avant de se glisser dans son sac de couchage, Joe reprit ses souliers restés près du feu. Il regarda le ciel ennuagé où des éclairs annonçaient tout un orage pour la nuit. Au fond de lui-même, coucher à la belle étoile, en plein milieu d'une forêt qui depuis quelques heures paraissait bizarre, ne l'enchantait pas plus qu'il le fallait.

Joe retourna vers la toile où il passera la nuit avec Raccoon, se protégeant de la pluie par ses souliers qu'il tenait au-dessus de sa chevelure ébouriffée: quelle sorte de nuit? Jetant un dernier coup d'oeil vers le dortoir des Poulin, il remarqua qu'avec la lumière à l'intérieur, on pouvait déceler des ombres accrochées aux murs de la tente. Joe continua sa route, entendit remuer derrière un arbre, s'arrêta, un Raccoon immobile à côté de lui, l'imitant.

Il faisait si noir que Joe ne pouvait distinguer s'il s'agissait d'une forme humaine ou animale. À pas de loup, il s'approcha de l'arbre pas plus brave qu'il ne fallait mais continua tout de même.

À quelques cinq mètres devant lui et de la tente du chef et de ses soeurs, Rock, caché sous son imperméable semblait observer attentivement comme si quelque chose de grave se déroulait sous ses yeux. Le petit s'écoutait respirer fort, aussi fort que cet après-midi, alors qu'il était assis près de Joe, dans le camion. On le croirait davantage fasciné par ce spectacle que l'autre.

Annie se déshabillait. Caro, sans doute couchée déjà, car on ne pouvait distinguer sa silhouette sur les murs de toile de la tente scoute, sans double-toit puisque Bob l'avait ré-imperméabilisée avant le départ. De son point d'observation, Rock vit tous les gestes d'Annie et ne voulait pas en éloigner son regard, au même moment où, derrière lui, il entendit marcher. Se retournant, il ne put apercevoir Joe, il faisait trop noir. Effrayé, il rentra dans la tente des Villeneuve en coup de vent:
- As-tu le diable, Rock?
- C'est tellement noir qu'on ne peut rien voir.
- Une autre affaire bizarre, conclut Mario qui réfléchissait à cette histoire de plaque dans le feu.

Joe pourra sans doute dire, demain matin, qu'il fut en contact avec un animal sans préciser de dont s'il s'agissait, puisque ça s'était sauvé à son arrivée. Et cela ira dans le journal de Bob comme étant une autre manifestation de l'imagination et dans celui de Caro comme la suite d'un plan diabolique qui semblait les suivre depuis le passage de l'étang.

- Allez Raccoon, dans l'sac. Pisse-pas c'te nuitte parce que Joe y va puer demain et pis les autes y s'ront pas contents. On risque de s'faire laver correct si l'orage éclate pis si les rigoles du scout sont pas a bonne place.

Joe referma son sac à l'instant même où la pluie se déchaîna, les éclairs se faisant un plaisir à tout illuminer et l'écho ramassant le bruit du tonnerre pour le faire se répercuter jusqu'au bout du monde. Toute la nuit, Joe ne verra la clairière qu'en bleu métallique, il aurait dit à la Ozzie.

- Vive la nature, se dit Annie aux petites heures du matin, ne réussissant pas à fermer l'oeil une seconde. Elle décida finalement de s'accrocher à son baladeur souhaitant oublier les pétards incroyables autour d'elle, s'attendant à ce que la tente devienne un sous-marin d'un instant à l'autre.

La pluie s'arrêta autour de 5 heures; doucement puis complètement. L'eau dégouttait des arbres que le vent séchait. Le ruisseau, plein à rebord.

À 6 heures, les oiseaux se mirent à piailler dans un soleil intéressé à réchauffer les tentes. Autrement, le silence. Un silence d'ailleurs, d'une planète venue au monde le samedi 25 juin 1991.

Annie s'était demandé avant de fermer le fanal électrique de la tente, comment le groupe survivrait à l'orage. Lorsqu'elle pensait groupe, elle pensait Joe, évidemment, le plus vulnérable au tremblement de ciel.

Un peu de politique à saveur batracienne... (19)

  Trudeau et Freeland Le CRAPAUD ne pouvait absolument pas laisser passer une telle occasion de crapahuter en pleine politique fédérale cana...